"Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs." Article 35 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1793
dimanche 6 novembre 2011
Dialogue imaginaire entre Salh Hamouri et Gilad Shalit : l’absurdité de l’occupation
« Avez-vous déjà imaginé une femme palestinienne accouchant en prison, les pieds et mains liés ? Avez-vous déjà vu un enfant de 12 ans menotté a un checkpoint et laissé des heures au soleil ou sous la pluie par la volonté d’un simple soldat ? Savez-vous qu’un grand nombre de mes camarades a déjà passé plus de 20 ans derrière les barreaux ? Beaucoup ont perdu leurs parents sans pouvoir leur dire "adieu". »
Salah Ammouri, Franco-Palestinien en prison depuis 2005
Gilad Shalit, soldat de l’armée israélienne a été libéré en échange de 1000 prisonniers dont des femmes. Ce chiffre impressionnant nous montre deux choses : Israël ne recule devant rien quand il s’agit de délivrer un de ses soldats et que la vie d’un Israélien « vaut » au moins celle de 1000 Palestiniens. On dit que seuls ceux qui n’ont pas du sang sur les mains ont été délivrés. Pourquoi alors ont-ils été arrêtés ? Si un millier de prisonniers peuvent être délivrés d’un coup, il faut croire qu’Israël a la capacité de remplir facilement les prisons. Nous avons, alors, pneser à un « dialogue imaginaire » à sens unique entre deux Israéliens- qui sont aussi Français-, l’un libéré et qui a bénéficié en France d’un tapage médiatique sans pareil, l’autre qui a été délibérément ignoré et qui croupit encore dans une prison israélienne.
Cher Gilad
Je suis content de ta libération après 1946 jours, moi qui croupis dans les geôles depuis plus de 2400 jours et je suis encore plus content de tes propos sur la paix. Ce que je ne comprends pas c’est pourquoi tu as remis ton uniforme, comptes-tu reprendre du service, remonter dans ton char « Merkeva » dernier cri, pour aller offrir des fleurs aux Palestiniens de Ghaza ?
Je vais te raconter mon histoire. Je suis né comme toi en 1985. Je suis un étudiant français en sociologie de l’Université de Bethléem, ma mère est française et mon père palestinien. J’ai été inculpé en 2005 sous la double accusation d’avoir projeté de tuer le rabbin Ovadia Yossef, - pour l’occasion, un délit d’intention a été créé- et d’appartenance au Front populaire de libération de la Palestine. Après trois ans de détention provisoire sans jugement, j’ai accepté, sur les conseils de mon avocate, une procédure de plaidoyer de marchandage afin d’échapper à une peine éventuelle de quatorze ans, et ai donc été condamné par le tribunal militaire à une peine de sept ans de prison que je purge actuellement à la prison de Guilboa.
On me dit que tu as été fait prisonnier alors que tu conduisais un char Merkeva en faisant le blocus de Ghaza. As-tu une idée de la détresse des enfants que tu terrorises avec ton char, t-a-t-on dit que les avions Apache traumatisent à vie les enfants ? Curieusement, les efforts des forces israéliennes et de l’Autorité palestinienne pour te localiser ayant été vains, ton pays a voulu te libérer par la force,il n’a pas hésité à engager une nouvelle guerre en lançant l’opération Pluies d’été, le 28 juin 2006. Sais tu qu’elle a été une source de malheur supplémentaire. Elle comportait toute la panoplie des horreurs : bouclages, incursions, arrestations et frappes aériennes sur la bande de Ghaza, qui ont fait plus de 200 morts et plus de 800 blessés. Des centaines de détenus dont des parlementaires palestiniens et des ministres Hamas de l’Autorité palestinienne ont été arrêtés et ont rejoint les quelque 10.000 Palestiniens emprisonnés en Israël.
Sais-tu aussi, qu’Israël a menti et que tous les enfants palestiniens emprisonnés en Israël ne seront pas libérés ? Toutes les femmes non plus ? Et bon nombre de ceux qui seront libérés ne pourront pas rentrer chez eux mais seront déportés ailleurs ? Sais-(tu aussi qu’un prisonnier palestinien avait 13 ans au moment de sa capture. Il s’agit de Ali Abd Allah Salem Amariya, de nationalité israélienne, né en 1975, arrêté le 24 novembre 1988 à l’âge de 13 ans, condamné à 40 ans de prison, et donc emprisonné depuis près de 29 ans. Sais-tu enfin que 22 prisonniers avaient moins de 18 ans au moment de leur arrestation. On dit que seuls ceux qui n’ont pas de sang sur les mains ont été libérés, sais-tu que Nelson Mandela, présenté aujourd’hui comme une sorte d’icône du pacifisme, était considéré comme un terroriste par les Etats-Unis et le Royaume-Uni ? Amnesty International avait refusé de l’adopter comme « prisonnier de conscience » parce qu’il prônait la violence. Comme Alain Gresh, je te pose la question essentielle qui ne sera pas posée : est-ce que l’attaque contre Ghaza de décembre 2008, durant laquelle des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ont été commis, ne signifie pas que l’armée israélienne a « du sang sur les mains » ? Sans parler de l’invasion du Liban de 1982, qui a fait des milliers de victimes civiles, ou de la guerre contre ce même pays en 2006, qui a causé 1400 morts dont tu devrais être certainement au courant et malgré cela, à Ghaza même au plus fort de la tuerie de 400 enfants, tes conditions de détention n’ont pas été aggravées.
Moi aussi je suis comme toi, né en Palestine, pour toi, c’est Israël d’après un décret de Dieu pour les Israéliens. Je suis comme toi aussi, un Franço-Israélien mais de second collège, ainsi en ont voulu les dirigeants français sous l’emprise de médias et de lobbys pro-israéliens puissants. Moi aussi je suis jeune, moi aussi j’aspire à vivre en paix. L’expression « soldat franco-israélien » me gêne. Elle ne te gêne pas ? Est-tu un soldat ayant le haut d’uniforme français et le bas israélien ? Ou bien le drapeau français au bras gauche et celui d’Israël à droite ? Serais-tu prêt à défendre la France que tu ne connais pas après avoir défendu Israël ? Que ferais-tu si la France entrait en guerre contre Israël ? En fait, cette expression qui devait aider à ta libération t’a desservi et, d’une certaine façon, m’a valu quelque sympathie par ricochet. Car moi, on m’ignore totalement, on parle de ma double nationalité réelle d’une façon évasive.
Si je t’écris c’est parce comme moi tu sais dans ta chair ce que c’est que l’enfermement, la sensation de solitude encore que tu dois savoir le tapage qui est fait pour te faire connaître et apitoyer le monde. Sais-tu que tu as une page wikipédia avec plus de 2 millions de références toi qui n’as jamais rien fait si ce n’est de conduire un char pour terroriser des enfants et des personnes sans défense.
Sais-tu que ma mère qui vit aussi en France, a remué ciel et terre, en vain pour sensibiliser les pouvoirs publics ? Personne ne l’a reçue en France, mon second pays comme le tien. Ma grand-mère vit en France contrairement à toi. On dit que Nicolas Sarkozy, qui recevait régulièrement à l’Élysée ton père, a dit « le fait que Gilad ait été reconnu Français depuis le début, a beaucoup contribué, je pense, à le préserver en vie ». Il te recevra à Paris bientôt, a-t-il encore dit. On dit que tu as reçu une lettre du président de la France, il est immensément soulagé par ta libération, il décrit même le bonheur et l’émotion des Français que tu ne connais pas et qui ne te connaissent pas, pas plus que moi, mais qui, grâce à un battage médiatique extraordinaire, tu es sur toutes les lèvres de ceux qui font allégeance à Israël par lobby sioniste français interposé. Il paraît que c’est là que se décident les carrières des hommes politiques français. Ta cause est tellement importante pour la France que ton père Noam Shalit, a déposé plainte contre X le 6 juin 2011, devant le procureur de Paris, pour enlèvement et séquestration. Cette plainte engage la justice française à mener une enquête et notamment, réduire la liberté de mouvement des ravisseurs qui ne font que défendre leur pays.
Ma mère
Sais-tu justement où est la France ? Connais-tu quelques mots de français ? Il est vrai que tu as pu avoir ces papiers par, dit-on, ta grand-mère et que même ton père et ta mère ne parlent pas français. Ma mère est française, elle n’a jamais pu, contrairement à tes parents qui sont Israéliens, être reçue par le président de la France et dans sa petite ville qui est aussi la mienne, on m’a fait portrait d’honneur. On dit que Bertrand Delanoë, maire de la ville de Paris qui est, comme tu dois le savoir, la capitale de la France, et qui ne te connais pas, a insisté pour te dresser sur le fronton de la mairie un immense portrait où tu es représenté non pas en militaire se battant pour son pays mais en civil pour attirer la compassion sur ton visage juvénile qui a dû souffrir du « traitement barbare » qui t’a été infligé par des barbus...
Rien à voir avec mon procès ou comme tu le sais, je suis innocent, mais là aussi cela n’est pas important, j’avais « l’intention » de commettre un acte délictueux,je suis donc coupable de 7 ans de prison où rien ne me fut épargné, même l’isolement. C’est peut-être là que l’on se rejoint. Ma mère s’est lancée en France, en compagnie de personnes honorables éprises de justice dans une campagne pour obtenir ma libération. Mais elle a vite déchanté. Toi et moi n’avons pas pas été traités « sur un pied d’égalité », ne cesse-t-elle de clamer. Pour toi, depuis cinq ans, tout le gratin politique français est mobilisé, la preuve ? Les nombreuses visites à l’Élysée de ton père tandis que ma mère a dû se battre pour décrocher deux rendez-vous avec des conseillers de Nicolas Sarkozy.
Ma mère a été émue jusqu’aux larmes en écoutant le président parler de ta libération et incidemment de moi : « C’est la première fois dit-elle que Nicolas Sarkozy prononce le nom de mon fils en sept ans. Mais cette phrase n’a pas de sens et demeure même contre-productive. Mon fils doit sortir de prison le 28 novembre prochain. Pourquoi devrait-il attendre le 18 décembre et la seconde vague de libération de prisonniers ? Voilà donc le président, en voulant faire du bien, m’enfonce en demandant au Premier ministre de me faire bénéficier d’un rab de détention pour être dans la charrette de ceux qui seront libérés trois semaines plus tard. Je suis sûr qu’il ne l’a pas fait exprès, mais comme tu sais, un jour de prison c’est une éternité... Même la presse m’a ignoré. Le 27 septembre dernier, j’ai fait une grève de la faim dans la prison de Guilboa (nord d’Israël) en signe de solidarité avec d’autres détenus palestiniens, pour protester contre le durcissement de nos conditions de détention depuis ton enlèvement en 2006 près de quinze mois après moi.
Tu t’es déclaré en faveur de la libération des derniers prisonniers palestiniens détenus en Israël. Tu dis que tu serais très content s’ils étaient relâchés et pouvaient retrouver leurs familles et leurs terres, « sans amertume ». Tes mots sont magnifiques. Ils dénotent une belle sensibilité que tu as dû acquérir pendant ton internement. Tu parles de « retourner vers ma terre ». Laquelle ? Je n’en ai plus. Sais-tu que depuis ton internement il y a eu 100.000 colons nouveaux qui sont venus s’installer chez moi sur les 20% qui me restent justement de ma terre ? Quand tu as été pris, tu participais en juin 2005 avec ton unité de chars faisant un blocus illégal et meurtrier de Ghaza. Sais-tu qu’il y eut seulement que 4 prisonniers israéliens depuis 1994 mais 750.000 Palestiniens ont séjourné dans les geôles israéliennes depuis 1967 ?
Je vais te donner un échantillon de la vie en prison en te rendant destinataire aussi d’une lettre que j’ai envoyée aux grands de ce monde, sourds à la détresse humaine et à la cause de liberté du peuple palestinien. Tu es à même d’apprécier mieux que les autres toi qui as connu l’enfermement. Tu sauras la réalité de la souffrance, le sens du combat des Palestiniens. : « Depuis les cellules de la prison, on peut entendre des voix parfois indignées qui parlent des droits de l’homme....Ces hommes politiques, ces gouvernements qui prétendent défendre les droits de l’homme et appliquer la justice, savent-ils ce qui se passe dans les prisons de l’occupation israélienne ? Savent-ils que plus de 8000 prisonniers sont victimes de mort lente ? Parfois des voix s’élèvent lors de réunions au sommet, il arrive que quelqu’un parle des prisonniers politiques palestiniens mais on parle de nous comme des terroristes, des numéros sans visage alors que comme tous les êtres humains, nous sommes parfois faibles, parfois forts, nous aimons et nous détestons, nous rions, nous avons même des moments de joie où nous pleurons aussi quand nous pensons à nos familles. Pour exprimer notre souffrance, il me faudrait écrire 100 livres mais même une encyclopédie ne ferait pas bouger vos consciences (...) Peux-tu déjà imaginer une femme palestinienne accouchant en prison, les pieds et mains liés ? As- tu déjà vu un enfant de 12 ans menotté a un checkpoint et laissé des heures au soleil ou sous la pluie par la volonté d’un simple soldat ? Sais-tu qu’un grand nombre de mes camarades a déjà passé plus de 20 ans derrière les barreaux ? Beaucoup ont perdu leurs parents sans pouvoir leur dire "adieu" toi dont les parents ont remué la France.
Mon histoire raconte en creux celle de mon peuple et celle de mon pays, la Palestine. Profite bien de ta liberté, mais réfléchis à l’absurdité et à l’illégalité de cette occupation. Si tu as du temps, viens me rendre visite, je te raconterai l’histoire réelle de la Palestine, pas celle que tu as apprise. La vraie, celle des hommes et des femmes depuis la nuit des temps, tous cananéens, tous semblables, je te mettrai aussi en garde contre les fausses certitudes qui font des Israéliens un peuple élu. Un des professeurs les plus connus dans le milieu universitaire israélien et à l’étranger, en l’occurrence le professeur Schlomo Sand a, dans un livre courageux -que tu devrais lire- tordu le cou à ces mythes fondateurs du peuple juif. Il y a bien une religion juive comme il y a une religion chrétienne ou musulmane, mais il n’y a pas de peuple juif. A partir de cela, tu pourras te reconstruire et aller à la conquête spirituelle du monde, convaincu que toute guerre est absurde , nous sommes tous frères. Moi le Palestinien , toi l’Israélien avons en commun l’amour de cette terre trois fois bénie de Dieu , nous pouvons vivre ensemble, nous devons vivre ensemble , c’est à cela que nous devrions consacrer notre combat, si tu décides ,enfin , d’entendre ta conscience.
Salah Hamouri...
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
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