Mohamed El Korso regrette le peu d’enthousiasme que suscitent les questions liées à l’histoire de la part de notre classe politique.
L’historien et ancien président de l’association du 8 Mai 1945, Mohamed El Korso, ne mâche pas ses mots. Pour lui, il est indéniable que le mot « génocide » s’applique parfaitement aux crimes coloniaux perpétrés par la France en Algérie. Joint hier par téléphone, il a réagi à la polémique qui fait rage entre Paris et Ankara en abondant dans le sens d’Erdogan : « Quand vous avez un colonel de la colonisation qui dit, je coupe les têtes, il ne parle pas de couper des têtes d’artichauts, mais celles des Algériens. L’intention de liquider par le sabre et le fusil est réelle et non fictive. Les enfumades et les emmurements qui ont décimé des tribus entières, comment qualifier cela ? », martèle-t-il, avant de lancer : « Le colonel Montagnac disait : tuez tous les hommes jusqu’à l’âge de 15 ans. Est-ce que ça, ce n’est pas un génocide ? Les Cavaignac, Bugeaud, Pélissier ne sont pas venus en villégiature. Ils sont venus liquider tout un peuple et ils ne pouvaient prendre la place de ce qu’ils appelaient ‘les autochtones’ sans commettre de génocide. »
Dans un document publié dans El Watan, Mohamed El Korso fournit quelques faits édifiants à ce propos : « L’armée coloniale expérimenta l’extermination par le gaz un bon siècle avant l’Allemagne nazie. Les enfumades et emmurements dans le Dahra – dans la région mostaganémoise – des tribus Sbih en juin 1844 par le colonel Cavaignac et des Ouled Riah le 19 juin 1854 par le colonel Pélissier ; les fours à chaux de Guelma (mai 1945) ; les cuves à vin (1957) des colons de Tlemcen, Sidi Bel Abbès, ou Zéralda ; le gazage des habitants du Dahra qui s’étaient réfugiés dans Ghar Layachine (1959) – pour ne citer que ces quelques exemples – ne sont nullement une vue de l’esprit.
Le charnier de Chréa, dans la wilaya de Tébessa, qui compte pas moins de 651 cadavres en dit long sur ‘l’œuvre accomplie par la France en Algérie’ » (El Watan du 14 mai 2005). Revenant à la crise franco-turque, Mohamed El Korso considère que l’attitude française dans cette affaire est « schizophrénique » : « La France se permet de donner des leçons aux autres, alors qu’elle ferait mieux de donner des leçons à elle-même. C’est une attitude schizophrénique. On reconnaît les crimes des autres, mais pas ses propres crimes. » « Sarkozy invite chaque pays à regarder son passé et à en tirer les conclusions qui s’imposent. Est-ce que la France a le courage de regarder son passé ? Au lieu de cela, ils ont institué une fondation pour l’écriture de l’histoire afin de blanchir les crimes de la colonisation. »
Le professeur El Korso note que « c’est le Parlement français qui est en train d’écrire l’histoire ». Il rappelle en l’occurrence l’épisode de la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance du « rôle positif » de la colonisation ainsi que le vote d’une loi sur les harkis.
« La réaction d’Erdogan est une véritable secousse »
Mohamed El Korso salue la position du Premier ministre turc. « L’attitude d’Erdogan est digne. C’est une véritable secousse », se réjouit-il. « L’attitude française vis-à-vis de la Turquie n’est pas culturaliste, mais éminemment politique. C’est une provocation. Et la réaction d’Erdogan est à la mesure de cette provocation. » Pour lui, le timing de cette dernière loi trahit des visées « électoralistes ». « Sarkozy sort ces questions à la veille de chaque élection présidentielle, comme ce fut le cas en 2005. Sarkozy avait terminé sa campagne présidentielle dans le sud de la France, à Montpellier, Toulon et Perpignan où vivent beaucoup de pieds-noirs et d’anciens membres de l’OAS. La France n’a jamais connu un président aussi provocateur », assène-t-il.
Mohamed El Korso regrette le peu d’enthousiasme que suscitent les questions liées à l’histoire de la part de notre classe politique : « Il est navrant de constater le silence de la classe politique en Algérie. Nous n’avons noté aucune réaction de sa part. Elle a visiblement d’autres chats à fouetter. » Le professeur El Korso estime qu’il serait malvenu de parler après Erdogan : « C’est un peu trop tard pour réagir dans le sillage d’Erdogan. Cela relèverait du plus bas mimétisme. » Il déplore qu’au niveau officiel, il n’y a pas de loi claire qui réponde à l’acte législatif français : « Ils (les Français) veulent solder le passé avec notre bénédiction et notre silence. On a eu une bonne opportunité pour réagir, mais on a jeté dans la poubelle de l’histoire la proposition de loi sur la criminalisation du fait colonial, quand bien même elle était imparfaite. » « Il y a de bonnes choses qui se font sur plan de l’écrit, mais la meilleure réponse à la France doit être politique. Il faut un travail sérieux avec l’apport de spécialistes pour aboutir à une loi criminalisant la colonisation » ; conclut-il.
Mustapha Benfodil
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