mercredi 22 février 2012

Front national: voyage dans l'ordinaire raciste




Les 10 et 11 septembre 2011, la journaliste Claire Checcaglini était aux universités d'été du Front national, à Nice. Comme de nombreux journalistes. A la différence qu'elle était de l'autre côté. De celui des militants frontistes. Celui de la soirée de gala à huis clos. Celui d'où rien ne doit sortir. C'est en fait durant huit mois, de mai 2011 à janvier 2012, que cette journaliste a infiltré le Front national et gravi les échelons du parti. «Puisque le Front avance masqué, j’avancerai masquée moi aussi», dit-elle. Elle s'appelait Gabrielle Picard, nouvelle adhérente venue «pour Marine». Une immersion pour rendre compte de ce que le parti de Marine Le Pen ne laisse pas voir. Ce que les médias ne parviennent pas forcément à raconter.

L'exercice n'est pas nouveau. La journaliste Anne Tristan l'avait initié en 1987 : elle avait adhéré au FN en se faisant passer pendant six mois pour une chômeuse, dans les quartiers Nord de Marseille (lire notre onglet «Prolonger»). Claire Checcaglini n'a pas choisi une cité, mais Neuilly et les Hauts-de-Seine (92). C'est un département hétéroclite où quartiers bourgeois et populaires coexistent. Et c'est le troisième département de France en nombre d'adhésions frontistes (plus de 700, selon les chiffres internes du FN).

Son objectif ? Aller voir ce que dissimule la «dédiabolisation» du parti, ce «nouveau FN» affiché par Marine Le Pen. Le Front national a-t-il changé ? Qui sont ses militants et cadres ? Pourquoi adhèrent-ils ? Qu'est-ce qui les lie ? Pendant huit mois, elle a laissé traîner ses oreilles et parfois son micro. Ce témoignage livre une radiographie des militants frontistes d'aujourd'hui : si l'électorat de Marine Le Pen s'est élargi, sa base militante, elle, n'a pas changé. Une évidence, diront certains ? Encore fallait-il le démontrer.

On découvre surtout, dans la pratique, la stratégie de ce «nouveau FN». Un parti qui, pour arriver au pouvoir, nettoie la vitrine et remise ses personnages et propos sulfureux dans l'arrière-boutique.Un parti où l'on peut tout dire et tout faire, tant que rien n'est public. Où un membre du comité central – et candidat aux législatives – peut écrire ceci. «Nous sommes en campagne...», avertit d'ailleurs la vice-présidente du FN dans un mail destiné à freiner les ardeurs de l'un de ses responsables sur «l'islamisation».

Ce sont ces huit mois qu'elle raconte dans Bienvenue au Front – Journal d'une infiltrée, livre publié le 27 février aux éditions Jacob-Duvernet. Mediapart en publie les bonnes feuilles (lire notre «Boîte noire» et notre entretien avec l'auteure).

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Bienvenue au Front – Journal d'une infiltrée

9 novembre 2011. Au Carré, le siège du Front national, l'auteure discute avec le secrétaire fédéral du FN dans les Hauts-de-Seine. Il lui confie la stratégie de Marine Le Pen par rapport à l'islam.

— Au niveau national, vous avez des consignes pour refuser des militants ?
— Non, mais j’ai dit à Marie-Christine (Marie-Christine Arnautu, vice-présidente du FN en charge des affaires sociales et responsable FN en Ile-de-France - NDLR) : il faut dénoncer l’islamisation, et non l’immigration. Elle me dit : ça fait partie de l’immigration. Je lui réponds que ce n’est pas la même chose. Moi je me fiche des Européens, et même des Chinois. Ce qui me dérange, c’est l’islam.
— Elle aussi, j’imagine.
— Oui, mais elle estime qu’il ne faut pas le traiter comme ça. Il faudrait pourtant qu’on parle de colonisation musulmane pour que les gens comprennent que c’est un peuple qui vient nous envahir et qui nous impose sa culture et sa démographie, et donc que nous allons y passer.
— Sur ce sujet, Marine (Le Pen NDLR) ne passe pas vraiment à l’offensive. Tu la connais personnellement ?
— On se fait la bise, on se tutoie, mais c’est de pure façade. Mais, une fois, j’ai eu un entretien au cours duquel elle m’a donné sa position sur l’islam. Elle m’a dit : voilà la stratégie. Nous n’aurons jamais les voix des musulmans, c’est une cible que je n’ai pas. Si je caresse l’islam dans le sens du poil de temps en temps, ce n’est pas pour eux, c’est pour les Français qui croient encore, ces cons-là, que l’islam est une religion. Ces gens-là, je ne veux pas perdre leur électorat. Si je dis que l’islam n’est pas fréquentable, que c’est la pire des choses, ils me traiteront de raciste et ne voteront pas pour moi. De sorte que pour le moment, c’est eux que je caresse dans le sens du poil.
Alors, je flatte la laïcité, parce que les Français sont très laïcs, ils sont même laïcards, ils estiment que toutes les religions ont le droit de vivre. C’est leur credo, ils ont appris ça depuis qu’ils sont tout petits, le principe de laïcité, ils le trouvent formidable. Donc, je fais en sorte de les flatter. En attendant, le Front ne rentre pas dans le lard de l’islam, et moi ça m’emmerde.
[...]
— Tu ne crois vraiment pas que la position de Marine au sujet de l’islam n’est qu’une stratégie électoraliste et donc qu’elle est véritablement contre les musulmans ?
Sylvain marque un temps d’arrêt : c’est difficile de savoir ce qui se passe dans la tête de nos dirigeants. Je ne sais pas s’ils font ça parce que c’est un bon gagnepain ou s’ils ont vraiment envie de gagner. Quand on veut le pouvoir, on ne fait pas les petites conneries du style « Durafour crématoire ». On ne raconte pas que l’occupation allemande, ce n’était pas si insupportable que ça, compte tenu des personnes qui sont mortes dans les camps de concentration, même s’il y en a un million au lieu de six millions, c’était une horreur. Il y a des images terribles et qui sont vraies. Et puis, mes arrière-grands-parents, ils y sont passés. Il fait chier, Jean-Marie. Mais Marine, au congrès, rappelle-toi, dans son discours, elle a répété six fois le mot pouvoir. Elle veut le pouvoir. Donc, ça me va très bien. De toute façon on veut le pouvoir, quel que soit le moyen d’y arriver. Quand on y sera, on verra ce qu’on fera. Tant pis si on dérape, tant pis si on est à côté de la belle voie qu’on s’est tracée, il faut qu’on gagne !


«On a tous eu des relations avec ces gens-là [les milieux néo-nazis]»

Dîner chez les Maréchal, couple de militants du FN, avec les membres du bureau du FN 92. Christian Maréchal est bien plus qu'un militant : membre historique du Front, il fait partie de la commission de discipline. Catholique traditionnel, il affiche les portraits du maréchal Pétain et de Jean-Marie Le Pen à son domicile. Ce soir-là, il s'inquiète de savoir si l'avalanche de messages «nazis» de Jean-Paul L., un militant frontiste, sont «publics» :

[...] « Mais ces messages sont-ils publics? ». Je le rassure, ils sont tout à fait personnels.
— Il suffit qu’un journaliste tombe là-dessus et l’information remonte, et alors le secrétaire général dit : Sylvain (pseudonyme donné au secrétaire départemental du FN dans les Hauts-de-Seine, membre du comité central et candidat aux législatives à Gennevilliers, NDLR) ne fait pas son boulot ! Toutes les histoires récentes, c’est comme ça que ça c’est passé. En commission de discipline, nous avons dû arbitrer sur des affaires qui n’auraient jamais dû sortir dans la presse.
— C’est exactement ce qui s’est passé pour Gabriac (Alexandre Gabriac, NDLR), le malheureux, ça n’avait pas à paraître dans les journaux, renchérit Nicole.
Le « malheureux » est un ex-membre du comité central du FN et conseiller régional de Rhône-Alpes, pro-Gollnisch, pris en photo faisant le salut hitlérien, d’où son exclusion du parti. Une décision qu’approuve Cédric : « À la veille des cantonales, Marine a été quasiment obligée de l’exclure. La photo, c’était quand même choquant. » C’est alors que, ne sentant pas de répondant en face, Cédric, presque gêné, semble s’excuser dans la minute qui suit : « Enfin, je sais bien que cela ne veut rien dire. » Que fallait-il alors pour qu’un geste ait enfin une signification aux yeux de ce jeune militant ? Cédric n’avait pas le profil de ces néo-nazis, ces skins que le Front a toujours voulu cacher. Rien dans son habillement ne trahissait ce type d’appartenance. Sans doute était-il effectivement satisfait d’avoir vu sa présidente faire la chasse aux nazis affichés en ce début 2011.

Mais un silence désapprobateur avait suffi à lui faire faire machine arrière. Cédric n’était pas là par conviction, mais par une absence de conviction, de conscience politique qui venait de lui faire dire qu’un signe de ralliement à la pire idéologie n’était rien. Il démontrait à cet instant son incapacité à répondre, répliquer, argumenter, protester. Quant à décrypter la stratégie de Marine Le Pen... Pourtant, Christian lui offre l’occasion de se réveiller en faisant une mise au point assez explicite : « Si tu vas chercher pour tous les responsables du Front, mon vieux. À un moment donné, on a tous eu des relations avec ces gens-là [les milieux néo-nazis]. On était avec eux tout le temps, aux congrès du Front, aux BBR, on était avec eux tout le temps », insiste-il. Cédric se tait. Ce rappel de ce qu’est et a été le Front ne suscite pas la moindre réaction chez mon voisin, pas même une moue désapprobatrice.
Le sujet est clos. Sylvain reprend la main et aborde le thème de la formation des militants pour parler en public.
— Il faut dire des choses suivant la ligne du parti, sans s’étaler trop, surtout il ne faut pas en dire trop et ne pas se laisser entraîner là ou les journalistes veulent nous entraîner, conseille Nicole.
C’est alors que Christian, s’adressant directement à moi, commence à me faire un cours de mediatraining... Je savoure.
—Vis-à-vis des journalistes, ce qui est important, c’est de faire passer votre message, il ne faut pas rentrer dans leur jeu et répondre aux questions posées, surtout pas.
J’approuve et finis mon verre par la même occasion. Nous terminons cette soirée par quelques divagations sur la justice. Encore une fois, je remarque un certain décalage de Cédric quant à la ligne du parti et sa nature véritable.
— Au sujet de la peine de mort, j’aurais tendance à ne pas être favorable. Une nouvelle fois, Christian rectifie les propos de
Cédric : « Mais aujourd’hui nous sommes en position d'infériorité vis-à-vis de ceux qui tuent. Nous n'avons pas le droit de les flinguer quand ils font une saloperie ».



Un médecin révisionniste pour plancher sur le programme santé de Le Pen


10 novembre 2011. Colloque sur la santé organisé par «Idées Nation», le think tank du Front national, dans le XVearrondissement de Paris. L'auteure a la surprise de découvrir à la tribune le médecin révisionniste qui l'avait tant choquée aux universités d'été de Nice.

À la tribune, il n’interrompt cette fois personne, le ton est modéré, les propos mesurés. Devant les caméras, Jacques Kotoujansky est un conseiller de Marine Le Pen, tout ce qu’il y a de plus respectable. Le médecin révisionniste rencontré à l’occasion des universités de Nice est donc non seulement un ancien candidat du Front aux cantonales, mais aussi un membre du comité d’action programmatique sur la santé.

Avec quelques autres professionnels du secteur, il a donc concocté les propositions du FN sur la Sécurité sociale pour l’élection présidentielle. Celui qui avait eu une révélation en lisant Robert Faurisson prend en effet la parole parmi d’autres « experts » à l’occasion d’un colloque organisé par le think-tank du FN, le 10 novembre à l’espace Moncassin. Ces manifestations ouvertes au public sont censées démontrer combien Marine Le Pen est entourée de personnes compétentes. Après un bref exposé de chacun des intervenants, elle fait alors un discours sur le thème choisi. Parmi ceux venus écouter la bonne parole des experts et de la candidate, figure Sylvain, à qui je téléphone à ce sujet quelques jours plus tard. Mon secrétaire départemental convient qu’il a été lui aussi surpris de voir Kotoujansky sur l’estrade. Comme j’insiste, il me propose d’écrire à Marie-Christine Arnautu.
— Si tu préfères, je peux lui envoyer un mail, me demande-t-il. Me voilà donc chargée de corriger le courrier envoyé à notre vice-présidente. Je n’y change pas une ligne, ni même un mot. Voici donc ce que recevra celle qui est chargée pour la campagne de Marine Le Pen du volet « social et solidarité nationale ».

« Bonsoir Marie-Christine, Connais-tu bien Jacques Kotoujansky qui est intervenu au colloque sur la santé ? Les adhérents du FN 92 qui étaient venus à l’université de Nice et moi nous sommes retrouvés à dîner avec lui. Il nous a tenu un discours révisionniste et un peu “allumé” du style : “j’ai tout compris, nous sommes tous manipulés par le complot judéo-mondialo-maçonnique”, le tout agrémenté de dates, de chiffres, de noms qui faisaient de lui un expert en tout. Je lui ai répondu que nous préférions nous battre contre des ennemis visibles contemporains et français que contre des ennemis cachés, dépassés et étrangers. Bref, il avait un comportement de prédicateur, qui n’a plu à aucun d’entre nous. C’est avec ce genre de discours que nous faisons fuir les électeurs et les nouveaux adhérents. Nous sommes plusieurs à avoir été surpris de le voir à la tribune et à nous demander quelle était sa part d’influence sur les instances dirigeantes du FN. En sais-tu quelque chose ?
Cordialement,
Sylvain B. »

La réponse est aussi brève que rapide. Sylvain m’en envoie la copie.
« Bonjour, Si j’avais eu le moindre doute sur l’orientation de cette personne, elle ne serait jamais intervenue à notre colloque. Il est évident que jamais je ne l’ai entendue proférer ce genre de choses. Mais je n’ai échangé avec [Jacques Kotoujansky] que sur l’aspect “santé”.
MC »

Avant même de rédiger le courrier à Marie-Christine Arnautu, Sylvain m’explique que si le révisionniste sait tenir sa langue et qu’il peut aider notre candidate dans son domaine de compétence, il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Une semaine avant la tenue de ce colloque sur la santé, la présidente du FN avait déclaré concernant le « détail de l’Histoire » que « le malentendu [avait] duré des années et [avait servi] de base à une caricature qui [avait] nui à notre mouvement ». Elle venait alors de rencontrer à Washington l’ambassadeur d’Israël...

19 novembre 2011. «Banquet des Mille» de Marine Le Pen dans le XVe arrondissement, à Paris, où elle présente son projet présidentiel devant un millier de militants. L'auteure assiste à une discussion entre le secrétaire fédéral des Hauts-de-Seine et Didier et Marcel, deux militants.

— De toute façon, nous avons un problème de surpopulation. Ce qui est terrible, c'est qu'on ne fait rien, on se laisse envahir par des gens qui n’ont pas la même culture que nous... Plus qu’une invasion, c’est une colonisation. Ils nous imposent leur façon de vivre et on les encourage.
— C’est sûr, c’est un fléau. Ça finira par exploser, parce qu’on entend de plus en plus des discours de haine.
— De haine contre la France, vous voulez dire ! C’est la raison pour laquelle la guerre civile, on y va droit, et encore ce n’est pas tout à fait vrai, parce que les Français sont tellement mous, tellement peu combattifs, qu’ils se laisseront faire.
Marcel proteste : « Pourtant, on ne s’est jamais laissé faire dans l’Histoire. »
Arrivent l’entrée au saumon et le vin.
Nous trinquons et Didier, jusqu’ici silencieux, nous expose brièvement les raisons de sa venue au Front.
— Les étrangers, quand on commence à en avoir plusieurs à côté, c’est gênant.
Sylvain n’a donc qu’une solution à préconiser :
— Quand une famille étrangère arrive dans votre immeuble et qu’elle commence à mal se comporter, à faire du bruit et qu’elle fait venir d’autres familles et que votre immeuble se remplit petit à petit, il faut déguerpir. Je recommande aux gens de vendre tant que leur logement vaut encore quelque chose, après c’est trop tard.
— De toute manière, c’est flagrant, la population a changé, poursuit Marcel. Je suis parti à l’étranger durant plusieurs années, quand je suis rentré, j’ai eu un choc. Je ne reconnaissais plus mon pays. L’autre jour, je suis allé à Bruxelles en train. Eh bien, la gare du Nord, ça fait peur, vraiment ça fait peur. Je me suis dit : il y a quelque chose qui me dérange, mais attention, je me défends d’être raciste.
— Si vous commencez à compter les Français de souche, vous vous apercevez qu’il n’y en a pas. Dans certaines villes, il n’y en a plus un seul, vous pouvez le vérifier, suggère Sylvain.
Et alors que, pour la troisième fois dans la conversation, Marcel nous assure de son antiracisme, il nous déclare tranquillement : « Le noir, ça ne me va pas ».
— Et le problème des noirs, c’est que ça se voit, nous signale Sylvain, toujours aussi perspicace et venu ce samedi sans sa compagne martiniquaise, une femme « toute noire », comme il me l’avait un jour décrite.

La dédiabolisation du Front avait sans doute à ce point fonctionné que des remarques ouvertement racistes n’étaient plus considérées comme telles. Marcel paraît tout aussi sincère en nous expliquant qu’il n’aime pas les Noirs que lorsqu’il se défend de tout racisme. Rejeter une part de la population pour sa couleur de peau lui est d’autant plus facile à revendiquer qu’il est incapable de percevoir qu’il franchit une limite, incapable de savoir ce qu’est la discrimination, la xénophobie, l’extrême-droite. Sans doute, sous l’ère de Jean-Marie Le Pen, y-avait-il quelque chose de sulfureux, de provocant, d’ouvertement politiquement incorrect à appartenir au FN. Mais aujourd’hui, à force d’entendre les dirigeants du parti répéter sans cesse que le Front national est respectable, les néo-militants sont-ils sincèrement convaincus de cette mutation. Le mouvement étant soi-disant devenu un parti comme un autre, ne pas aimer les Noirs, les étrangers ou les musulmans est donc devenu une opinion comme les autres.


Un fichier de 7.000 maires constitué par le FN

7 novembre 2011. Réunion des responsables départementaux d'Ile-de-France au Carré. Dominique Martin, le «Monsieur parrainages» de Marine Le Pen (et son directeur de campagne dans la course à la présidence du FN) prodigue des conseils.

— Sachez que si Marine a décidé de vous faire un briefing le 19, c’est parce que ça commence à urger. D’autres, dont Dupont-Aignan, passent en personne pour les signatures or, d’après ce que j’ai cru savoir, il en aurait déjà récolté près de 400. Il va donc falloir sérieusement s’activer. Il est hors de question de prendre la signature des maires à la légère, parce que les expériences précédentes restent douloureuses. Cette année, il y aura encore moins de maires qui accepteront de signer, comparé à 2007 et 2002. C’est la lâcheté des élus. Donc, pour vous aider à les convaincre, vous trouverez dans le classeur tous les arguments à faire valoir. Tous les cas de figure sont envisagés. Il faut vous en imprégner, parce qu’arriver avec le classeur devant le maire et lui dire : attendez, je vais regarder l’argument de réponse numéro tant, ce n’est pas possible.

En revanche, il est possible voire nécessaire de préciser à des cadres du Front qu’ils ne doivent pas lire textuellement en entretien certains argumentaires du document fourni... Pourtant, le fameux classeur contient notamment « les arguments de la réplique », rédigé sous forme de dialogue théâtralisé des plus réussis !

Ainsi, au paragraphe 5 – intitulé : « On vous répond : je ne fais pas de politique dans ma commune » –, il est proposé aux secrétaires départementaux d’enchaîner de la manière suivante : « Personne ne vous demande un engagement partisan. Comme cela a été indiqué, en accordant votre signature, vous attestez simplement que celui-ci est sérieux, crédible et représentatif d’un important courant d’idées dans l’opinion.[...] Marier un couple de fiancés communistes ne fait pas de vous un maire communiste. Enfin M. Le Maire, permettez-moi de sourire, mais comment donc avez-vous été élu ? Il a bien fallu que vous défendiez un programme, des projets pour votre commune au service de vos concitoyens. Si je ne m’abuse, c’est faire de la politique... »

Et « si on vous répond : je vais subir des pressions » ? Là encore, le cadre FN peut apprendre sa réplique par coeur avec, en introduction, ces quelques mots rassurants : « ne soyez pas inquiet, cela n’arrive que très rarement, et ce serait bien le diable que cela tombe sur vous. » Mais, à en croire les déclarations de la présidente du FN, le diable faisait en sorte que cela tombe régulièrement sur les maires signataires... Enfin, si l’élu démarché répond « j’ai déjà signé », là encore avec beaucoup de spontanéité, le frontiste peut commencer sa réplique par le paragraphe 8 : « C’est formidable, M. le maire, vous jouez le jeu normal de la démocratie en permettant à un candidat de l’être, je vous en félicite. Puis-je savoir de qui il s’agit ? »

« On a essayé d’être très concret », précise s’il en était besoin Dominique Martin qui, au passage, trouve le document « pas mal fait », et distille encore quelques précieux conseils :
— Quand vous allez voir le maire, il faut le gratter là où ça le démange. Parlez-moi de moi, il n’y a que ça qui m’intéresse. Il faut capter sa sympathie, détecter ce qui l’intéresse. Il faut essayer de connaître son métier, savoir un maximum de choses sur le maire. C’est un travail de séduction.

Un travail pour lequel le classeur offre également une arme : les photos de Marine. Dans les étapes à respecter lors des futurs entretiens en mairie, il est en effet recommandé de montrer Marine en tenue d’avocate, Marine en famille sur son canapé, Marine avec les ouvriers, Marine au Parlement européen avec papa, Marine au conseil municipal d’Hénin-Beaumont avec Steeve, Marine répondant aux journalistes et Marine souriante au milieu de la foule... Je cherche un instant Marine fait du vélo et Marine fait du ski, en vain... L’objectif des photos est double, est-il indiqué : « montrer que Marine est une femme de son temps, une femme politique de terrain et ridiculiser la diabolisation».

Une fois séduit, le maire doit donc faire l’objet d’un rapport.
— Ensuite, vous remplissez la fiche de renseignements. En page une, on récupère toutes les données personnelles, puisqu’il faut nourrir notre base de données et, en page quatre, vous donnez votre sentiment: doit-on laisser tomber ou doit-on continuer à travailler?

La fiche est encore plus précise : « Tous les détails que vous constaterez méritent d’être rapportés. Par exemple : prise de position sur la famille, la peine de mort, l’euro, la dette, l’Europe, la chasse, l’environnement. A t-il été militaire ? A-t-il été décoré ? Fait-il partie d’une association ? La commune souffre-t-elle de nuisances (rave party, gens du voyage...) ? »
À partir de tous ces rapports d’entretien, le Front se constitue un fichier aujourd’hui riche de près de 7.000 noms.

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