dimanche 5 février 2012

Séjour irrégulier: le «circulez, y a rien à voir» du Conseil constitutionnel



Présidé par Jean-Louis Debré, ministre de l’intérieur à la manœuvre lors de l’expulsion des sans-papiers de l’église Saint-Bernard en 1996, le Conseil constitutionnel a rendu, ce vendredi 3 février, une décision cruciale pour les sans-papiers et attendue par les magistrats confrontés depuis plusieurs mois à une jurisprudence hésitante en matière de placement en garde à vue des étrangers en situation irrégulière (la lire dans son intégralité).

La haute juridiction a jugé conforme à la Constitution un article du Code l’entrée et du séjour des étrangers, l’article L.621-1, qui permet de punir d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 3.750 euros les personnes ayant pénétré ou séjourné sans en être autorisées sur le territoire.

Elle avait été saisie à propos de cet article le 23 novembre 2011 par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité posée via son avocat par Mohammed Akli B., un ressortissant algérien. Trois associations de défense des droits des étrangers, la Cimade, le Gisti et SOS soutien aux sans-papiers, étaient associées à la procédure.

Deux arrêts rendus en 2011 par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), El-Dridi et Achughbabian, avaient ébranlé le fondement légal des gardes à vue des sans-papiers au regard de la directive européenne retour de 2008. Le premier, en date du 28 avril, avait établi qu’un étranger ne peut plus être emprisonné au seul motif qu’il est en situation irrégulière, et ce même s’il n’a pas obéi à un ordre de quitter le territoire. Comme la loi française n’autorise les gardes à vue que si la personne est passible d’une peine d’emprisonnement d’au moins un an, il devenait compliqué, voire impossible, de placer les sans-papiers en garde à vue sur le seul motif de l'irrégularité de leur séjour. Un second arrêt, rendu le 6 décembre, a confirmé cette jurisprudence tout en estimant qu’«une privation de liberté telle qu’une garde à vue» était possible pendant un «délai raisonnable mais bref» laissant à l’administration le temps de vérifier la régularité du séjour de la personne.

Depuis ces décisions, les cours françaises appelées à se prononcer ont alterné les interprétations contradictoires, certaines en faisant un motif de libération, d’autres n’en tenant pas compte, attendant des éclaircissements.

Ce n’est pas du Conseil constitutionnel que ceux-ci vont venir puisque les «Sages» bottent en touche. «Un grief tiré du défaut de compatibilité d’une disposition législative aux engagements internationaux de la France ne saurait être regardé comme un grief d’inconstitutionnalité», résument-ils en préambule, avant d’affirmer en substance, selon une jurisprudence constante, qu’il ne leur appartient pas d’examiner la conformité au droit européen.«L'examen d'un tel grief relève de la compétence des juridictions administratives et judiciaires», assènent-ils. Déclarant par ailleurs ne pas avoir le pouvoir de juger de la nécessité d’une peine, ils estiment néanmoins être à même de se prononcer sur son niveau. En l’occurrence, la durée d’un an d’enfermement au motif d’une irrégularité administrative ne leur paraît pas «manifestement disproportionnée».


«Un dévoiement de la procédure pénale au service de la politique migratoire»


«Cette décision, c’est “circulez, y a rien à voir”»,
regrette Patrick Henriot, du Syndicat de la magistrature. «On s’y attendait, poursuit-il, mais c’est quand même une déception. Il est surprenant que le Conseil constitutionnel, dont la mission est de vérifier qu’une loi ne porte pas atteinte aux droits et aux libertés inscrites dans la Constitution, refuse de se positionner sur le fondement même de la peine. Sur la proportionnalité, on est évidemment en total désaccord.»

«En matière de droits des étrangers, nous savons qu’il n’y a rien à attendre de cette juridiction. C’est comme s’ils s’autocensuraient, de crainte de contrecarrer la politique d’immigration du gouvernement», observe-t-il.

Au Gisti, Stéphane Maugendre partage la même analyse. Ses regrets portent sur la question de la proportionnalité. «Il aurait fallu que le Conseil constitutionnel juge trop lourde la peine d’un an d’emprisonnement. Cela aurait empêché automatiquement toute garde à vue», indique-t-il, rappelant qu’à l’audience il a mis en regard les 100.000 dossiers ouverts chaque année pour séjour irrégulier, les 60.000 gardes à vue et les 197 condamnations à de la prison ferme.

«De toutes façons, les sans-papiers ne devraient pas être placés en garde à vue. Il existe une procédure, en cas d’interpellation, qui s’appelle la vérification d’identité et qui dure quatre heures. C’est bien assez pour passer un coup de téléphone à la préfecture pour voir si la personne est munie d’un titre de séjour. Mais, non, les policiers veulent pouvoir prendre leur temps et font des gardes à vue de confort qui leur donnent 24 heures renouvelables. C’est une privation de liberté intolérable et c’est un dévoiement de la procédure pénale au service de la politique migratoire», martèle-t-il, fustigeant «l’hypocrisie» du Conseil constitutionnel.

Les espoirs des défenseurs des droits des étrangers reposent désormais sur la Cour de cassation, qui, elle, assume son rôle de vérification de la conformité au droit européen. Maintenant que les «Sages» se sont prononcés, sa décision est attendue d’un moment à l’autre. Également au Gisti, Serge Slama évoque lui une «non décision qui snobe le dialogue des juges». Il déplie les scénarios possibles. «Soit la Cour estime qu’il n’y a plus de fondement légal à la garde à vue au regard du droit européen, soit elle admet des cas exceptionnels dans lesquels les étrangers pourraient être retenus dans un délai raisonnable mais bref», indique-t-il mettant délibérément de côté la troisième option, celle où la cour ignorerait les arrêts de la CJUE.

Quelques mois avant les coups de hache, alors que Jean-Louis Debré était déjà ministre de l’intérieur, une circulaire signée par le garde des Sceaux, Jacques Toubon, avait enjoint aux magistrats du parquet de requérir la prison ferme de manière systématique à l’encontre des étrangers en situation irrégulière.


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