jeudi 3 novembre 2011

Lutter, toujours lutter : l’actualité sociale au portillon

Gregos
« Si tu pouvais écrire ton article un peu plus rapidement que d’habitude, parce que avec le trentième anniversaire de Radio libertaire, on est un peu occupés. » Et moi, confiant, je dis qu’il n’y a pas de problème. Sauf que l’actualité sociale se bouscule au portillon. Alors que PSA annonce 5 000 licenciements boursiers en Europe, dans ma région (Normandie) c’est pas triste non plus : annonce de la fermeture de la papeterie M-Real d’Alizay (330 licenciements), et dans la foulée, annonce de 120 suppressions d’emplois, en attendant la fermeture totale, à la raffinerie Petroplus de Grand-Couronne.

Y a pas à dire mais les plans de restructuration continuent, même si c’est devenu banal et que ça ne fait plus la une des journaux.


Si, depuis quelques temps, un nombre croissant de personnes se prononcent contre l’industrialisme et pour la fin de l’industrialisation, les patrons, du moins pour l’Europe, vont plus vite qu’eux et toute l’industrie lourde ferme ses usines de plus en plus rapidement. Dans les années 1970, l’industrie manufacturière représentait 30 % de l’emploi salarié, contre 11 % aujourd’hui. Et ce n’est pas fini.

Du coup, ce matin (26 octobre), on était un vrai paquet à bloquer dès 6 h 30 une des entrées stratégiques de la zone industrielle rouennaise. Comme au bon vieux temps. Il y avait les copains des deux boîtes menacées1 mais aussi ceux de Saipol (fabriquant de Diester), qui sont en grève depuis vingt-deux jours et à 100 % pour obtenir de meilleures conditions de travail et une prime de 2000 euros. Comme quoi, les luttes sont toujours à l’ordre du jour.

Ce qui m’amène à vous causer des salariés de Goodyear d’Amiens.

L’affaire ne date pas d’hier, mais s’éternise depuis 2007. Suite à un projet de fusion entre les deux usines d’Amiens (Dunlop et Goodyear) juste séparées par un grillage, la direction annonce la suppression de 400 à 500 emplois dans un premier temps et l’application d’un régime de travail en 4X8, ce dont les salariés ne veulent absolument pas. Après des réunions houleuses, la direction impose un référendum aux salariés qui répondent par la grève.


S’en suivent de nouvelles réunions. Un nouveau référendum est proposé et là, 80 % du personnel posté se prononce contre le roulement en 4X8.

Ça n’est pas du goût de la direction qui porte plainte mais qui est mise en échec.
En 2008, la direction s’en prend à Mickaël Wamen, secrétaire du syndicat CGT, particulièrement combatif et grande gueule sympathique, et demande des sanctions disciplinaires. Cette menace ne fait même pas peur et, en plus, c’est Mickaël qui gagne.
En même temps, profitant de la crise, Goodyear annonce une nouvelle restructuration avec cette fois-ci la fin des emplois dans le pneumatique « tourisme », soit 817 emplois menacés et la reprise par un autre géant du pneumatique, Titan. « Depuis, dit Mickaël, grâce à une lutte sans faille, pas un seul salarié n’a perdu son emploi. Nous avons gagné tous nos jugements et, socialement, les Goodyear ont toujours su se mobiliser à chaque grand rendez-vous. À chaque fois que nous avons dû nous déplacer devant les tribunaux de Nanterre, nous l’avons fait, accompagnés de centaines de salariés motivés à bien se battre jusqu’au bout. »

La direction Goodyear est de plus en plus agacée. Quoi, on tient tête au leader mondial du pneumatique ?

La direction n’hésite pas à donner des coups bas, et se trouve même des alliés.


Le 8 septembre dernier, lors d’un comité central d'entreprise (CCE), le ton monte entre CGT et CGC. Deux élus du syndicat des cadres déposent alors plainte pour insultes et menaces. La direction n’en demande pas tant. Et, suite à la plainte, quatre délégués syndicaux CGT (dont Mickaël) sont convoqués par la direction pour des entretiens préalables à d'éventuels licenciements. « Ce que nous inflige une nouvelle fois la direction Goodyear est une preuve supplémentaire de l’impuissance totale de ce groupe à obtenir satisfaction sur son projet morbide. La direction sait plus que jamais que son énième projet va exploser devant les tribunaux mais pour autant elle n’a pas le droit de sanctionner sans aucune preuve des militants CGT qui ne font que leur travail. »


Le jour de la convocation, une manifestation et des grèves ont lieux pour soutenir les 4 délégués.

En plus, on ne vire pas des élus syndicaux comme ça : l’inspection du travail vient d’ailleurs d’invalider la plainte. La CGT-Goodyear réplique également par d'autres plaintes contre la direction (pour harcèlement moral) et la CGC pour diffamation et manipulation…
Cerise sur le gâteau, le tribunal de Nanterre vient de retoquer Goodyear sur le nouveau plan de sauvegarde de l’emploi ainsi que sur l’éventuelle reprise par Titan.

Et ce n’est pas tout, ces syndicalistes sont sur tous les fronts, en effet « depuis que nous avons découvert (suite à un article paru dans Que Choisir ?) que les composants utilisés pour produire les pneumatiques de notre marque contenaient des produits hautement cancérogènes, nous avons décidé d’attaquer le groupe pour non respect de ses obligations. »

Et, là encore, la justice leur donne raison. La direction de Goodyear vient de nouveau d’être condamnée (19 octobre) à verser au global 50 750 euros d’amende et 22 000 euros au syndicat CGT (cette somme sera reversée intégralement à l’association des salariés et ex-salariés exposés).

Être sur le terrain juridique ne marche qu’un temps et on est en droit de penser que si le conflit ne dépasse pas le cadre de l’usine, Goodyear arrivera à ses fins, pourtant comme l’affirme encore Mickaël : « Nous serons encore des Goodyear en 2012 et au-delà. Qui aurait mis un euro sur la table il y a 4 ans en pariant sur le fait que nous serions encore tous ici présents ? (…) Regardez ce qu’il se passe avec les Conti, moins de 200 sur les 1 130 ont retrouvé un CDI et avec des droits et rémunérations divisés par deux bien souvent. Voilà ce que la direction veut faire de nous. »

On le voit, leur détermination reste sans faille, agace de plus en plus une direction à la dérive et va même bien au-delà des simples frontières de Goodyear Amiens Nord. Ce combat est sans doute unique au monde. Ce groupe qui réalise des bénéfices colossaux est ridiculisé par des salariés déterminés et courageux. C’est une lutte emblématique qui devrait donner des idées à d’autres.

1. Les salariés de Saipol, après vingt-deux jours de grève, viennent de reconduire pour une semaine leur mouvement, ceux de Petroplus, eux, viennent de voter l’arrêt de production.

Jean-Pierre Levaray

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