vendredi 2 décembre 2011

« Susciter l’homme de la liberté contre l’homme du destin »

Discours du président Thomas Sankara du 4 août 1985


Ce discours n’existait que sous forme de fichier audio. Il était donc resté jusqu’ici inédit et n’avait donc pas été publié. La retranscription a été réalisée par Ulysse Perez. Qu’il soit ici remercié. La rédaction du site 


Camarades de la Révolution démocratique et populaire,

Avant toute chose, je voudrais de¬mander à chacun de nous d’observer une minute de silence, minute de silence en hommage, à la mémoire de nos chers disparus, tous ceux qui, connus ou inconnus, ont payé de leur sang pour qu’aujourd’hui nous puissions fêter l’An Il de la RDP.
Je vous remercie.

Honorables invités du Burkina Faso, Représentant le gouvernement de la République du Mali, Représentant le gouvernement de la République française, Représentant la Jamahiriya arabe libyenne populaire, Représentant la République du Ghana,
Chers amis,
Camarades militantes et militants de la RDP.

Lorsqu’il y a un an jour pour jour, je m’adressais à vous peuple burkinabè de toutes conditions pour vous apporter le salut militant de la RDP, je mesurais certes le chemin parcouru en un an, j’appréciais comme vous la résolution et la fermeté révolutionnaire dans l’enthousiasme autour du Conseil National de la Révolution (CNR) pour annoncer de nouvelles rives face au vaste océan de menaces et d’efforts. Je n’étais alors que convaincu de la justesse de notre cause. Seule était présente en moi, la croyance que le but de nôtre révolution était la révolution elle-même, c’est-à-dire, cette recherche constante du bonheur de notre peuple, cette montée de la vie, cette création continue de formes colorées de clairs paysages sur les ruines des murailles qui nous maintenaient prisonniers.

Thomas Sankara


Le deuxième anniversaire de la victoire révolutionnaire et populaire du 4 août 1983 ponctue une étape qualitative nouvelle dans notre marche en avant. C’est pourquoi sa célébration doit revêtir dans tous ses aspects une marque supplémentaire de maturité et de lucidité dans notre méthode de penser nos problèmes et notre façon de les résoudre.
Malgré l’extraordinaire mobilisation de nos masses pour déplacer des montagnes, nous sentions que nous avancions encore dans une demi-obscurité tiède où se croisaient les bons sentiments, la générosité, un monde mal délimité d’où allaient surgir menaçants et toutefois pleins d’attirances des difficultés et des sacrifices qui pouvaient être vains.

Mais aujourd’hui, date de notre deuxième anniversaire, nous affirmons, à partir de ce que le monde entier et le peuple burkinabé en particulier voient et constatent, que le premier élan révolutionnaire d’août 1983, fruit d’un effort qui rend fier et console était nécessaire, puisqu’il nous a conduits vers plus de lumière, rendu possible notre dignité et notre indépendance. L’œuvre bâtie était utile. Nous avons maintenant raison d’être résolument optimistes.

Il ne s’agit pas simplement de dresser des bilans que nous n’avons aucune envie de trompéter, mais de la certitude acquise du cours de ces deux années de lutte au côté du peuple burkinabè qu’il s’est passé ici au Burkina Faso, des preuves qu’il est désormais possible de bâtir un monde nouveau à la condition de vouloir l’édifier sur des bouleversements considérés jusqu’ici comme inimaginables, à la condition aussi de parvenir à associer à ces transformations le plus grand nombre.
Il est évident que le Faso est devenu un vaste chantier et même au moment où je vous parle, quelque part, des femmes, des hommes et des enfants mobilisés dans leurs comités de défense de la révolution sont en train de commencer ou d’achever une école, un dispensaire ou une retendue d’eau. Des cités du 4 août ou de l’An II s’ouvrent, des magasins populaires Faso Yaar s’inaugurent, des travaux d’intérêt commun se mènent, etc.

Le travail productif et libérateur commence à être accepté et compris comme la condition première et la garantie essentielle de l’amélioration concrète de nos conditions de vie. Nous avons le droit et le devoir d’en être fiers. Nous avons le droit et le devoir d’exiger plus de nous-mêmes et d’oser réaliser encore plus pour trans-former nos conditions matérielles de vie. Chaque Burkinabè sait qu’aujourd’hui, il travaille et il produit pour lui-même, pour ses enfants et pour sa patrie.
Au regard de tout ce qui reste à construire, ce qui est fait aujourd’hui ne représente qu’un test positif de notre détermination à rejeter définitivement l’idéologie de soumission, de mendicité et d’attentisme, de fatalisme qui caractérise toute société sous domination étrangère.

Le bilan de l’An II de la RDP doit être principalement axé sur l’évaluation objective du degré de transformation de l’homme burkinabè qui doit construire le Faso nouveau et sa société nouvelle.
Jusqu’à quel niveau nos principes et nos idées de justice, d’amour, liberté et d’honnêteté dans la recherche légitime du bien-être, ont-ils pénétré dans nos consciences ? Jusqu’à quel niveau ces principes et ces idées révolutionnaires se manifestent-ils dans notre vie quotidienne, privée ou publique ? Jusqu’à quel niveau, ces principes se traduisent-ils effectivement dans nos relations sociales et professionnelles, dans la rue, au bureau, à la caserne et sur les chantiers ?

Tout en nous réjouissant de nos conquêtes définitivement arrachées à l’impérialisme, portons à la conscience de tous que la révolution peut être autre nature que rythme brisé, symphonie, manifestation esthétique, intéressante en son jaillissement, mais totalement dépourvue lorsque retombant sur elle-même, elle se pétrifie. Certes comparée à tous les régimes du passé, nos réalisations en deux années de labeur populaire sont au-delà de toute attente.

Laissons parler nos contempleurs et leur presse à qui nos mille succès interdisent de masquer nos progrès, de s’enfermer dans le silence indifférent et malhonnêtement voilant, sinon que de nous reconnaître nos mérites. Et même lorsqu’ils tentent de dénaturer la réalité, les faits têtus, notre meilleure arme, est là qui nous défend et leur arrache des applaudissements à leur corps défendant. Mais notre fidélité aux principes affirmés tant dans la proclamation du 4 août que dans le Discours d’Orientation Politique du 2 octobre 1983 n’aura de sens que si nous parvenons à réaliser une société en totale harmonie avec elle-même.
Dans le Discours d’Orientation Politique au chapitre touchant à la « révolutionnarisation de tous les secteurs de la société burkinabé » nous écrivons : citation


« la Révolution d’août ne vise pas à instaurer un régime de plus en Haute-Volta. Elle vient en rupture avec tous les régimes connus jusqu’à présent. Elle a pour objectif final l’édification d’une société voltaïque nouvelle au sein de laquelle le citoyen voltaïque animé d’une conscience révolutionnaire sera l’artisan de son propre bonheur, un bonheur à la hauteur des efforts qu’il aurait consentis. Pour ce faire, la révolution sera, n’en déplaise aux forces conservatrices et rétrogrades, un bouleversement total et profond qui n’épargnera aucun domaine, aucun secteur de l’activité économique, sociale et culturelle. La révolutionnarisation de tous les domaines, de tous les secteurs d’activité, est le mot d’ordre qui correspond au moment présent. Fort de la ligne directrice ainsi dégagée, chaque citoyen, à quelque niveau qu’il se trouve, doit entreprendre de révolutionnariser son secteur d’activité »(fin de citation).

La mission est tracée. Elle est claire. Qu’en a été l’exécution ? Nous avons à notre actif, des acquis non négligeables. Passons-en quelques-uns en revue :

La réforme agraire et foncière a brisé l’exploitation féodale et rétabli le peuple dans son droit à la terre et dans celui de disposer des fruits de sa production.
Des champs collectifs, créés par les agents de l’administration ont vu récemment le jour et où, tout en participant même de façon gauche, des hommes et des femmes apprennent ou réapprennent le travail de la terre. Ils en découvrent les joies cachées qu’ils ne manqueront pas de savourer même `à la retraite et nos opérateurs économiques ont été intéressés à l’agriculture.
Le Burkinabè a compris comme une nécessité vitale pour l’économie et l’environnement, la préservation de la nature, notamment par un reboisement intensif, l’abandon de la pratique destructive des feux de brousse et de la divagation des animaux, prédateurs de notre verdure.
Le monde paysan est de plus en plus consulté et il participe plus étroitement à l’exercice du pouvoir économique, notamment par la fixation des prix des produits agricoles.
Les diverses foires provinciales qui se sont tenues au cours de cette année tout en révélant nos immenses potentialités agro-pastorales et industrielles, sont un facteur certain de promotion de notre économie.
Sur le front social, et pour répondre au problème du logement, nous avons construit des cités, entrepris des lotissements à grande échelle sur toute l’étendue du territoire.
Dans le domaine de la santé, des structures décentralisées ont été mises en place afin de faciliter et de promouvoir un mieux-être dans les communautés de base. La vaccination commando reste encore dans nos mémoires comme un effort gigantesque et une réussite pour barrer la route à la maladie. Cette vaccination commando et la grande bataille du rail sont de ces audaces que seule la révolution permet.
Sur le plan financier, un effort d’as¬sainissement a été opéré au niveau de certains services, notamment la Douane. L’Etat fait face de plus en plus intégralement à ses obligations financières intérieures et extérieures grâce aux sacrifices consentis par tous, mais aussi à une plus grande rigueur dans la gestion.
Sur le front de la justice, les TPR ont imposé une morale nouvelle conforme aux intérêts du peuple. L’administration pénitentiaire a été réorganisée afin de permettre aux détenus, force potentielle, de devenir productifs et de s’amender vis-à-vis de la société. C’est ainsi qu’a Baporo, 40 détenus exploitent brillamment 50 ha, confirmant ainsi qu’il est possible de bâtir une morale de progrès quand l’homme est déterminé à mériter le pardon populaire.
Nous avons renoué avec le sport, le sens de l’effort et nous avons montré notre volonté de revaloriser notre patrimoine culturel. L’une de nos initiatives dans ce sens est l’institution de la Semaine nationale de la culture dont la 3ème édition aura lieu à Bobo-Dioulasso au dé¬but de l’année 1986.

Et si nous prenons la peine de transcender les lieux communs et les propos irresponsables qui parlent de peur sinon de terreur dans nos services administratifs, il existe une morale et une éthique nouvelle que les enseignements des Tribunaux populaires de la révolution nous ont aidé à mettre en marche.

Le fonctionnaire responsable, honnête et courageux est fier d’avoir été hier et de demeurer aujourd’hui encore propre moralement. Il va et vient en toute liberté, marche la tête haute et fait figure de travailleur modèle, digne et respecté dans notre société. Il se délecte à écouter la radio lors des procès. La conscience tranquille, il ne redoute nullement d’être convoqué à comparaître. Et même s’il était, ce serait avec fierté qu’il se précipiterait devant les juges pour aider à la manifestation de la vérité en révélant les dessous sordides des gloutons d’hier.

De nombreux Burkinabé sont aujourd’hui heureux que par le biais des TPR, la probité, l’humilité, le respect de la chose publique aient été mis à l’honneur. Ils sont heureux eux qui hier ressemblaient aux dindons de la farce parce qu’ils se refusaient à choir dans la gangue de la cupidité, de l’irresponsabilité et des vices d’hier.
Par contre, ceux qui n’ont pas la conscience tranquille perdent le sommeil et recherchent la première oreille complaisante ou complice pour souffler que « tout le monde a peur, on ne peut pas ou on ne peut plus travailler en paix, on dégage n’importe comment et c’est la terreur ».

Mais nous devons continuer et nous allons continuer à épurer l’administration de ceux-là qui veulent être payés à ne rien faire d’autre que la recherche des failles pour détourner les biens du peuple.
Rappelons-nous cet agent qui, face aux TPR disait effrontément que lorsqu’il arrivait à Ouagadougou pour soi-disant verser les impôts des paysans au Trésor, il commençait par faire un tour dans un bar. Ces tours ont totalisé la bagatelle de 9 millions de francs CFA de détournement. Non seulement il vole l’argent et le dilapide, mais il prétend avoir une nombreuse famille à nourrir pour attirer la pitié du tribunal et de l’opinion. Et ces paysans auxquels on a volé cet argent ? Ils sont sept millions et on veut les opposer à une seule famille pour justifier le fait de les avoir rançonnés jusqu’au dernier centime ? La commisération que suscite la famille éplorée du dégagé ne peut faire oublier la pitié due à tout un peuple victime de la privation que lui impose l’irresponsable.

Notre société est en train de mûrir, de se souder et les Burikinabè commencent à , comprendre et à accepter la nécessité de la solidarité au-delà de la petite cellule familiale, tribale ou villageoise.
Lorsque les enfants de Ouagadougou ou les femmes de Orodara cotisent pour aider les sinistrés de Gorom-Gorom ou d’ailleurs, cela est un signe qui ne trompe pas. Nous devenons chaque jour, de véritables frères, les uns pour les autres.
Lorsque des militants CDR venus de différentes provinces construisent le canal du Sourou ou posent les rails pour le chemin de fer du Sahel, ils ne pensent plus à leur région ou à leur province d’origine. Ils pensent au Faso en entier, à son progrès, à son développement, au profit de tous ses fils.
La noblesse de tous ces gestes et de - toutes ces actions collectives, l’enthousiasme dans le travail et la fierté de bâtir dans le sacrifice et la souffrance physique, doivent nous donner chaque jour, beaucoup plus de confiance en l’avenir, car nous apprenons à compter sur nos propres forces unies et orientées vers la recherche d’un bonheur légitime et juste.

On entend de moins en moins, les voix paresseuses, habituées à tendre la main vers les autres pays pour obtenir la pitance alimentaire, souvent objet de honteuses spéculations et de chantages vils, entre nous-mêmes et entre nous et les pays étrangers.
Pour le bonheur du plus grand nombre, ces mesures quelles que terribles qu’elles fussent, il fallait les prendre. Nous les avons prises. Mais c’est très certainement le lieu de dire quelle peine nous ressentions en décidant ainsi. Combien tout au long de l’année nous avons souffert avec ces centaines de familles bousculées dans leurs habitudes, dérangées dans leurs mentalités et obligées d’opérer des réajustements psychologiques douloureux, afin de vivre au niveau réel de notre pays.

Nous avons fait beaucoup de choses ensemble, de petites comme de grandes réalisations. Mais nous ne voulons pas étaler ici un catalogue de succès. Et si nous avons des motifs de joie, il y a aussi des points d’ombre qu’il nous appartient d’éclairer afin de mieux les connaître et parfaire notre démarche révolutionnaire.
Camarades, vous l’avez noté, j’ai voulu à la place d’une litanie de succès matériels, relater ici ce qui me parait avoir le plus frappé l’esprit du Burkinabé, pour développer cette mentalité nouvelle, condition « sine qua non » de toute révolutionnarisation. A la place des dispensaires et dépôts pharmaceutiques nous pourrions même réaliser d’immenses hôpitaux complexes et sophistiqués, que le progrès, le vrai, ne sera pas pour autant atteint tant que l’homme n’aura pas été transformé lui aussi.

La société nouvelle exige des mentalités nouvelles. C’est pourquoi il faut courageusement se livrer à un examen sans complaisance de nos deux ans de RDP. Qu’est-ce qui mérite d’être changé dans nos habitudes, dans notre façon d’être révolutionnaire ?
D’abord le pouvoir populaire : acquis principal de la RDP, il s’exerce de façon insuffisamment correcte. C’est le cas au niveau des CDR géographiques. Conséquence du degré des maturités poli¬tiques, le subjectivisme et les abus sont vite apparus. C’est ainsi que les vexations, les frustrations, les contrariétés diverses, ont entaché le dialogue de construction nationale entre CDR et personnes encore hésitantes vis-à-vis de la RDP. Lorsque de véritables accidents et incidents sont venus s’ajouter, nos ennemis ont eu force quantité d’eau à leur moulin de dénigre¬ment, d’intoxication contre nous.

A l’an III de la RDP, nous devrons corriger sérieusement ces égarements pour lesquels nous avons mille excuses, la révolution n’étant pas une garden-party de snobs dandies aux gants blancs ! Il nous faudra extirper des rangs de nos CDR les aventuriers, les imposteurs et les tartuffes opportunistes, situationnistes ; ils sont incapables de lutte conséquente.
C’est de leurs rangs que se dégagent les néo-féodaux, les triomphalistes et les phraséologues platement ambitieux et exerçant le pouvoir comme un droit dynastique, leur préoccupation révolutionnaire se résume à s’assurer d’étroites relations au niveau des dirigeants les plus hauts placés. Ces seigneurs de guerre-là, ces anciens combattants du dernier show de spectacle réactionnaire de -votez pour moi- devront être pris en main, formés, voire transformés.

Au niveau des CDR de service, de vigoureux correctifs devront être apportés. Après s’être d’abord détournés de nos CDR, certains activistes d’aujourd’hui ont découvert la puissance de cette structure. Spécialistes des slaloms géants, ils n’ont pas hésité à changer subrepticement de caps autant de fois que cela était nécessaire pour se retrouver dans les instances dirigeantes des CDR de service. Il faut dénoncer ouvertement leur équilibrisme et leur habileté à masquer des appétits petits-bourgeois qu’ils dénoncent cependant très fort. Ceux qui utilisent le CDR de service pour s’assurer une promotion fulgurante, une position d’intouchables dans les services et un moyen de règlement de compte devront être aussi recyclés sinon éjectés. Incapables d’assurer courageusement les mesures révolutionnaires qu’ils contribuent à faire adopter, ils se répandent en démagogie et couardise à chaque difficulté.

C’est pourquoi ils redoutent souvent d’avoir à se prononcer sur les cas litigieux délicats, comme la notation. D’autres par un verbiage envahissant constituent de véritables blocages pour paralyser les services. Ces individus devront céder la place aux vrais et combatifs CDR.
Du côté militaire, le laisser-aller, le goût de la facilité vicieuse, le prétexte de manque de moyens, doivent céder la place à un esprit encore insuffisamment spartiate, malgré les bonds réalisés dans l’acquisition d’une plus grande valeur opérationnelle.
Aux forces de l’ordre militaires et paramilitaires, il convient d’indiquer avec insistance que l’agent révolutionnaire de sécurité ne saurait se confondre avec le barbare soudard répressif et inhumain d’hier. Au contraire, la courtoisie, l’amabilité, la serviabilité et un rien de coquetterie achèvent d’ôter à nos forces de sécurité publique une image répulsive sans enta¬mer en rien leur fermeté et leur vigilance.

Dans, notre administration, malgré des succès incontestables, on trouve çà et là la bureaucratie néocoloniale, la paresse, les retards, l’absentéisme, l’incompétence et le manque d’esprit d’initiative qui se traduisent par l’obsession pour les textes. Au lieu de mettre le peuple au-dessus des textes, des agents font le contraire, ils placent les textes au-dessus du peuple. Ils utilisent les textes pour combattre les intérêts des masses et rechercher des pots-de-vin. Le népotisme et le trafic d’influence se rencontrent encore dans notre administration.
Des dirigeants cherchent déjà à créer une nomenklatura et exigent d’être entourés de tout un cordon protocolaire afin d’éviter les critiques et les débats avec les masses. C’est le chemin de l’embourgeoisement qui nous tend la main, avec l’esprit de facilité et de manque de rigueur révolutionnaire dans sa vie privée et publique.

Si, pour favoriser la création, il a fallu laisser libre cours à la fermentation des esprits sans entraves aucune, force est de reconnaître que l’improvisation est encore une composante trop importante de nos méthodes de travail. Nous avons par fois voulu aller très vite et même trop vite. La machine a été soumise à rude épreuve. Mais qu’est-ce que aller trop vite quand on a vingt-trois ans de retard à combler ! L’abattement et l’hésitation ont parfois troublé notre marche, ce n’est pas normal, car la RDP est hardiesse.
Il existe encore beaucoup de défauts, des carences et même des comportements très graves dans la gestion du pou- voir populaire. Le non-respect du centralisme démocratique n’est pas des moindres. De ces défaillances il faut parler et encourager les militants à en parler. Il faut les étaler au grand jour. Les révolutionnaires n’ont pas peur de reconnaître leurs faiblesses et leurs défauts, même face à nos adversaires et nos ennemis. C’est la seule façon aussi de prendre l’engagement de combattre ces défauts publiquement.

En rapport avec les hauts responsables, il existe encore des camarades qui exploitent malhonnêtement la confiance du CNR pour se livrer à des trafics d’influence, à des magouilles pour placer, une sœur, une cousine ou un ami personnel à tel ou tel poste. Ce n’est pas normal. Il faut dénoncer courageusement ces pratiques pour avancer dans la voie révolutionnaire, réussir notre travail de transformation des mentalités et construire une société nouvelle.
Mais, que l’on ne se méprenne guère. Mon propos n’est ni un constat d’échec ni de l’amertume, Révolutionnaire, je ne fais qu’appliquer un principe si cher à tous ceux que la percutante clairvoyance et la rigueur organisationnelle de Lénine gui- dent chaque jour. Ne disait-il pas que la pratique de la critique et l’autocritique est le critère le meilleur pour apprécier le sérieux d’une organisation ! Et si je me suis décidé à livrer publiquement mes appréciations c’est bien parce que je sais qu’il ne viendrait à l’idée de, personne de se pré- tendre plus propre que nous.

Pays des hommes intègres, nous traquons des citoyens pour un bol de riz volé quand ailleurs la triste époque des officiers détourneurs d’aides alimentaires continue de battre son plein impunément. Tout le monde sait que le moindre sou vaillant conduit un homme en prison alors qu’ailleurs des milliards se volatilisent comme dans un roman d’une sarabande burlesque de sangsues. Nos mesures draconiennes ont été imitées ailleurs mais appliquées de façon impopulaire. Car tout en faisant fi des ’droits d’auteur en la matière il nous importe de faire ressortir qu’alors qu’ici les sacrifices profitent au peuple et à lui seul, nos imitateurs eux destinent à leur oligarchie les profits que les efforts du peuple ont procurés. Malheur aux imitateurs.

Camarades ; l’an III de la RDP s’annonce pour nous sous les auspices d’une confiance créatrice. Nous avons labouré et semé, la moisson est prometteuse, mais les greniers ne s’empliront que si nous menons nos efforts jusqu’au bout. Il serait prématuré de s’écouter et de penser à une pause. Cet abandon momentané dans notre course de fond pourrait annihiler notre labeur de deux ans ; alors il sera demandé à chacun de ne point débander ses muscles. Le PPD que nous allons bientôt achever, le plan quinquennal dont nous allons bientôt terminer la rédaction, le budget 1986 que dans les prochains jours nous allons élaborer seront de meilleures occasions pour énoncer les transformations matérielles pour lesquelles nous nous engagerons tout au long de l’an III et des autres années à venir.
Pour l’heure, je me bornerais à vous indiquer ce que tout au long de l’an III de la RDP nous nous attacherons à adopter comme comportement. Du plus petit geste anodin à la décision plus ou moins importante tout s’épouse harmonieuse- ment pour construire un pan entier de notre future identité.

La bataille pour un Burkina vert qui a débuté sur un rythme d’intense mobilisation devra se poursuivre. La victoire dans les trois luttes à savoir : lutte contre la divagation des animaux, lutte contre la coupe anarchique du bois, action de reforestation, cette victoire-là ne s’obtiendra et ne se garantira que si chaque Burkinabè acquiert des réflexes de protection de la nature. C’est pourquoi tout en invitant chacun à entreprendre une production agricole, je voudrais surtout inviter chaque ménagère à entretenir chez elle un jardin potager quel qu’en soit la taille. La récupération des eaux usées lui permettra la production des légumes d’appoint et offrira à chaque enfant même des villes l’occasion d’entretenir des plantes. Je rappelle à tous le mot d’ordre d’un bosquet par village, les aménagements d’espaces verts dans les villes. Au sujet de nos villes j’invite tout un chacun à l’usage massif de la chaux blanche qui en plus de son pouvoir aseptique présente l’avantage de familiariser très rapidement les esprits au respect de la propreté, de la netteté et de l’ordre.

Dans les secteurs, dans les villages, le niveau des CDR et de leurs responsables sera jugé en partie et en fonction du respect de ces mots d’ordre. Prenons l’engagement de ne plus cracher dans les lieux publics pour ne plus indisposer d’autres personnes, et évitant ainsi de propager des maladies. Généralisons les poubelles par famille et respectons celles qui seront désormais aux lieux publics.
Les loyers prévus pour, reprendre en 1986, chacun devra se forcer de se bâtir une maison ou d’avoir son appartement à la SOCOGIB. Afin de garantir l’efficacité de l’utilité de nos CDR d’une part, des agents de l’Etat d’autre part, une structure créée : par le CNR recevra les doléances et ou les suggestions que tout un chacun voudra bien exprimer. Cette structure aura à connaître du comportement des agents de l’Etat dont la médiocrité pénalise d’innocents militants. 10 % de ces agents concentrés à Ouagadougou seront envoyés en province où les hauts commissaires ne manqueront pas d’apprécier leur talent et leur utilité.

Parce que nous voulons une société saine, bien équilibrée, assurée sur ses jambes, fraîche d’esprit et de corps, la RDP a décidé d’introduire le sport à tous les niveaux de la vie de ce pays. Tous les établissements scolaires des villes et des campagnes, tous les ministères, toutes les structures administratives publiques et parapubliques seront désormais concernées par le sport.
Nous voulons un peuple équilibré, disponible, ayant l’esprit d’équipe, le sens du fair-play, de l’ouverture et de la communication. Il a été décidé que le sport sera au cœur de toutes les préoccupations des Burkinabè. Chaque agent de l’Etat burkinabé sera jugé non seulement en fonction de ses compétences, mais également de l’intérêt qu’il porte au sport, Le sport jouera dans son avancement professionnel, il jouera en un mot dans sa vie. En nous amenant à nous surpasser à chaque épreuve, le sport cultivera en nous l’esprit de combativité.

La société idéale à laquelle nous aspirons est loin d’être atteinte. C’est pourquoi il existe toujours des sanctions administratives d’avertissement, de suspension, de dégagement et de licenciement. Car il existe encore des fonctionnaires peu enclins à se défaire des tares de l’administration réactionnaire corrompue, repue et qui pue. Mais le CNR tendra la main aux sanctionnés. Il leur offrira le rachat sous diverses formes et ainsi lorsque leurs punitions auront redressé leurs conduites ils éprouveront la joie de se retrouver travailleurs sains, productifs et fort utiles à la société.
De même, tant que tous nos compatriotes et leurs mercenaires n’auront pas compris que les privilèges des minorités sont révolus et qu’il est vain d’essayer d’envisager la reconquête des paradis anti-populaires, tant qu’ils se laisseront guider par la folie de monter à l’assaut du pouvoir populaire, nous ne pourrons faire autrement que de leur barrer la route, énergiquement. Ces insensés nous contraindront à arrêter, à emprisonner.

Nos ennemis à l’intérieur et à l’extérieur doivent savoir que tant qu’ils vont continuer les intrigues et les complots contre notre Révolution, nous aussi nous allons continuer à nous défendre légitimement. Il est trop facile de financer et d’armer des contre-révolutionnaires pour nous attaquer et se mettre à brandir les droits de l’homme, ameuter les journaux, es agences de presse et des organisations humanitaires pour nous tâcher les mains de sang par avance, sans aucune preuve. Lorsqu’on fait exploser des dépôts à Bobo-Dioulasso et à Ouagadougou, lorsqu’on tire sauvagement sur nos jeunes camarades qui étaient de garde, personne ne s’en émeut et personne n’en parle. Mais dès que nous répliquons, dès que nous réagissons pour sauver notre peuple et sa révolution, il se trouve partout des voix pour sonner l’alerte et déclencher le chœur des pleureuses. La comédie a assez duré. Nous jugerons et nous punirons les comploteurs à la solde des puissances d’argent qui veulent détruire notre Révolution. Cela doit être clair pour tous. Nous disons haut et fort ce que nous faisons au grand jour, face au monde. Et nous avons compris la tactique de l’ennemi. Il nous envoie des comploteurs, des assassins. Lorsque nous les arrêtons, il crie à l’atteinte aux libertés individuelles et nous envoie d’autres comploteurs.

Si nous nous taisons par respect des organisations humanitaires, il persiste et menace de nous renverser et de mettre le pays à sang. Suffit, le chantage a assez duré. Mais magna mine et fidèle à la pédagogie révolutionnaire, nous nous efforcerons d’expliquer et de convaincre. Tous les détenus seront jugés, pour profiter de l’école du peuple, reconnaître leurs fautes, les expier, se considérer avec leur peuple ou s’obstiner dans l’opposition et nous imposer d’adopter contre eux la violence. En attendant, nous réduirons les peines de nombreux détenus, libèrerons d’autres et déclarerons éteinte l’action judiciaire révolutionnaire engagée contre certains d’entre eux, des civils, des militaires, des syndicalistes détenus jusque-là coupables d’atteinte à la RDP et à l’ordre public pourront pour bon nombre bénéficier en cet anniversaire de la grâce présidentielle.

Le CNR espère que chaque bénéficiaire de cette clémence partielle ou totale saura profiter de l’occasion qui lui est offerte de se racheter. Mais si d’aventure une quelconque récidive ramenait l’un d’entre eux devant les forces de sécurité, l’intéressé devra comprendre qu’il aura lui-même légitimé les graves sanctions qu’il aura à subir. Pour permettre toujours à nos femme, à nos sœurs de ne pas continuer à souffrir des désordres des hommes, nous ferons en sorte que les salaires cessent d’être la seule propriété de l’homme pour devenir une propriété familiale. L’Etat ne contraint personne au mariage, mais exige que celui qui fonde un foyer assume ses responsabilités. Nous devons nous mettre à la place de nos hommes et de nos enfants. Il y a des hommes qui transforment leurs femmes en bonne à domicile, leur refusant cependant jusqu’au salaire de bonne, et dissipent en futilités, l’argent destiné au foyer. Ce qui du point de Vue de la morale simple est amoral, et pour la RDP inacceptable. C’est pourquoi, les mesures sont étudiées pour permettre aux femmes de recevoir de leur mari par l’intermédiaire du gouvernement, ce que nous allons appeler le « salaire vital ».

Nous attendons de nos artistes qu’ils rehaussent nos valeurs traditionnelles et singulièrement des musiciens, nous attendons une intégration des instruments traditionnels à leur ensemble moderne et une maîtrise d’un riche répertoire de musique bien de chez nous.
Camarades militantes et militants de la RDP en ce deuxième anniversaire de notre révolution, je voudrais en votre nom à tous redire au monde entier les idéaux de paix, de liberté et d’amitié qui nous animent. Soucieux de pratiquer le voisinage dynamique et positif avec ceux de nos voisins qui nous entourent, nous multiplierons les démarches fraternelles, privilégierons le dialogue pour faire échec aux manœuvres divisionnistes, néo-balkanisantes.

Notre foi en l’unité africaine se consolide davantage au regard des problèmes politiques, socio-économiques qui démontrent que nous n’avons qu’une alternative à propos de l’Afrique face à l’impérialisme : mourir chacun de son côté ou résister, survivre et vaincre ensemble. Notre Révolution communie avec les autres Révolutions sœurs en comprenant et en se préparant à assumer sa part de responsabilité dans l’internationalisme libérateur. En attendant d’achever notre mandat de membre du Conseil de sécurité des Nations-unies, nous ne faillirons jamais à la mission de défenseur du droit des peuples contre la barbarie et la sauvagerie aveugle des bâtes et bruts, de la confrérie internationale des Belzebuth. Nous Sommes fiers et heureux que le peuple Sahraoui chaque jour davantage affirme ses droits, quand en Afrique Australe, les forces patriotiques par leurs assauts répétés commencent à mettre la monstruosité blanche le dos à la mer et à préparer contre elle l’halali.
Nous renouvelons notre soutien au peuple palestinien et à sa direction de lutte qu’est l’OLP dans sa résistance farouche contre le sionisme.
Cet anniversaire que nous célébrons avec les acquis politiques et idéologiques qui s’en dégagent nous confortent dans notre marche à la rencontre de la révolution ghanéenne pour une union qui fait son chemin au mépris des tentatives de blocage développées par l’impérialisme et ses petits servants locaux bavant de rage.

La fête va commencer, je voudrais ex¬primer la gratitude et la solidarité du peuple burkinabé à tous les étrangers qui, vivant chez nous ou hors de notre Faso subissent dans le silence de leur intime conviction les attaques, les sarcasmes et les pressions diverses pour briser en eux l’élan de générosité, de solidarité et de communion ascendante avec la lutte de notre peuple. Ils ont contribué à la caisse de solidarité, posé leur part de rail, planté les arbres avec nous. Ils ont été insultés. Ils n’ont pas répondu. En saluant leur constance, je voudrais leur dire que désormais, nous séparerons l’ivraie du bon grain. Cette ivraie là a rongé notre confiance et épuisé notre patience, déclenché notre colère. Désormais nous ne nous tairons plus devant les calomnies et les sournoises manœuvres de la vermine
Peuple du Burkina, chers frères et sœurs.

Comment ne pas vibrer à l’unisson, marcher à la cadence du pas bloqué avec ces milliers de militants qui dans nos villes et nos campagnes se sont mobilisés pour célébrer deux ans de succès, deux ans d’un test merveilleusement réussi qui donne le droit de défier’ gaillardement et témérairement l’avenir et ses embûches ! La parade à laquelle nous allons assister tout à l’heure ne sera rien de moins qu’une procession à la gloire de notre Faso nouveau, et la marche radieuse vers ce que la RDP nous réserve. Cette année, nous avons retenu le double thème de l’arbre et de la mobilisation populaire. Le reverdissement de notre patrie sera une réalité parce que notre peuple l’a décidé. Et chaque jour qui passe, sa main féconde caresse une terre nourricière généreusement entrainée dans la dynamique du succès sans fin de la RDP.

La mobilisation pour la défense populaire verra les femmes. Et nos femmes coquettement drapées de leurs beaux uniformes, et redoutablement équipées de leurs armements n’expriment rien de moins non plus que cette synthèse heureuse dont la RDP et sa politique de bon voisinage ont le secret. Il s’agit de la rencontre de Venus et de Mars, oui cette tendresse d’amour, de pacifique et conciliante mère, fille ou amante conseillera toujours la paix et la concorde entre les peuples. Mais si quelque oligarchie décadente ou acculée par les masses populaires en révolte, nous provoquait, nous, eh bien, notre vigilance ne sera pas prise en défaut. Car nos femmes d’abord, les autres ensuite ce serait une levée en masse de tout un peuple ; deux années de Révolution ayant rendu possible au Burkina Faso l’heureuse et permanente alliance des professionnels des armes du peuple des profondeurs conduites par les amazones des temps modernes qui tout à l’heure descendront le boulevard de l’indépendance, guerrières au doux sourire, et grâces séduisantes de furieuses résolutions.

Camarades militantes et militants de la RDP, mes chers frères et sœurs du Burkina, je ferme ces pages par un retour au sport, notre Kadiogo nous ayant déjà installé dans la trilogie d’une noria de buts et de victoires depuis le début des festivités. Et c’est pourquoi pour l’An III et pour les années à venir, le Conseil national de la révolution a décidé en faveur des masses populaires la suppression, l’extinction totale des arriérés d’impôts que certains de nos frères continuent à payer lourdement et de façon traumatisante. C’est pourquoi en faveur de l’ensemble du peuple burkinabè dont la discipline et la vigilance sont notre principale garantie contre les attaques d’où qu’elles soient, le CNR a décidé la suppression du couvre-feu. Camarades, comme vous le savez, il s’agit pour nous, de vivre, d’agir et de vaincre de prouver ainsi que nous savons réfuter la défaite, en susciter l’homme de la liberté contre l’homme du destin. A toutes et à tous, à tous nos amis venus de loin, bon et heureux anniversaire.

La patrie ou la mort nous vaincrons !

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