samedi 18 février 2012

Un sarkozyste doit être nommé à la tête de l'Insee



C’est une promotion qui va faire scandale. Selon nos informations, Nicolas Sarkozy s’apprête à porter à la tête de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) l’un de ses proches, Jean-Luc Tavernier. Il a été de 2007 à 2010 directeur de cabinet d’Eric Woerth, à l’époque ministre du budget.

En pleine campagne présidentielle, la promotion à ce poste d’un ultra-sarkozyste risque d’alimenter la controverse pour une double raison : parce qu’elle contrevient aux engagements d'impartialité pris par le chef de l’Etat, mais en permanence écornés ; parce que la place de l’Insee dans la vie économique française et son statut d’indépendance devraient d’autant plus exiger que cette maison soit dirigée par un haut fonctionnaire reconnu pour son indépendance et son impartialité.

Dans l’immédiat, rien n’est encore officiel : le chef de l’Etat n’a pas encore pris le décret en conseil des ministres qui mettra fin aux fonctions du directeur général actuel de l’Insee, Jean-Philippe Cotis, et installera son successeur. Mais selon de très bonnes sources, l’affaire est définitivement tranchée, et le décret sera pris sous peu, peut-être même dès la semaine prochaine. Le sort de Jean-Philippe Cotis est ainsi scellé : il rejoindra la Cour des comptes. Et Jean-Luc Tavernier le remplacera.

Si la révélation de ce jeu de chaises musicales et la polémique qu’elle risque d’engendrer n'en dissuadent pas le chef de l’Etat, l’affaire va donc faire grand bruit, à l’Insee d’abord, mais aussi bien au-delà de cette maison.

Jean-Luc Tavernier est un proche de Nicolas Sarkozy et l’a accompagné dans toutes ses batailles. C’est donc beaucoup plus qu’un haut fonctionnaire ayant des convictions partisanes ; c’est un militant. De la mi-2005 à la mi-2006, il a fait partie d’un groupe secret d’experts baptisé le « Collège des Dix », qui se réunissait le jeudi à partir de 18 heures, au Sénat, à raison d’une réunion par mois, sous la houlette de l’ancien ministre du budget, Alain Lambert, et qui avait la charge d’élaborer le programme économique de Nicolas Sarkozy pour l’élection présidentielle de 2007.

Aux côtés du libéral patron d’Axa, Henri de Castries, de l’économiste de l’OCDE, Frédéric Gonnand, d’un haut fonctionnaire de la direction des études du ministère du travail, Antoine Magnier, du directeur adjoint du cabinet de Jean-FrançoisCopé, Philippe Heim (qui venait en cachette, pour que son patron, à l’époque en froid avec Nicolas Sarkozy, ne le sache pas), de Pierre Mariani, l’ami de Nicolas Sarkozy, ex-directeur de cabinet au budget qui a pris ultérieurement les commandes de Dexia, la banque franco-belge des collectivités locales en situation de quasi-faillite, Jean-Luc Tavernier a donc contribué à préparer certaines des réformes parmi les plus contestées que Nicolas Sarkozy a mises ensuite en œuvre au lendemain de 2007.

L'acharnement de Sarkozy contre l'institut

Jean-Luc Tavernier a été remercié de son engagement en devenant ensuite, à partir de 2007, directeur de cabinet d’Eric Woerth au ministère du budget. Et à ce poste, il a participé à d’innombrables décisions de ce ministère pour le moins contestables, dont la procédure d’arbitrage qui a fait la fortune de Bernard Tapie. Par décret du 28 janvier 2010 (il est ici), il a ensuité été nommé commissaire général adjoint à l'investissement, aux côtés de René Ricol.

On imagine donc sans peine que la promotion de Jean-Luc Tavernier risque de faire bien des vagues à l’intérieur de l’Insee. Non pas que l’Institut ait jusqu’à présent toujours été protégé de semblables turbulences. Car dans le passé, la gauche, elle aussi, a promu des hauts fonctionnaires qui lui étaient proches. Mais pour beaucoup de statisticiens, les turpitudes des uns ne justifient pas ni n’excusent celles des autres. Beaucoup d’administrateurs et d’économistes font aussi valoir que les engagements de Jean-Luc Tavernier ne peuvent être comparés avec ceux de ses prédécesseurs.

Depuis 2004, à l’époque où il était ministre des finances, et ensuite à partir de 2007, Nicolas Sarkozy n’a cessé de maltraiter l’Insee, qu'il n'aime guère, soit en prenant à son encontre des mesures vexatoires ou d’économies, soit en organisant un projet de délocalisation qui avait en fait pour but un démantèlement à peine caché et une remise au pas. Mediapart en a tenu la chronique au travers de nombreuses enquêtes, que l’on peut retrouver ici, , ou encore .

L'indignation à l'Insee va être d'autant plus forte que les économistes qui y travaillent se souviennent du rôle joué en d'autres temps par Jean-Luc Tavernier quand il était directeur de la prévision, au début des années 2000. Il avait à l'époque accepté que sa direction soit fusionnée dans les pires des conditions avec celle du Trésor. Et du même coup, la prévision était devenue un lieu d'exécution et non plus d'études et de réflexions. Ce qui, pour l'Insee, est un précédent très inquiétant compte tenu du rôle primordial qu'il joue dans la publication d'études économiques, et donc dans le débat public.

En outre, à l'Insee, on fait valoir que le directeur général sortant, Jean-Philippe Cotis, dont les sympathies balladuriennes étaient déjà connues, avait lui-même été porté à ce poste par Nicolas Sarkozy. Cela finit donc par faire beaucoup. Alors, après autant de mauvais coups, la nomination de Jean-Luc Tavernier risque d’être perçue comme le coup de grâce. Un très mauvais coup à un institut qui joue dans la vie économique française un rôle majeur et dont le crédit dépend totalement de son honnêteté et de son… indépendance !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire