Tandis que les USA et leurs alliés de l’OTAN progressent vers le Sud pour renforcer leur emprise sur l’Afrique, après avoir pris possession de la Libye et de ses gigantesques champs pétrolifères, la plupart des dirigeants africains semblent approuver leur réinsertion dans l’Empire. L’AFRICOM se trouve déjà dans une position favorable, où les Africains eux-mêmes l’ont placée.
Les USA et leurs alliés ont entamé une offensive en Afrique et en Asie, une attaque par plusieurs côtés qui dans plusieurs régions rappelle une « blitzkrieg ». Cette agression enragée a débuté avec la transformation de l’OTAN en corps expéditionnaire pour renverser le régime libyen, et s’apprête maintenant à détruire l’ordre laïc syrien. Bien que depuis des années on se soit appuyé sur des plans visant à changer ouvertement ou discrètement les régimes de pays ciblés, en parfait accord avec l’impératif historique du capital mondialisé : soumettre à la matraque la planète entière pour en faire un marché docile aux ordres de Washington, Londres et Paris, l’offensive actuelle s’est heurtée à une évolution imprévue : le cauchemar d’un réveil arabe.
La perspective d’un printemps arabe au début de l’année 2011 a déclenché une véritable hystérie dans les capitales impériales. Brutalement la rue arabe vous plaçait devant votre propre mort géopolitique. Washington comprend très bien que l’émergence de régimes arabes conformes à la volonté populaire conduirait rapidement, selon l’expression chère à Chomsky, à éjecter les USA de la région - sonnant le glas non seulement d’un Occident assoiffé de pétrole, mais aussi des filiales du capital international que constituent les autocraties putrides du Golfe persique.
Visant à des siècles de domination euro-américaine Washington, Londres et Paris se sont hâtés de faire de l’OTAN l’instrument d’une opération « Shock and Awe » contre leur cible préférée en Afrique du Nord : Mouammar Kadhafi. L’onde de choc de cette démonstration de force a jeté dans les rues de Damas les suppôts de l’impérialisme. Mais l’Afrique est la région la plus exposée sur le sentier de guerre des USA - un continent prêt à tomber dans leur escarcelle grâce aux innombrables liens que les classes politiques et militaires africaines entretiennent avec l’impérialisme. Les Etats-Unis et leurs alliés, les Français au premier rang, sont en position de « croquer » la plus grande partie de l’Afrique avec la collaboration de la plupart de ses gouvernements et surtout des militaires.
L’AFRICOM, créée en 2008 par l’administration Bush , et désormais la créature à part entière de la doctrine d’intervention « humanitaire » d’Obama, revendique la responsabilité militaire de tout le continent hors l’Egypte. Le commando militaire US a réuni un nombre impressionnant d’alliances avec des organisations régionales et des blocs de pays représentant tout le continent à quelques exceptions près -d’ailleurs déjà dans le collimateur. Les USA progressent brutalement vers le Sud après avoir conquis la Libye, mais ce sont les Africains eux-mêmes qui leur ont aplani la route.
La guerre menée par les USA en Somalie, qui s’est intensifiée de manière dramatique avec l’invasion éthiopienne soutenue par les USA, a maintenant été légitimée par l’IGAD (International Authority on Development in East Africa), qui inclut l’Éthiopie, le gouvernement somalien fantoche de Mogadiscio, le Kenya, l’Ouganda, Djibouti, protectorat français de facto et nominalement le Soudan.
L’opération - nominale - de l’ONU en Côte d’Ivoire pour renverser le régime de Laurent Gbagbo, dirigée par la France, a été approuvée par l’ECOWAS, l’Union économique qui regroupe 16 États d’Afrique de l’Ouest : le Bénin, le Burkina Faso, le Cap-Vert, la Côte d’Ivoire, la Gambie, le Ghana, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Libéria, le Mali, le Sénégal, la Sierra Leone et le Togo.
L’AFRICOM organise tous les ans de gigantesques manœuvres militaires du nom d’African Endeavor qui entraîne les armées africaines au maniement des « pratiques standard de communication». On leur enseigne les procédures de commando et de contrôle états-uniennes sur des équipements militaires US et sous la surveillance de conseillers états-uniens. En 2009, les armées de 29 pays africains avaient pris part à ces manœuvres. Cette année, 40 nations participaient à African Endeavor, soit la majorité des hommes portant les armes en Afrique.
Plus sournoise encore est la doctrine du « soldat à soldat », qui encourage les gradés de même rang des armées états-unienne et africaines à établir des relations personnelles à tout niveau : général/général, colonel/colonel, major/major et même capitaine/capitaine. L’AFRICOM espère établir ainsi des relations personnelles durables avec les armées africaines, quels que soient les régimes en place.
Au Sahel l’AFRICOM entretient des relations étroites avec pratiquement tous les États qui bordent le Sud du Sahara, depuis l’Atlantique jusqu’à l’Océan indien, sous prétexte de lutte contre le terrorisme. Il s’agit de la Mauritanie, du Mali, du Tchad et du Niger, plus le Nigeria et le Sénégal. Au Nord, l’AFRICOM maintient les mêmes liens avec les pays du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie) et jusqu’à cette année avec la Libye de Kadhafi.
C’est souvent l’AFRICOM qui est la véritable force derrière des interventions dites « africaines ». L’AMISOM, officiellement la prétendue « force de maintien de la paix » en Somalie, se compose en réalité de troupes ougandaises et burundaises, deux gouvernements fantoches au service des USA ; elles fonctionnent comme mercenaires de Washington et sont payées essentiellement par les Américains. 500 soldats venus de Djibouti doivent bientôt s’y joindre. Des années durant l’AMISOM a été la seule force qui a sauvé le régime fantoche de Mogadiscio de l’anéantissement par la résistance des Shabab. Aujourd’hui les combattants de l’Union africaine ont reçu des renforts et mènent, en commun avec les envahisseurs kenyans et éthiopiens, une offensive destiner à prendre en tenaille les Shabab et à les exterminer. La mort vient du ciel sous forme de drones états-uniens basés en Éthiopie et à Djibouti. Et donc une armée qui se dit le bras armé de l’Union africaine est un outil de guerre états-unien dans la Corne de l’Afrique - un conflit que les Etats-Unis ont allumé et qui est également soutenu par l’alliance régionale de coopération, l’IGAD.
L’invasion de l’Érythrée, adversaire de l’Éthiopie et l’un des rares pays à rester en-dehors de la nébuleuse de l’AFRICOM n’est plus qu’une question de temps. Sans nul doute ce sera l’œuvre des « forces armées africaines », soutenues par les USA et la France. L’Union africaine, mouillée jusqu’au cou, ne s’y opposera sûrement pas.
Dès que le dernier bastion loyal à Kadhafi a été tombé, les interventions « humanitaires » d’Obama se sont profondément enfoncées en Afrique centrale ; 100 hommes des unités spéciales ont été envoyés en Ouganda en vue de missions en République démocratique du Congo, dans la nouvelle nation du Sud-Soudan et en République Centrafricaine, un poste avancé du néocolonialisme français, où les Américains avaient expédié le Président haïtien Jean Bertrand Aristide après son enlèvement en 2004. Il est vraisemblable que les « bérets verts » états-uniens viendront à bout des 2000 combattants (environ) de la Lord's Liberation Army - une force que les Ougandais auraient été à même d’anéantir à eux seuls, s’ils n’avaient été occupés à jouer les mercenaires des USA dans tout le continent. (Dans cette région, le second tueur loyal aux USA est le Rwanda, que l’ONU rend responsable de la mort de millions de Congolais).
L’agression contre la Libye était devenue inévitable dès lors que le Nigéria, l’Afrique du Sud et le Gabon s’étaient déshonorés en approuvant la zone d’exclusion aérienne proposée par le Conseil de sécurité de l’ONU. L’onde de choc de l’offensive euro-américaine s’étend vers les Sud et embrasera bientôt le continent entier. La Corne de l’Afrique n’est déjà plus qu’un champ de bataille où règnent le feu et la famine, œuvre des Américains, mais avec le soutien total des Africains et de leurs institutions régionales. En Occident, l’ECOWAS sert de légitimation à la politique impériale, pendant qu’au Sahel les Africains se battent pour trouver des objectifs appropriés aux Américains. Tous les ans les Américains réunissent les militaires du continent pour leur apprendre le commandement et le contrôle de leurs troupes, ce qui rend leurs armées incapables de résister au véritable ennemi : les USA et l’OTAN.
Trompée par une classe politico-militaire désireuse de s’intégrer à tout prix dans le système impérial, l’Afrique est sans défense face à l’agression euro-américaine.
Seuls les bidonvilles et le bush peuvent détourner cette catastrophe. S’ils veulent résister aux Américains et aux Européens, les Africains doivent en premier lieu lutter contre leurs propres gouvernements.
Glen Ford
NdlT: J'ai traduit ce texte car il me semble rectifier un peu la désinformation scandaleuse qui a cours dans les médias français. Cependant je doute que Kadhafi ait jamais joué un rôle positif et en ce qui concerne la Syrie je juge urgent d'attendre. En outre je considère que la France n'est autre chose que le jouet des USA dans cette affaire (et en train de perdre son statut de puissance coloniale, ce dont je me réjouirais si c'était au profit des Africains eux-mêmes et non du monde anglo-saxon.) Enfin je regrette que ce texte ignore totalement les intérêts impérialistes des nouveaux pays émergents, principalement l'Inde et la Chine, qui s'approprient notamment les riches terres agricoles africaines, dont ils ont - contrairement aux USA et à l'Europe, intéressés par les seules richesses du sous-sol ainsi que par une main-d'oeuvre sous-payée - un besoin urgent. Inde et Chine doivent en effet nourrir une population pléthorique sur des surfaces chaque jour réduites par l'industrialisation et le mode de vie occidental. L'article ne voit donc pas que le malheureux continent africain est un terrain de conquête où s'affronte le reste du monde. Ceci posé, Dumont avait raison quand il écrivait, voici déjà près de quarante ans: l'Afrique noire est mal partie.
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