Incroyable mais vrai ! L'Organisation de coopération et de développement économiques, qui regroupe les 30 pays les plus riches de la planète, a présenté hier son deuxième rapport sur les inégalités. S'alarmant de leur accroissement dans la plupart des pays industriels, elle insiste sur leur impact négatif sur la croissance mondiale. «Ce n’est même pas une question morale. C’est une question économique», a déclaré en toute franchise son secrétaire général Angel Gurria.
Pour l'OCDE, les inégalités provoquent le désespoir de nombreux jeunes, freinent la mobilité sociale, et par là même les performances économiques des pays où elles sont les plus élevées. Elles alimentent un sentiment "antisystème" et contribuent à propager les idées protectionnistes. Voilà pourquoi, pour ces fervents défenseurs de la mondialisation, il faut les combattre au moment où elles s'accroissent partout ou presque.
Son constat détaillé
L'OCDE souligne que l'augmentation des inégalités de revenus dans la plupart des pays industriels est liée aux écarts de salaires grandissants, ainsi qu'à la progression du temps partiel et des emplois faiblement rémunérés. On note que l'organisation explique ce creusement mondial notamment par les politiques de déréglementation du marché du travail (flexibilisation, baisse du coût du travail, précarisation)… qu'elle a elle-même préconisées ! Des politiques qui ont lourdement pesé sur les salaires en bas de l'échelle.
Même revirement hypocrite pour les prestations sociales où l'OCDE insiste sur leur maintien à un niveau suffisant, ses économistes estimant que leur trop faible progression a contribué à l'accroissement des inégalités… alors que depuis des lustres, par exemple, elle nous a seriné que ce qui créé du chômage, c'est les allocations, et qu'il fallait les diminuer.
Revenant à des conseils plus classiques, Angel Gurria a expliqué que, outre le fait de développer l'emploi, «la meilleure manière de réduire les inégalités est aussi d’investir dans le capital humain en développant la formation tout au long de la vie».
Puis, soudain, c'est le scoop : l'OCDE nous avoue qu'elle ne croit plus en la théorie du ruissellement ou trickle down, tarte à la crème des ultralibéraux ! «Cette étude balaie l’hypothèse qui voudrait que les bienfaits de la croissance économique se répercutent automatiquement sur les catégories défavorisées et qu’un surcroît d'inégalité stimule la mobilité sociale. Sans stratégie exhaustive de croissance solidaire, le creusement des inégalités se poursuivra», a encore déploré le secrétaire général.
Plus étonnant encore, l'OCDE préconise de continuer à lutter contre les paradis fiscaux, ainsi que des hausses d'impôts sur les plus hauts revenus et les plus fortunés. «Il faut accroître l’imposition des 1% les plus riches en relevant les taux marginaux d’imposition (les taux supérieurs), en éliminant les abattements (niches fiscales) et en taxant la propriété et la richesse», a lancé Angel Gurria.
Bref, le contraire de ce que fait la France de Nicolas Sarkozy. Grâce aux «allégements Fillon» sur les bas salaires, notre taux de Smicards est le plus élevé de tous les pays de l'OCDE, tandis que les augmentations bénéficient à ceux qui sont tout en haut de l'échelle. Nos prestations sociales ont droit à la cure d'austérité et notre modèle est de moins en moins redistributif. La formation des adultes ne profite qu'aux mieux lotis, et seulement 8% des chômeurs réussissent à y accèder via des modules de plus en plus courts. L'éducation des jeunes part en lambeaux, la RGPP ayant supprimé des dizaines de milliers de postes d'enseignants et de personnel d'encadrement. La lutte contre les paradis fiscaux est purement cosmétique. Quant à notre système fiscal, il épargne les plus riches !
Ce que, jadis, prônait l'OCDE
Pour la petite histoire, rappelons qu'en 2009, alors que se préparait la réforme des retraites, l'OCDE préconisait à la France l'augmentation de l'âge effectif de départ ainsi qu'une orientation très libérale vers des systèmes par capitalisation. «S’appuyer uniquement sur les régimes de retraites publiques par répartition serait un pas dans la mauvaise direction, écrivait-elle. […] Pour empêcher tout retour en arrière, il faudra rétablir la confiance dans l’épargne-retraite privée.» Sauf que la crise financière prouvait alors leur haute dangerosité.
Au sujet des "seniors", l'OCDE recommandait en 2005 d'en finir avec la dispense de recherche d'emploi (DRE) qui, selon elle, validait «l’idée que le marché du travail est fermé aux travailleurs âgés» — ce qui est, pourtant, la triste réalité… — et proposait de «rétablir graduellement l’obligation de recherche d’emploi pour les nouveaux demandeurs de plus de 55 ans tout en renforçant les mesures actives de placement adaptées aux seniors». En parallèle, l'OCDE pointait leur «coût élevé» pour les entreprises...
Enfin, rappelons qu'en 2006, dans son rapport sur les “Perspectives de l’Emploi”, au chapitre “Stimuler l’emploi et les revenus”, l'OCDE écrivait : «Les réformes structurelles qui commencent par générer des coûts avant de produire des avantages, peuvent se heurter à une opposition politique moindre si le poids du changement politique est supporté dans un premier temps par les chômeurs. En effet, ces derniers sont moins susceptibles que les employeurs ou les salariés en place de constituer une majorité politique capable de bloquer la réforme, dans la mesure où ils sont moins nombreux et souvent moins organisés.»
Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas, nous direz-vous. Mais ont-ils vraiment changé ?
A l'annonce de la terrible cure d'austérité que Mario Monti va infliger au peuple italien dès Noël, plan qui aura pour effet de creuser davantage les inégalités dénoncées dans son rapport, Angel Gurria a salué ces mesures, estimant qu'elles «contribueront de manière significative à renforcer l’euro»... On ne se refait pas.
SH
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