mercredi 9 novembre 2011

Politique de santé: un silence assourdissant


En défenseur de l'hôpital, Laurent Sedel, ancien chef de service de chirurgie d'un établissement parisien, rappelle que la santé n'est pas qu'«un coût». Il souhaite que les candidats à l'élection présidentielle s'emparent du sujet.


La France serait, paraît-il, en campagne présidentielle. S'il est un domaine où les candidats se gardent bien de s'exprimer, c'est celui de la politique de santé. Quid des hôpitaux publics, de la place des cliniques privées, de l'organisation des soins sur le territoire, de la couverture sociale? Le problème est complexe. Il est pourtant essentiel. Il y va de la santé des Français, de la reconduction ou de la destruction d'un système qui a porté la France au plus haut niveau possible il y a moins de dix ans.

La majorité possiblement sortante s'y est fortement attaqué. Trop et mal, c'est une évidence. La loi Bachelot, et ses corollaires: la convergence public-privé, la montée en charge des assurances complémentaires, le pouvoir dictatorial des agences régionales de santé (ARS) n'en sont que les aspects les plus visibles. Les conséquences en sont perverses: un boulevard pour les profits financiers de certains parmi lesquels les assureurs privés, les sociétés financières propriétaires des cliniques, l'industrie du médicament, qui malgré les contorsions dans les suites de l'affaire du Mediator, du vaccin antigrippal, ou du réaménagement de l'Agence du médicament, ont encore de beaux jours devant eux. Même la majorité actuelle l'a compris par le biais de la loi Fourcade qui y a introduit des bémols.

C'est malheureusement trop tard et insuffisant. Le mal est déjà là. Les Français, assommés par un lobbying efficace, se sont progressivement appropriés des notions contestables en l'état: la sécurité sociale ne brille que par son déficit alors que ses avantages que le monde entier nous envie sont immenses. Les Français sont de plus en plus poussés, sous prétexte de «responsabilisation», à prendre des mutuelles ou complémentaires santé sans savoir qu'ils sont déjà très bien couverts en cas de maladie grave et qu'ils le seraient encore mieux s'il n'y avait pas les mécanismes des franchises et forfaits hospitaliers aussi inefficaces que visibles et utilisés comme arguments pour augmenter les bénéfices des premiers.

Tout cela masque les vrais problèmes, ceux qui font mal: la vétusté de certains hôpitaux, le burn out des personnels de santé encore bien souvent de grande qualité malgré tout, la redondance réelle de certains plateaux techniques dans un pays où les distances ne sont pas si grandes, ou les effets pervers d'une politique malthusienne sur la démographie médicale dans certaines spécialités comme la chirurgie, l'obstétrique, la pédiatrie ou l'anesthésie.

La facilité serait de continuer à ne traiter ces problèmes que sous un jour comptable, continuer à passer sous les fourches caudines de Bercy, de certains économistes de la santé ou penseurs en tout genre qui ont en commun des certitudes indéfectibles, une arrogance à toute épreuve et une méconnaissance totale du terrain et des vrais problèmes, sans parler de solutions.

Définir une nouvelle politique de santé demandera plus que des pansements sur une jambe de bois. Il y faudrait de la compétence, du courage, une indépendance vis-à-vis des puissances de l'argent. Il faudra aussi lutter contre les peurs si modernes instrumentalisées par ce fameux principe de précaution, et espérer ainsi réduire les coûts mirifiques de la médecine défensive qui ne protège pas le malade mais le médecin ou l'institution contre un éventuel procès.

Une nouvelle politique devrait se poser la question de l'évaluation de la prévention: efficace si l'on considère les vaccins ou l'éducation de la population, mais parfois simple effet d'aubaine lorsqu'il s'agit de médicaments luttant possiblement contre l'ostéoporose, le cholestérol, ou les traitements anticoagulants indiqués à tout va. L'inefficacité des politiques de prévention du cancer du sein ou de la prostate commence à être perçue. Derrière cette prévention, il y a des milliards d'euros en perspective pour certains, un bénéfice pour le malade mal établi, quand il n'est pas nul.

Il serait bon aussi de rappeler des évidences qui fâchent: la médecine ne fait pas tout, on continue à mourir, souvent dans les hôpitaux et pas toujours d'évènements indésirables. La prévention efficace de ces derniers ne passe que par une excellente formation des médecins, ou du personnel, par des directions hospitalières efficaces et une maintenance sans faille des équipements et des locaux.

Les politiques devraient se réapproprier quelques certitudes: les activités liées à la santé ne sont pas qu'un coût, elles sont éminemment rentables à l'échelon de l'individu malade, des personnels qui en vivent dans des métiers plutôt valorisant, sinon valorisés, sans compter à l'échelle du pays par les capacités exportatrices de techniques, produits et patients étrangers traités en France. Les avancées de la médecine sont rentables aussi à condition qu'elles soient validées scientifiquement et qu'elles ne soient pas un simple prétexte pour vendre matériels ou médicaments sous des arguments fallacieux.

Tout ceci fera mal à certains, les solutions devraient être tout sauf démagogiques et il faudra faire appel au sens civique des personnels de santé, sens qui généralement ne leur manque pas.

Nous n'attendons plus rien de la droite; est-ce que la gauche sera au rendez-vous ? On peut s'en inquiéter.

Laurent Sedel, ancien chef de service de chirurgie (Asisstance publique Hôpitaux de Paris). Auteur de «Il faut sauver les malades», Albin Michel.

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