jeudi 3 novembre 2011

La dette, c’est le vol !

Face à la vaste entreprise de conditionnement que subissent les exploités ces dernières semaines, la Fédération anarchiste dénonce le règne de la pensée unique et appelle à pratiquer l’autodéfense intellectuelle.

Asséner sans sourciller que payer une dette est un devoir impérieux revient à passer sous silence que, comme la propriété privée des moyens de production et de distribution, la dette est un vol. Le même vol que celui qui consiste à empocher à la place des exploités la plus-value créée par le travail lui-même ; lorsqu’un prêteur accorde une somme donnée, il sait que c’est par le travail de l’emprunteur qu’il pourra recouvrer les intérêts dans un premier temps, le capital en second lieu. C’est la preuve incontestable que l’intérêt financier est un prélèvement de plus sur la force de travail. C’est sur ce principe qu’a pu se construire et se complexifier le système du crédit, jusqu’à aboutir en 2008 à la crise dite des subprimes : des millions d’Américains se retrouvent jetés à la rue parce que la variabilité de leur taux d’intérêt est en faveur des organismes de prêt, et qu’ils ne peuvent faire face à des engagements intenables. On n’insistera jamais trop sur le rôle de contrôle social que joue l’emprunt dans l’économie capitaliste : quand le prolétaire paye son logement, il y réfléchit à deux fois avant de faire grève, avant de se syndiquer, avant d’être solidaire de ceux qui luttent autour de lui ; pour les possédants, le système n’a donc que des avantages !

Concernant la dette dite publique, contractée par l’État et ses déclinaisons locales que sont les régions et les départements, on cherche à nous faire croire que l’argent emprunté le serait pour une bonne cause : assurer à chacun l’accès aux services publics qui caractérisent l’État-providence ; c’est oublier que, si l’on prend l’exemple de la sécurité sociale, ce n’est pas l’État qui finance les caisses, mais les salariés, qui payent à la fois pour eux et pour le patronat (dont les cotisations, on ne le rappellera jamais assez, proviennent de la plus-value dégagée par le travail). C’est oublier que l’indemnisation du chômage n’est pas davantage payée par l’État, que les entreprises dites « publiques », rapportent davantage qu’elles ne coûtent, et que les salariés des trois fonctions publiques font les frais de la rigueur salariale depuis qu’en 1983 le gouvernement Fabius a montré par la désindexation des salaires par rapport à l’inflation le vrai visage du socialisme de gouvernement, qui change la vie, mais au seul profit de la bourgeoisie…

Que fait l’État de l’argent qu’il ventile dans son budget, si ça n’est pas, comme voudraient nous le faire croire les bien-pensants de la gauche réformiste, pour redistribuer les richesses ? Réponse : il attribue le premier poste au service de sa dette, il rembourse du capital, un peu, mais, surtout, il paye les intérêts des intérêts de tout ce qu’il a pu emprunter depuis que le monde est monde… Ainsi, pour 2010, l’État français a dû rajouter à un déficit budgétaire de 149,7 milliards d’euros (dont 42,5 milliards d’euros d’intérêts), les « amortissements » des dettes à moyen et long terme arrivant à échéance en 2010 pour un montant de 83 milliards d’euros. Les intérêts à payer représentent 96 % des engagements financiers. En 2010, ce sont 125,5 milliards d’euros (83 de capital + 42,5 d’intérêts) que l’État nous fait rembourser, prix d’une austérité bien réelle, mais qui ne dit pas son nom. En 1995, le stock de la dette publique s’élevait à 431 milliards d’euros. Fin 2011, le total cumulé des intérêts servis et des capitaux remboursés s’élèvera lui, à 2 013 milliards d’euros, soit 4,6 fois plus qu’en 1995 ! Dans le même temps, la dette aura été élevée à 1 333 milliards d’euros, soit plus de 3 fois le montant de 1995. Les intérêts payés (658 milliards d’euros) représenteront plus du double du total des dépenses du budget général (285,7 milliards d’euros pour 2011). La dette publique représente 37 % des dépenses publiques !

De tels chiffres peuvent donner le vertige à tous ceux qui survivent avec leur RSA : ainsi, ce dont ont peur les marchés, c’est la simple perspective qu’une partie infime de la dette d’un État puisse ne pas être remboursée, et c’est là que le système dévoile toute sa perversité : les organismes financiers ont tout intérêt à maintenir leurs débiteurs en état de dépendance, autrement dit, ils pratiquent avec les États le plus grand credit revolving du monde, ils prêtent pour rendre possible le remboursement de ce qu’ils ont déjà prêté parce que l’État est une sorte de super-huissier qui possède tous les moyens coercitifs : loi, police, armée, pour persuader la classe laborieuse de payer toujours plus…
La grande originalité de la situation qui se dessine en cet automne 2011, c’est qu’elle révèle à ceux qui ne veulent pas l’admettre l’extrême similitude des problèmes qui se posent au prolétariat où qu’il soit dans le monde : les exploités, salariés ou sans emploi, des pays dits « développés » connaissent à leur tour les difficultés que vivent depuis des dizaines d’années leurs camarades du tiers-monde, écrasés sous la dette dans l’indifférence générale. En Grèce, en Italie, en Islande, en Espagne, au Royaume-Uni, aux USA, en France, le couperet est financier, mais c’est toujours un couperet, comme celui qui naît du renchérissement des matières premières agricoles, et qui a poussé dans la rue l’ensemble des travailleurs d’Afrique du Nord.

Face à cette avalanche de mauvais coups, il est impératif de réagir. Qu’on ne compte pas sur la Fédération anarchiste pour bêler avec ceux, de gauche ou d’extrême-gauche, qui, tout en déplorant la lourdeur de la dette, ne remettent pas en cause le vol caractérisé qu’elle constitue ; qu’on ne compte pas sur la Fédération anarchiste pour souscrire à une déclaration de collaboration de classe comme celle qu’a publiée le 18 août 2011 l’intersyndicale nationale, qui, en appelant aux journées d’action machines-à-perdre, s’affirme soucieuse de sauver l’Europe et de réduire les déficits publics, ou pour exonérer de leurs responsabilités les organisations syndicales qui n’en font pas partie. Le seul mot d’ordre pour réagir au chaos capitaliste, c’est : « Faut pas payer ! » Cela suppose, dans le cadre d’une grève générale expropriatrice et gestionnaire, l’effacement pur et simple de toutes les dettes : privées pour soustraire les salariés à la mainmise de la classe possédante, publique par destruction de l’État en tant que structuration politique destinée à faire perdurer le capitalisme. Une phase transitoire avant la disparition de l’économie monétariste pourrait consister en la mise en place d’un service public autogéré de crédit gratuit sur la base des principes proposés par Proudhon. On comprend dans ces conditions qu’il est encore plus illusoire que jamais d’attendre un quelconque changement des élections à venir.

Fédération anarchiste

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