Il n'avait pas fallu trois heures après le résultat de l'élection présidentielle pour se rendre compte que quelque chose clochait. Au lieu de rejoindre la foule de ses partisans qui l'attendaient place de la Concorde, Nicolas Sarkozy avait préféré fêter sa victoire présidentielle au Fouquet's. Une trentaine de patrons du CAC 40, de grands banquiers, des grandes fortunes l'attendaient dans ce grand hôtel de luxe des Champs-Élysées, se congratulant de l'arrivée d'une nouvelle ère. Jamais la proximité du pouvoir et de l'argent ne s'était affichée avec autant d'ostentation.
Avant son élection, l'entourage de Nicolas Sarkozy avait laissé entendre qu'il prendrait quelque temps de repos et de réflexion avant de prendre ses fonctions. La France l'imaginait s'évader dans un lieu retiré et solitaire, pour méditer sur la lourdeur de sa charge et du pouvoir. Les journaux le découvrirent trois jours après au large de Malte, passant des vacances avec avion privé, yacht de luxe et tout le saint-frusquin…
La rupture était bien en marche, comme l'avait promis Nicolas Sarkozy dans sa campagne. Mais ce n'était pas exactement celle à laquelle avaient pensé les Français. «La droite devrait être décomplexée avec l'argent», avait revendiqué le candidat de l'UMP. Sur ce point, le programme fut totalement respecté. Le régime se laissa emporter par tous les débordements de la richesse, du luxe et de la luxure.
À peine installé, le gouvernement décida de s'attaquer en urgence à tous les carcans qui contraignaient l'économie, brimaient l'esprit entrepreneurial, empêchaient les riches de s'enrichir en rond. Dans la touffeur du mois d'août, les députés furent réunis en assemblée extraordinaire pour légiférer. Il en sortit un texte fondateur des temps nouveaux : la loi Tepa (travail, emploi et pouvoir d'achat). Au nom du «travailler plus pour gagner plus», le slogan présidentiel de la campagne, les salariés eurent le droit de faire des heures supplémentaires, imposables ni pour eux ni pour leur employeur. Ce qui, en temps de chômage massif, eut pour effet d'augmenter un peu plus le nombre de demandeurs d'emploi.
Mais le principal de la loi concernait surtout les riches. Le chef de l'État avait donné comme consigne d'arrêter de les désespérer. Le nouveau gouvernement s'empressa donc de les choyer. Il inventa un mécanisme d'imposition inversée, le bouclier fiscal : plus on était riche, moins on payerait. Et cela allait être vrai aussi bien pour les particuliers que pour les entreprises. Le gouvernement promit que grâce à ce dispositif, des milliers de persécutés fiscaux, qui avaient fui la France, allaient revenir. Cinq ans après , ils ne sont pas cinq cents à être revenus. La France a perdu 70 milliards de recettes fiscales chaque année entretemps.
Dans la foulée, le gouvernement adopta une flopée de lois, libéralisant la grande distribution, permettant le travail le dimanche, supprimant les protections sociales. Les fainéants, les chômeurs, les assistés étaient sommés de se remettre au boulot. Les accidentés du travail devaient désormais passer à la caisse. Il fallait tout de même mettre un terme à cette gabegie sociale.
Au sommet, on n'en finissait plus de faire la fête aux riches. Millionnaires et milliardaires étaient célébrés comme des rois. Après avoir réclamé leur dû, en arrachant des lambeaux de l'État et des biens publics, ils demandaient leur récompense : la grand-croix de la Légion d'honneur devint la marque distinctive de la «patrie reconnaissante». Les convives du Fouquet's furent servis en premier. Les financiers Albert Frère et Paul Desmarais, devenus les heureux propriétaires de GDF par la grâce de Nicolas Sarkozy, le banquier d'affaires Antoine Bernheim, le milliardaire du luxe Bernard Arnault ou plus récemment Marc de la Charrière, vénéré patron de l'agence de notation Fitch, eurent tous le droit à leur cérémonie avec remise de décoration de la main même de Nicolas Sarkozy.
Les autres ne furent pas oubliés. Les Légions d'honneur tombaient comme à gravelotte. Les ministres signaient des demandes de reconnaissance par parapheurs entiers. Pour mieux faire avancer leur cause, quelques-uns découvrirent les bienfaits de certains chemins de traverse. Le Premier Cercle, le club VIP de l'UMP, devint un des endroits les plus prisés de France. Pour une cotisation officielle de 7.500 euros par an, les heureux donateurs avaient le droit de voir en vrai au moins une fois par an Nicolas Sarkozy et entraient dans les petits papiers du régime, breloque à la clé. C'est ainsi que Patrice de Maistre, heureux fondé de pouvoir, chargé de gérer une des plus grandes fortunes de France, eut l'immense privilège de se voir recommander pour la Légion d'honneur par le ministre du Budget, par ailleurs trésorier de l'UMP − mais il y avait malignité à voir un problème dans cette situation, selon le Premier ministre. Pendant ce temps, les dossiers fiscaux gênants étaient vite enterrés. Et le fisc, indulgent, reversait généreusement les millions d'euros de trop-perçus à une poignée de grandes fortunes.
À force de côtoyer les riches et les puissants, Nicolas Sarkozy adopta le même style de vie. Il passa des vacances dans les villas de milliardaires plus ou moins fréquentables au Canada ou au Mexique. Il fit réaménager à grands frais l'avion présidentiel et ne se déplaça plus jamais en province sans une escorte d'au moins 2.000 CRS. L'exemple venant d'en haut, chacun prit ses aises. Les permanents de l'Élysée annexèrent une partie de l'hôtel Bristol, le palace à deux pas du palais présidentiel, pour y tenir leurs grandes et petites réunions, estimant le lieu plus à leur convenance. Une ministre posa en Dior pour la couverture de Paris-Match. Un publiciste depuis quatre générations, érigé
en thuriféraire du régime depuis qu'il avait organisé la rencontre entre le chef de l'État et sa nouvelle épouse, édicta la maxime universelle du sarkozysme : «Si tu n'as pas de Rolex à cinquante ans, tu as râté ta vie.» C'était décidément un drôle de catéchisme !
La crise bouscula cela. Momentanément. Pendant quelque temps, tous eurent peur. Et les dorlotés du système encore plus que les autres : ils avaient tant à perdre. N'écoutant que son courage, Nicolas Sarkozy fit de grands discours. Les irresponsables du capitalisme, les paradis fiscaux, les banquiers, les pouvoirs destructeurs de l'argent, tout cela était fini. Puis la peur disparut et tout recommença comme avant. Les salaires mirifiques du CAC 40, les entourloupes financières, les bonus des banquiers connurent de nouvelles avancées.
Pour donner le change, le gouvernement institua la rigueur comme mètre étalon. Désormais, la règle d'or de l'équilibre budgétaire serait sa marque de fabrique. Une soixantaine de taxes avaient déjà été inventées. Le gouvernement en imagina de nouvelles, dont une sur les boissons sucrées. Il veillait sur notre santé. Restait l'épineux problème du bouclier fiscal. Le gouvernement fit mine de l'enterrer. Il promit de le faire disparaître en 2012. En attendant, en contrepartie de cet immense sacrifice consenti par les riches, l'impôt de solidarité sur la fortune était réformé et abaissé. L'État perdait encore 2 milliards d'euros de recettes.
Pendant ce temps, l'État continua de s'appauvrir et de crouler sous les dettes. Les Français furent désignés comme les coupables, pour avoir vécu au-dessus de leurs moyens, aux crochets du pays. À son arrivée, l'endettement de la France était de 900 milliards d'euros. À son départ, il devrait atteindre 1.650 milliards. En un quinquennat, Nicolas Sarkozy a accumulé autant de dettes que ses quatre prédécesseurs réunis.
Exonérations fiscales
DR26 septembre 2011.
Maurice Bidermann, exilé fiscal sous haute protection
Condamné pour avoir détourné 787 millions de francs dans le cadre de l'affaire Elf, l'homme d'affaires se dit ruiné. Mais sa fortune continue de prospérer entre le Liban et le Luxembourg. Il ne paie pas d'impôts en France car il est résident au Maroc. Mais sa femme vit à Paris et on le voit aux réunions du Premier Cercle de l'UMP. Retour sur un autre cas d'exilé fiscal, qui se félicite d'avoir des amis “haut placés”.
6 juillet 2011. Quand le CAC 40 s'exonère de l'impôt
Comme pour les grandes fortunes, le système fiscal français se montre très accommodant à l'égard du CAC 40. Entre 2007 et 2009, les grands groupes ont payé 10 milliards d'euros d'impôts sur les sociétés, alors qu'ils réalisaient plus de 230 milliards d'euros de bénéfices! Pour eux, la France ressemble à un paradis fiscal.
7 juin 2011. Le bouclier fiscal ou comment s'en débarrasserDepuis deux jours, la majorité endure le martyre à l'Assemblée nationale. Il lui faut abolir le bouclier fiscal, dispositif emblématique de la présidence de Nicolas Sarkozy, qu'elle a défendu pendant des mois avant de le renier. La réforme proposée par le gouvernement, plus habile politiquement, est toujours aussi injuste.
3 mai 2011. Bouclier fiscal : tout pour les riches, saison 4
D'une année sur l'autre, le bouclier fiscal démontre qu'il profite surtout aux plus riches: 14.443 contribuables en ont bénéficié en 2010, mais 925 ont capté 60% du montant total des remboursements.
6 avril 2011. Total, 10 milliards de bénéfices, zéro impôt
Alors que le groupe pétrolier a enregistré 10,5 milliards d'euros de bénéfices et qu'il s'apprête à verser 5,2 milliards de dividendes à ses actionnaires, il ne va payer, pour la deuxième année consécutive, aucun impôt sur les sociétés, grâce à un système de niche fiscale.
6 octobre 2010. Ces niches si favorables aux entreprises
Un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires a évalué les mesures sociales et fiscales dont bénéficient les entreprises à 150 milliards d'euros chaque année. La révision de certains dispositifs permettrait d'économiser de 15 à 29 milliards d'euros par an. Ce n'est pas le choix du gouvernement.
21 juillet 2010. Ces dix années de cadeaux fiscaux qui ont ruiné la FrancePlusieurs études officielles établissent que les finances publiques françaises seraient presque florissantes, malgré la crise, si les impôts n'avaient pas été abaissés à ce point depuis dix ans. Par le plan d'austérité, le gouvernement va donc faire payer aux plus modestes les cadeaux fiscaux dont ont été gratifiés les plus fortunés au cours de la décennie.
Tout pour les riches
18 juillet 2010. Visite guidée de Chantilly, le kolkhose de riches
Chantilly, la ville du ministre Éric Woerth. Avec les sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot (photo), inlassables scrutateurs de la haute bourgeoisie, un parcours guidé des lieux symboles de ce “kolkhoze” pour riches, où l'entraide est la règle d'or…
8 juillet 2010. L'île d'Arros et ses mystères
L'île d'Arros, joyau des Seychelles, serait une propriété de Liliane Bettencourt destinée à François-Marie Banier. Logée dans une fondation au Liechtenstein, elle n'a jamais été déclarée au fisc français.
1 juillet 2010. Le ministre du Budget rembourse 30 millions d'euros à Liliane BettencourtLiliane Bettencourt a reçu de l'État, en mars 2008, une somme de 30 millions d'euros au titre du bouclier fiscal. Un virement effectué avec l'aval du ministre du Budget de l'époque, Éric Woerth, dont la femme gérait la fortune de la milliardaire.
30 juin 2010. Le Premier Cercle, enquête sur les richissismes donateurs de l'UMP
Mediapart a enquêté sur le “Premier Cercle”, structure créée par Nicolas Sarkozy pour draguer les grandes fortunes. Entre champs de courses et chasses privées, entre Paris et Neuilly, plongée au cœur de la comédie humaine des grands de ce monde.
7 octobre 2009. Jeux en ligne : la loi du Fouquet's
Alors que la session parlementaire débute à peine, que les sujets d'importance foisonnent, le gouvernement a décidé d'inscrire à l'ordre du jour l'ouverture du marché des jeux en ligne et la fin du monopole de l'État en la matière. Éric Woerth, ministre du Budget, affirme que tout doit être réglé «avant l'ouverture du Mondial de football en Afrique du Sud [prévue en juin 2010]». Les pressions des amis se sont multipliées pour accélérer le projet.
7 mai 2009. Partage des richesses : le rapport que Sarkozy oubliera
Réalisé à la demande de l'Élysée, le rapport de Jean-Philippe Cotis, directeur général de l'Insee, va relancer le débat sur le partage des profits dans l'entreprise. Ce rapport pointe la quasi-stagnation des salaires réels, l'envolée des plus hauts revenus et le poids croissant des dividendes. Même en temps de crise, les groupes du CAC 40 maintiennent leur choix: ils s'apprêtent à distribuer quelque 35 milliards d'euros à leurs actionnaires. La somme est en baisse de 14% mais leurs bénéfices, eux, ont chuté de plus de 40%.
23 avril 2008. Les revenus des grands patrons du CAC 40 battent des records en 2007
L'examen des 30 premiers «documents de référence» des grandes entreprises du CAC 40 l'atteste : les revenus des grands patrons ont atteint de nouveaux sommets historiques en 2007. En plus des salaires et des avantages divers, ce sont surtout les plus-values sur stock-options et, dans certains cas, les dividendes, qui ont véritablement explosé.
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