mardi 7 février 2012

Notre ci devant Etat de droit




Avant que l'on ne prête si grande attention aux "éléments de langage", ce qui les dégonfle très vite, certaines expressions s'installaient assez durablement au comptoir du café du Commerce. Le niveau des débats participatifs plus ou moins anisés s'en trouvait relevé d'un poil, et les glaçons tintaient en fondant dans la lumière de la modernité heureuse.

"N'oubliez pas, môssieu, que la France est un État de droit."

Disait-on, par exemple, en ne laissant aucune chance à la cacahouète qui traînait par là.

Et il me semble qu'on le dit beaucoup moins.


Mais les glaçons continuent de fondre.

La formule magique était souvent utilisée à contre-emploi, pour clouer le bec du vis-à-vis ergoteur par une manière de dire équivalente à la maxime butoir : la-loi-c'est-la-loi-point-barre. Cette tautologie de fort belle facture n'est évidemment pas fausse, mais elle peut, si on ne la précise pas davantage, être appliquée à toute forme d’État, et particulièrement à ceux qui, bien loin d'être "de droit", montrent un penchant affirmé vers la dictature ou le totalitarisme.

Ce qui particularise le rapport à la loi dans un État dit "de droit", on peut le trouver clairement exprimé dans la page Qu’est-ce-que l’Etat de droit ? du très sérieux et très officiel site "Vie publique", tenu par la Dila- Direction de l'information légale et administrative.

L’État de droit peut se définir comme un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit. Cette notion, d’origine allemande (Rechtsstaat), a été redéfinie au début du vingtième siècle par le juriste autrichien Hans Kelsen, comme un État dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance s’en trouve limitée. Dans ce modèle, chaque règle tire sa validité de sa conformité aux règles supérieures. Un tel système suppose, par ailleurs, l’égalité des sujets de droit devant les normes juridiques et l’existence de juridictions indépendantes.

Le grasseyement, d'origine, indique assez que cette conception de l’État impose à l’État lui-même une stricte observance des règles du droit, avant de l'imposer aux citoyens - ce qui est, autant le répéter, le cas dans n'importe quel État, qu'il se pique ou non de démocratie.

Les très colorées "structures de l’État français",
selon le Dr. Guy Spielmann, Georgetown University (USA).


Les entorses à ces beaux principes ne sont pas si rares que cela dans notre beau pays, notamment dans le traitement des sans-papiers.

Communiqué de la Cimade, en date du 3 février :


Expulsé alors qu'une décision de justice ordonne sa libération !

Un jeune sénégalais a été expulsé par la préfecture du Morbihan alors même qu’une décision de justice avait ordonné sa remise en liberté !

Interpellé à Vannes le 26 janvier, ce jeune homme en situation irrégulière est placé en garde à vue au commissariat de Vannes puis transféré au centre de rétention de Rennes.

Au cinquième jour de sa rétention, comme le prévoit la loi, il est présenté devant le juge des libertés et de la détention qui le libère car son placement en garde à vue avait été illégal.

Le procureur de la République fait appel de sa décision avec effet suspensif de la décision du juge. Le jeune Sénégalais est donc reconduit au centre de rétention où il doit rester à disposition de la justice jusqu’à la décision de la Cour d’appel.

Cependant, malgré l’audience prévue à la Cour d’appel, la préfecture du Morbihan décide de l’expulser et réserve un vol le 1er février à 16h25. La Cour d’appel tient audience le même jour et rejette l’appel du Parquet. Le jeune sénégalais doit donc être libéré. Or indifférente à cette décision, la préfecture du Morbihan l’expulse comme prévu.

Une fois encore, l’administration s’assoit sur une décision de justice. Ce mépris d'une préfecture vis à vis de la justice n'est ni anecdotique, ni exceptionnel. C'est régulièrement désormais que les militants de La Cimade en témoignent, notamment depuis l'entrée en vigueur de la loi sur l’immigration du 16 juin 2011. Ce nouveau texte en effet donne un pouvoir démesuré à l’administration pour qu'elle puisse poursuivre son obsession statistique au mépris des droits et des principes les plus fondamentaux.


On comprend qu'il soit devenu difficile de dire

"N'oubliez pas, môssieu, que la France est un État de droit."

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