vendredi 4 novembre 2011

Des centaines de millions sont dépensés en toute opacité pour la com' des ministères


A la différence des sondages, dont les ministères s'avèrent friands, les rapports de la Cour des comptes ne souffrent pas la contestation quand ils avancent des chiffres. Jeudi, la commission des finances de l'Assemblée nationale s'est vu remettre un document éloquent (dont francetv.fr avait déjà livré des extraits) sur les dépenses de communication des ministères entre 2006 et 2010. Le message est clair: ces dépenses explosent.

En moyenne, les dix ministères examinés (les plus gros) consacrent 120 millions d'euros à communiquer chaque année (hors personnel). Pour effectuer ces calculs, la Cour des comptes s'est trouvée dans l'obligation de se fier aux informations données par les ministères, qui n'ont pas tous les mêmes méthodes de comptabilisation. La mission n'en est que plus complexe et sensible: la Cour observe d'ailleurs que le rapport d'audit qui devait être réalisé en 2010 sur ce même thème dans le cadre de la RGPP (révision générale des politiques publiques) a été abandonné pour des raisons obscures.

La Cour, elle, est allée au bout de son projet. Et ses conclusions sont nettes: une hausse de 50% des dépenses de communication entre 2006 et 2009, à peine amoindrie par une baisse de 6% en 2010.

Surtout, la Cour relève un grand nombre de «procédures irrégulières ou contestables». Notamment en matière de conseil stratégique en communication, une catégorie qui regroupe des recommandations opérationnelles, des coaching ou media-training, voire de l'assistance à la communication de crise. L'affaire fait forcément écho à celle des sondages de l'Elysée (toujours pendante devant la justice), lorsqu'en 2009, la Cour des comptes avait pointé un contrat «exorbitant» passé avec la société de Patrick Buisson.


Depenses Com Gouvernement Mediapart

Cette fois, la cible change, mais pas tellement le fond: «La Cour a constaté que certains ministères avaient eu recours à des prestations de conseil et d'assistance en dehors de toute publicité et mise en concurrence.» Principale épinglée: la société Giacometti Péron et associés, dont on savait qu'elle travaillait beaucoup pour l'Elysée et dont on découvre qu'elle travaille également pour Matignon (694.000 euros), Bercy (692.000), le ministère de l'intérieur (200.000), le ministère de l'immigration (181.000), le ministère de la justice (143.000): en tout, la société a encaissé 4 millions d'euros d'argent public depuis le début du quinquennat, relève la députée PS Delphine Batho sur son blog (sans compter les éventuels contrats avec d'autres ministères).

Or certains de ces contrats passés avec Pierre Giacometti, invité de Nicolas Sarkozy au Fouquet's pour fêter la victoire de 2007, posent problème: les trois passés avec Matignon pour environ 700.000 euros ne se sont pas faits, selon la Cour, conformément aux règles de la commande publique.

Matignon invoque, à l'origine de ces contrats, l'utilisation d'une «procédure d'urgence». Mais la Cour ne juge pas l'argument recevable pour l'ensemble de ces contrats qui n'ont pas respecté les obligations de publicité ni mise en concurrence. Delphine Batho demande donc que François Fillon et Pierre Giacometti viennent s'expliquer à ce sujet devant la commission des finances de l'Assemblée.

Mais des irrégularités apparaissent également dans les contrats signés avec le ministère de l'intérieur (époque Brice Hortefeux) et celui de l'immigration (Eric Besson) en 2010. A propos de ce dernier contrat, la Cour note au passage que «les prestations étant constituées pour l'essentiel des séances d'entraînement du ministre», il n'existe pas de trace de la prestation, alors que dans le marché figurait notamment la production d'un «document stratégique semestriel» ou encore «des notes ponctuelles suggérant des actions de communication».

Confidentialité nécessaire, plaident les ministères

La société de Pierre Giacometti n'est toutefois pas la seule à signer des contrats avec des ministères dans des conditions troubles. L'observation vaut aussi pour Jean-Luc Mano et sa société ONLY, qui a par exemple contracté avec le ministère de la culture et de l'éducation. A chaque fois, les ministère font valoir pour justifier la non-mise en concurrence la «nature particulière», la «sensibilité»des prestations en cause, la relation «intuitu personæ» qu'elles impliquent entre le ministre et le prestataire, ou encore la confidentialité et la discrétion nécessaires. Sans convaincre la Cour.

Celle-ci remarque que jusqu'en 2010, le SIG (Service d'information du gouvernement) offrait aux ministres la possibilité de bénéficier de prestations de «media training» assurées par la société «Expression Conseil». La procédure était adaptée. Mais en 2010, la dépense n'a été que de 1794 euros, correspondant à une seule prestation, au profit de la secrétaire d'Etat chargée des aînés.

C'est ainsi: personne ne saurait remplacer les amis. A ce compte signalons la présence entre les lignes du rapport de Patrick Buisson, dont la société Publifact était au cœur de l'affaire des sondages de l'Elysée, pour laquelle le PS avait demandé en vain une commission d'enquête parlementaire. Cette fois, c'est la chaîne Histoire (filiale du groupe TF1), dont il est le directeur général, qui a bénéficié pour une série d'émissions d'un parrainage du ministère de la culture, dont la Cour juge l'intérêt «peu évident» au vu des sommes déversées par le ministère (environ 150.000 euros en 2009 puis en 2010).

Si Patrick Buisson n'apparaît pas cette fois dans la partie du rapport consacrée aux sondages, ce chapitre n'en est pas moins bien fourni, une fois de plus. Certes, les sondages représentent un pourcentage relativement faible des dépenses de communication, hormis au sein du ministère de la défense (8%) de l'éducation nationale (12%) et de Bercy (11%).

Mais mis bout à bout, les sondages commandés par les dix ministères auront quand même coûté 30 millions d'euros en quatre ans. Soit une hausse de 40% durant cette période (+ 60% au ministère de l'économie et du budget; + 90% à la Défense).

Et là encore, la Cour pointe des «conditions d'achat parfois contestables, voire irrégulières». L'institut Médiascopie (dirigé par Denis Muzet), qui analyse les réaction immédiates du public, a ainsi obtenu des marchés (pour la Culture, la Défense, l'Education nationale) sans la mise en concurrence exigée par le code des marchés publics. La Cour regrette des régularisations de commande a posteriori, des défaillances dans le contrôle des prestations et dans la conservation des pièces.

Mais la Cour s'est également intéressée au contenu de certaines études. Elle dénonce le fait que le ministère de l'intérieur ait fait mesurer en février 2008 par Médiascopie non seulement le niveau d'adhésion aux propos du ministre Morin à l'émission «Mots croisés», mais également ceux des autres intervenants. Toujours au ministère de la défense, mais cette fois quand Gérard Longuet était ministre, elle met à l'index un sondage commandé par son cabinet à Opinion Way, dont Mediapart avait révélé l'incongruité, posant des questions sur la progression du Front national, le rôle du premier ministre et le conflit entre François Fillon et Jean-François Copé. Et ce, note le rapport, alors que la DICOD (le service communication de la Défense) avait alerté, sans être entendue, sur ces questions «trop éloignées du périmètre de la Défense».

TF1 choyé

La Cour s'agace par ailleurs des «prestations redondantes»(plusieurs études abordent des sujets identiques à des dates rapprochées). Et s'étonne que des questions, toujours financées par des deniers publics, portent parfois, non pas sur l'action du ministère, mais sur «l'image personnelle du minstre en tant que personnalité politique». En 2010, par exemple, la Sofres teste pour la ministre de l'économie (Christine Lagarde) son dynamisme, sa sympathie, son courage, sa sincérité, ainsi que sa sensibilité politique: droite libérale ou droite sociale. Rachida Dati, ministre de la justice, avait, elle, en 2007, notamment fait interroger sur la manière dont les médias parlaient d'elle.

Ces sondages, toutefois, aussi injustifiés qu'ils puissent parfois paraître, ne constituent qu'une part infime du budget communication des ministères. En matière de gâchis, on peut donc trouver mieux. En juillet 2007, la Cour rappelle ainsi que la campagne de communication visant à inciter les Français à appeler le 15 avait été abandonnée en cours de route. 552.000 euros avaient déjà été réglés aux prestataires retenus. On s'était soudain aperçu qu'il ne servait à rien de demander aux citoyens d'appeler: «Les effectifs des centres ne leur permettaient pas de répondre à ce surcroît d'activité.»

La Cour regrette également que l'efficacité des campagnes de publicité ne soit pas mesurée. En «post-test» (après coup), des enquêtes mesurent leur visibilité, pas leur efficacité. Les ministères n'ont toutefois pas l'air de douter de celle-ci: en termes d'investissements bruts, seuls les groupes L'Oréal, PSA, Vivendi, Mulliez, Renault et France Télécom dépensent plus que l'Etat (ministères et organismes associés).

L'Etat a notamment beaucoup annoncé dans la presse en 2009 (28% du total de ses investissements). «L'engagement pris par le président de la République de doubler les dépenses publicitaires de l'Etat en faveur de la presse écrite a donc été respecté», note le rapport. Mais en 2010, la part retombe à 23%, ce qui fait dire à la Cour que l'évolution de 2009 répondait au souci de respecter l'engagement plus qu'à des considérations d'efficacité. «En 2010, ces dernières semblent être redevenues prépondérantes.»
Selon le SIG, le choix des médias ne se ferait pas en fonction de leur ligne éditoriale, ce que semble confirmer la Cour tout en notant, à l'inverse, qu'il peut arriver exceptionnellement qu'un média refuse une campagne pour des raisons politiques: L'Humanité, en 2010, n'a pas voulu diffuser la communication gouvernementale sur la réforme des retraites.

Selon le rapport, concernant la presse écrite, Le Monde (22%), Le Figaro (20%) et L'Equipe (17%) bénéficient logiquement au vu de leur diffusion des plus gros investissements. En revanche, s'agissant de la télévision, la Cour note que «la répartition des achats d'espace s'écarte sensiblement de la structure de l'audience ». TF1, la chaîne de Martin Bouygues (ami de Nicolas Sarkozy et invité du Fouquet's), dont la part d'audience s'élevait à 26% des sept chaînes nationales en 2010, a concentré 58% des achats. France Télévisions n'a bénéficié que d'un quart des investissements pour une part d'audience de 44%.

Si le rapport évoque plusieurs facteurs susceptibles de contribuer à cette distorsion (moins de publicité sur les chaînes publiques, les jeunes cibles favorites et plus présentes sur les chaînes privées), la Cour ne s'en interroge pas moins sur la pertinence de ce choix. Une interrogation de plus.

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