mercredi 9 novembre 2011

une analyse militante




Alors que monsieur Claude Guéant avait promis que ses services allaient "faire l'impossible" pour découvrir les auteurs de ce qu'il appelait un "attentat" contre les locaux de l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, il faut bien admettre que nous sommes toujours en attente...

Pour l'instant, à moins qu'on ne nous cache tout pour d'impérieuses raisons, les enquêteurs n'ont toujours pas mis à jour le moindre petit bout de poil de barbe bourré d'acide désoxyribonucléique manifestement islamiste. Cela permettrait, beaucoup plus que la revendication qui n'est pas encore parvenue aux services de police, de confirmer la grande intuition consensuelle qui s'est imposée à tous dès que Luz (ou Charb) s'est avisé de poser devant les décombres en brandissant le "Charia Hebdo" du jour.

Certes, nous pouvons faire preuve de beaucoup de patience, mais si cela devait continuer ainsi, il est à craindre que la touchante (quasi) unanimité créée derrière Charlie Hebdo ne se délite quelque peu. N'est-il pas désolant d'apprendre que le grand rassemblement de soutien solidaire, et probablement citoyen, au journal n'a, ce dimanche, rassemblé que "plusieurs centaines" de personnes. Le parvis de l'Hôtel de Ville de Paris étant bien desservi en lignes de bus et de métro, et très accessibles pour les taxis, on pouvait espérer une mobilisation plus massive pour affirmer le "droit au blasphème", concept assez neuf mis en avant par la dépêche de l'AFP relayée par Libération. .

On rigole, on s'amuse et on est bien contents de passer à la télé.
(Photo : AFP/Francois Guillot.)

Je regrette un peu de ne pas avoir eu le loisir, ces temps-ci, de fréquenter assidûment les sites des médias. Mais je me console en songeant que mes capacités d'analyse auraient été probablement insuffisantes pour examiner de manière éclairante la fabrication de ce consensus autour de la liberté de la presse façon Charlie Hebdo.

(Et puis, il aurait fallu que je me prenne un peu au sérieux...)

Du sérieux et des capacités d'analyse, Yves Delahaie, blogueur du "Plus !" du Nouvel Observateur, n'en manque pas, j'en suis certain. Il se présente comme "Professeur, Militant", ce qui est déjà impressionnant pour moi qui n'ai été que, très modestement, "enseignant" et n'ai jamais milité dans la moindre organisation. La consultation de sa fiche permet d'apprendre qu'il enseigne les lettres modernes dans un collège et qu'il est "un militant actif de 34 ans du Mouvement Démocrate (MoDem), membre du Conseil National, du Bureau départemental et du Bureau du MoDem Lillois". Sa participation au "Plus !" est parrainée par Maxime Bellec, dont la contribution est elle-même patronnée par Aude Baron, qui est "rédactrice en chef adjointe du numérique au Nouvel Observateur", "responsable du développement du participatif" et cofondatrice du "Plus !".

Notre auteur militant a déjà commis quatre articulets sur l'attentat, dont un judicieusement intitulé Charlie Hebdo vient de vivre son 11-Septembre, daté du 2 novembre. On pouvait y lire, accompagnée de l'inévitable dénégation, cette profession de foi :

Il n’est pas question ici de faire le procès qui viendra en son temps, même si on peut légitimement imaginer qu’il y a incontestablement un lien, un vrai lien, entre le numéro que Charlie Hebdo allait sortir, et l’attaque dont il a été la victime.

Une fois ce "vrai lien" posé, de manière purement axiomatique, pour ne pas dire dogmatique, notre puissant analyste s'est sérieusement penché sur les réactions suscitées par ce "11-septembre", et il en fait le compte-rendu, avec distribution des notes et lecture des appréciations, dans un billet, dont la lecture, nous dit-on aimablement, risque de nous faire perdre 5 minutes (*). Le titre choisi est, cette fois, Charlie Hebdo : la parole aux musulmans… et à leurs soi-disant messagers.
(Je suppose qu'en utilisant le mot "messagers" notre auteur tient à signifier qu'il entend rester dans le domaine du religieux, et qu'en l'affublant du mal sonnant "soi-disant" il prétend souligner leur manque de représentativité dans l'ordre de la démocratie.)

Je m'en voudrais de vous empêcher de savourer ce joli morceau de prose magistrale en le citant trop abondamment. Sachez seulement que les "soi-disant messagers" des musulmans sont, aux yeux de notre professeur militant, de bien mauvais élèves, à l'exception de l'imam de Drancy qui, comme on peut le voir, y met beaucoup d'application :

La parole des officiels était attendue. Il n’en fut qu’une qui soit irréprochable, et saluons-là comme il se doit : celle du président de la Conférence des imams de France, l'imam de Drancy, Hassen Chalghoumi. Irréprochable dans sa condamnation et dans son analyse, c’est le seul à avoir assumé avec courage la défense d’un islam laïque, un islam qui se fond dans la République sans pour autant se dénaturer ou se renier : "Je dis aux Français, je dis à l'Europe, et à l'Occident en général, mais je dis aussi aux journalistes : Réveillez-vous ! Arrêtez de soutenir l'islam politique. Ne soyez pas naïfs, ces gens-là sont intolérants, ils menacent même des musulmans qu'ils jugent trop modérés".

Cela mérite bien le tableau d'honneur...

Tous les autres, Dalil Boubakeur, Hassan Moussaoui, le Collectif des Institutions musulmanes de Roubaix, l'Union des organisations islamiques de France, écopent d'une sale note pour avoir produit un "double discours" (**), pratique détestable qui prouve que ces "soi-disant messagers" ne sont pas démocratiquement fiables...

Par ailleurs, en utilisant leur liberté de critiquer les productions de Charlie Hebdo, ils manifestent qu'ils manquent totalement de sens de l'humour.

(Mais cela notre chroniqueur pourrait aisément le comprendre.)


(*) Cette indication ridicule du temps de lecture d'un article est une spécialité du "Plus !". Sinon, la rédaction du Nouvel Observateur ne minute pas la lecture des éditoriaux si subtils de Laurent Joffrin.

(**) La même "analyse" sera reprise par notre blogueur pour parler de l'intervention de Tariq Ramadan dans "Revu et corrigé" sur France 5, samedi.

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