mardi 14 février 2012

Front national: notre contre-argumentaire



Comment évaluer le projet du Front national ? On pourrait l’écarter d’un revers de main, jugeant que les élucubrations xénophobes de la chef du parti d’extrême droite, Marine Le Pen, ne méritent pas de s’y attarder. Solidement installé dans le paysage politique depuis plus d’un quart de siècle, présent au second tour de l’élection présidentielle de 2002, susceptible de bouleverser une fois de plus cette élection, il faut malheureusement prendre au sérieux le Front national.



Mediapart l’a donc fait en s’astreignant à lire, ligne à ligne, les principaux documents programmatiques rendus publics. A quelques jours de la «convention présidentielle» de Marine Le Pen, qui se tiendra les 18 et 19 février à Lille, nous avons passé en revue la totalité des propositions du FN et de sa présidente. Celles développées dans son projet 2012 (lire notre «Boîte noire»), et celles annoncées récemment dans les médias. 

Plusieurs livres et études publiés ces derniers mois donnent des contre-argumentaires, souvents pertinents (lire en page 3 de cet article). Pour notre part, nous avons choisi de produire notre propre boîte à outils pour répondre au projet du FN : une sélection de nos enquêtes et reportages sur le Front national de Marine Le Pen, mais surtout 20 fiches thématiques.

Chacune de ces fiches expose, décrypte et explicite un des 30 volets du projet de la formation d’extrême droite. Jusqu’au 22 avril (date du premier tour), nous laisserons accessibles en page d’accueil du site nos réponses au FN. De ce programme Le Pen, nous pouvons tirer cinq enseignements principaux ; plusieurs d’entre eux constituent des surprises.

Le premier enseignement est que le Front national n’a rien oublié de son histoire et de ses racines. Il est bel et bien le parti de l’extrême droite française, qui va chercher dans l’entre-deux-guerres, le pétainisme et l’antigaullisme une partie de ses inspirations. On pouvait penser cette filiation oubliée pour construire, sous l’influence de plusieurs mouvements de ce type en Europe, un populisme radical. Ce n’est pas le cas.

Le «nouveau FN» continue ainsi à copier-coller de nombreuses propositions du FN de Jean-Marie Le Pen. Si la fille a laissé entendre qu'elle était plus «moderne» que son père, car elle est «une femme de son temps», les fondamentaux demeurent : «préférence nationale» (rebaptisée «priorité nationale»), stigmatisation des étrangers et obsession de l’immigration, rétablissement de la peine de mort par référendum, lutte contre l'avortement, opposition à la légalisation de l'euthanasie, politique familiale nataliste, retour à l'école d'avant 1968, mariage et adoption réservés aux couples hétérosexuels, etc. (lire notre fiche «Un "nouveau FN" bien proche de l'ancien»).

Le deuxième enseignement est plus surprenant. Il tient à la faiblesse de l’expertise, de la précision et de la cohérence de cet ensemble programmatique. L’analyse de l’état de la société française relève d’un salmigondis de revues de presse, empruntant, dans le plus grand désordre, statistiques ou travaux de recherche. Des affirmations contenues dans un chapitre sont contredites dans un autre. Des chiffrages trouvés ici ne sont plus les mêmes là. Des mesures sont clairement hors du cadre idéologique…

Ce manque de cohérence et de fiabilité vient souligner ce qu’est encore aujourd’hui le Front national : le parti des Le Pen, entreprise dynastique, où le travail théorique, la construction d’un corpus idéologique et l’affichage d’une véritable volonté de gouverner ne sont qu’accessoires. Le Front national demeure ce parti tribunitien construit sur les charismes du père puis de la fille. A contrario, imaginerait-on le FN aussi puissant si Bruno Gollnisch en était aujourd’hui le président ? En un quart de siècle de présence massive dans le champ politique, cette formation n’est donc pas parvenue à dépasser le stade des slogans et imprécations. C’est une raison d’espérer.

Le troisième enseignement peut être également une bonne nouvelle. L’immense majorité du programme du Front national est simplement inapplicable sauf à faire de ce pays une table rase. L’essentiel de son programme économique est une vue de l’esprit. L’ensemble des chiffrages est totalement fantaisiste. Le 12 janvier d’ailleurs, la présidente du FN avait convoqué la presse pour une mise en scène de graphiques, tableaux et chiffres. Un mois plus tard, cet exercice de chiffrage était mis à bas par le numéro 2 du FN, Louis Aliot. Invité de «Radio France Politique» le 5 février (voir cette vidéo à 14'15), il expliquait : «Bah... c'est financé, il suffira de mettre le budget en ordre de marche, de récupérer la compétitivité, la croissance, de faire des économies, c'est de la macro-économie.»

En plein exercice incantatoire, Louis Aliot ajoutait : «Il faut dire : la candidate c'est Marine Le Pen, il y a un projet. Il y a des économies à faire sur des postes budgétaires, c'est une économie d'ensemble qu'il faut voir, il ne faut pas sectoriser les mesures.»Marine Le Pen tombe ainsi en plein dans le travers qu'elle croit voir chez ses adversaires : «des slogans publicitaires aussi vides que creux». La campagne électorale peut ainsi être un moment de pédagogie citoyenne qui permettra de démonter un programme fantasmatique : à condition, justement, que ses adversaires en fassent une priorité.

Le quatrième enseignement
est, lui, des plus inquiétants. On peut juger inapplicable ce projet et constater dans le même temps qu’il est porteur de ce qu’il faut bien appeler une guerre civile. Les remises en cause fondamentales des droits et libertés des citoyens, le pétainisme social, l’exacerbation de la priorité nationale articulée à une persécution des étrangers ou des Français d’origine étrangère sont autant de garanties de mettre le pays à feu et à sang.

L’isolement d’une France barricadée derrière ses frontières, ayant rompu avec l’Europe, donc indirectement avec les autres puissances démocratiques, est un autre danger funeste. Enfin le désastre économique programmé et la ruine de pans entiers de notre économie (agriculture, par exemple) rendraient simplement insupportable au pays une telle thérapie. On objectera que les programmes sont faits pour ne pas être appliqués. C’est d’ailleurs ce que le FN avait fait dans ses très rares conquêtes électorales locales. Les gestions médiocres, faites de renoncements et d’incompétence, de quelques villes vite perdues (Toulon et Vitrolles par exemple) ont montré que ce parti tribunitien ne pouvait passer l’obstacle de la gouvernance.

Le cinquième enseignement est que Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy se marchent dessus trop souvent. Surtout depuis que le président-candidat a énoncé les contours – très à droite – de son projet dans Le Figaro Magazine. Les deux candidats partagent un ensemble de positions (opposition au droit de vote des étrangers, à la légalisation de l'euthanasie, au mariage homosexuel) et de propositions (recours au référendum populaire). Surtout, leurs projets stigmatisent les «assistés» et les étrangers.

Nos 20 fiches (regroupées ici dans un seul dossier):

1/ Un «nouveau FN» bien proche de l'ancien

2/ La sortie de l'euro
3/ La dette 4/ L'«Etat fort»
5/ Economie et social
6/ Agriculture

7/ Immigration
8/ Sécurité
9/ Justice

10/ Logement
11/ Santé et recherche
12/ Education
13/ Ecologie

14/ Place des femmes
15/ Laïcité

16/ Culture
17/ Démocratie et institutions
18/ Presse et numérique

19/ Politique étrangère
20/ Europe


Nos enquêtes et reportages sur le FN

A lire sur Mediapart :

Enquêtes sur le Front national :
- «Quand le directeur de campagne de Marine Le Pen moque le "client-électeur"», enquête du 29 mars 2011.
- «Les chers parrains du Front national», enquête du 18 novembre 2011.
- «Parrainer le Front national: des maires disent plus jamais», enquête du 19 janvier 2012.

Marine Le Pen et sa tentative de «dédiabolisation» du FN :
- «Le Pen vs Le Pen: l'impossible normalisation du Fron national», article du 1er août 2011.
- «Front national: les réseaux obscurs de Marine Le Pen», article du 9 septembre 2011.
- «Comment parle Marine Le Pen: une journée dans le Var», reportage du 13 mars 2011.
- «Comment Marine Le Pen construit sa boîte à idées», enquête du 12 janvier 2011.
- «Enquête sur une stratégie de communication», enquête du 21 avril 2010.
- «Marine Le Pen et la grosse bête qui monte», analyse du 14 décembre 2010.
- «Fin de parti pour le FN», enquête du 17 mars 2009.

La riposte au Front national :
- «Face au FN, des stratégies de riposte à géométrie variable», enquête du 1er février 2012.
- «Les syndicats veulent contrer le discours "social" du FN», enquête du 24 mars 2011.
- «Immigrés: une boîte à outils pour répondre à Le Pen et Sarkozy», article du 11 mai 2011.

Le virage soi-disant «social» du FN et sa tentative de récupération du vote ouvrier :
- «Le Pen: son "Vive la sociale" de pacotille inquiète la gauche et l'UMP», enquête du 14 décembre 2011.
- «En Moselle, "la peur du FN n'existe plus"», reportage du 10 décembre 2011.
- «Marine Le Pen reprend le slogan de Mélenchon», billet de blog du 11 décembre 2011.
- «Sur le terrain, le FN n'est pas le "parti des ouvriers"», enquête du 5 octobre 2011.
- «Comment Marine Le Pen parle aux classes populaires», enquête sur les ressorts du vote FN dans les milieux populaires.
- «L'OPA du FN sur la "démondialisation"», enquête du 24 mai 2011.
- «A Saint-Nazaire, les ouvriers veulent résister aux assauts du Front national», reportage du 18 mars 2011.
- «Cantonales: là où perce le FN» et «Ces fractures françaises que révèle la percée du FN». Analyses des résultats du FN aux élections cantonales de mars 2010.

Nos reportages politico-sociaux où la montée du FN est palpable :
- Notre série de reportages sur les classes moyennes et les oubliés.Volet 1, volet 2.
- Nos 12 reportages dans toute la France, lors des cantonales de 2011, ici.
- «Notre cher président nous prend pour des cons»
, reportage à Florange du 15 septembre.
- «Pourquoi la "classe moyenne" n'en peut plus des responsables politiques», reportage du 18 mars 2011.
- «A Arras, la gauche face à la vague Le Pen», reportage du 11 mars 2011.

Nos reportages à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), fief et laboratoire de Marine Le Pen :
- «Marine Le Pen veut faire d'Hénin-Beaumont le Vitrolles du Pas-de-Calais», reportage de juin 2009.
- «Dix jours à Hénin-Beaumont ou comment raconter une drôle de bataille électorale», notre blog de reportages sur le FN lors des municipales partielles de 2009.
- «Une semaine de campagne à Hénin-Beaumont», reportage du 1er juillet 2009.
- «Après Hénin-Beaumont, l'émergence d'un laboratoire de la mutation du FN», article du 18 juillet 2009.
- «Hénin-Beaumont: corruption, clientélisme, bienvenue chez les chtis socialistes!», article du 1er juillet 2009.
- «A Hénin-Beaumont, Marine Le Pen conquérante», reportage du 22 mars 2010.
- «Hénin-Beaumont: un test pour le PS local», reportage pendant la primaire socialiste, en octobre 2011.

A voir :
- Le débat Marine Le Pen / Jean-Luc Mélenchon, sur BFM-TV, le 14 février 2011: les vidéos ici.
- Le débat Marine Le Pen / Nathalie Kosciusko-Morizet : la vidéo ici.

A lire chez nos confrères :

- «Marine Le Pen, l'Europe du chacun chez soi», dossier sur Euroactiv.fr.
- L'extrême droite à la loupe sur le blog des journalistes du Monde«Droite(s) Extrême(s)».



Livres et argumentaires sur le FN

Les think tank :

- Le chiffrage du projet du FN par Terra Nova, proche du PS.
- Le chiffrage du projet du FN par l'Institut de l'entreprise, proche du patronat.

Les chercheurs :



- Le Front national : à la conquête du pouvoir ? (éditions Armand Colin, février 2012), d'Alexandre Dézé, préface de Nonna Mayer. Le FN a-t-il changé ? Maître de conférences en sciences politiques à l'université Montpellier 1, chercheur au CEPEL, spécialiste de l'extrême droite et du populisme en Europe, Alexandre Dézérépond à cette question en étudiant les logiques de fonctionnement du FN, qui oscillent entre une logique électorale de participation au système politique et une logique doctrinale de rejet du système.

- Le monde selon Marine, la politique internationale du Front national entre rupture et continuité (éditions Armand Colin, février 2012), de Magali Balent, chercheure associée à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), chercheure et responsable des projets à la Fondation Robert Schuman et maître de conférences à Sciences Po.

- «Le Point de rupture. Enquête sur les ressorts du vote FN dans les milieux populaires». Etude (quantitative et qualitative – c'est-à-dire avec des entretiens) publiée par la Fondation Jean-Jaurès et réalisée entre fin 2010 et début 2011 par Jérôme Fourquet (directeur adjoint du département Opinion à l'Ifop) et Alain Mergier (sociologue et dirigeant de l'Institut WEI). Le constat ? Marine Le Pen a opéré, depuis son arrivée à la tête du FN, une forte poussée dans les milieux populaires et grignote désormais une partie des classes moyennes. Décryptée sur Mediapart ici.







Les journalistes :

- Marine Le Pen, biographie de la présidente du FN par Caroline Fourest et Fiammetta Venner (éditions Grasset, mai 2011).
- Le Système Le Pen, enquête sur les réseaux du Front national, par Abel Mestre et Caroline Monnot, (éditions Denoël, septembre 2011). Critique du livre sur Mediapart ici.





Les syndicats :



- «FN, le pire ennemi des salariés». Une brochure de 29 pages publiée par le collectifVigilance et initiatives syndicales antifascistes(Visa), rassemblant des adhérents de Solidaires, de la CGT, de la FSU et de la CFDT. 

- «Le faux nouveau FN», l'argumentaire de la CFDT. 

- L'article de Mediapart sur les argumentaires des syndicats, ici.




Les politiques et militants :

- La confrontation, argumentaire anti-FN, de Jacques Nikonoff, porte-parole du Mouvement politique d'éducation populaire – MPEP (éditions Le Temps des cerises, janvier 2012).


- Le Front-antinational (éditions du Moment, juin 2011), de Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie. Une démonstration en trois points : le Front national est loin de la voie de la modération ; sa politique ruinerait les classes populaires ; l'extrême droite n'est pas l'extrême de la droite mais d'une autre nature.





- Réagissez(éditions Jean-Claude Gawsevitch, septembre 2011), de Najat Vallaud-Belkacem (porte-parole de Ségolène Royal en 2007) et Guillaume Bachelay (plume de Martine Aubry), tous deux secrétaires nationaux du PS. Un abécédaire sur le modèle de son Petit Dictionnaire pour lutter contre l'extrême droite (éditions Seuil, 1995) de Martine Aubry et Olivier Duhamel.

- L'argumentaire du PCF, à télécharger ici.

- Les Cinq Mensonges du Front national (éditions Bruno Leprince), de Laurent Mafféis, collaborateur de Jean-Luc Mélenchon. Il s’attelle à démonter le programme frontiste en matière de laïcité, immigration et social, ainsi que sur la sortie de l’euro.

- Le Parti de l’étrangère (
éditions Tribord), d'Alexis Corbière, lieutenant de Jean-Luc Mélenchon et secrétaire national du Parti de gauche. Il revient sur l’héritage idéologique du FN et défend la thèse d’un fascisme à l’italienne, «ni droite ni gauche». Il décrypte méthodiquement les tentatives de référencement à l’histoire de la gauche (Salengro, Jaurès, Schœlcher, Marchais) ou à de Gaulle, récemment déployées par Marine Le Pen.

















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