mercredi 1 février 2012

Les Lejaby, comme s’il en pleuvait



Parce qu’il est aux abois, le kleiner Mann a décidé de mordre. Ce qui n’empêche pas un discours de contrition feinte comme quand il prétend regretter la nuit au Fouquet’s le soir de sa victoire à l’élection présidentielle. Le problème n’est pas le Fouquet’s. Cette célébration aurait très bien pu avoir lieu chez Gégène, à Joinville-le-Pont (Pon ! Pon !). Le problème, c’est la mise en coupe réglée du pays, l’organisation méthodique de l’appauvrissement du peuple au profit de quelques centaines de personnes, dont quelques dizaines eurent droit au champagne de la « brasserie populaire » chère au motodidacte Estrosi.

Pour faire pleurer Margot dont les yeux sont bien secs, Sarkozy a juré qu’il ne « laisserait pas tomber les gens de Lejaby ». Notons l’expression « les gens de ». Légèrement méprisante, à tout le moins distante, niant les personnes dans ce qu’elles sont vraiment : des travailleuses, des citoyennes, des femmes en souffrance. Et puis, cette promesse du Don Quichotte du soutien-gorge affriolant rappelle furieusement celle faite par un kleiner Mann qui n’avait même pas peur de Mittal aux ouvriers de Gandrange : « Nous ne les laisserons pas tomber ».

Sans malheureusement prétendre à l’exhaustivité, force est de trouver accablant le bilan industriel de Sarkozy et de sa bande. Près de 900 usines ont été fermées en trois ans dans notre pays. Des dizaines d’autres ont été partiellement ou presque totalement délocalisées. Des projets intéressants se sont cassé le nez, comme cette grande raffinerie d’huile de palme envisagée près de Narbonne.

Reportons-nous aux travaux de Trendeo (http://www.trendeo.net/), cet Observatoire de l’investissement peu hostile à la classe dirigeante.

« Depuis le 1er janvier 2009, Trendeo a enregistré plus de 20 000 annonces d’investissement et de désinvestissement dans tous les secteurs et toutes les régions de l’économie française. Cela correspond à plus de 480 000 emplois créés et 572 000 emplois supprimés. Depuis 2009, le secteur de l’industrie manufacturière détruit plus d’emplois qu’il n’en crée, pour un nombre de près de 100 000 emplois industriels perdus sur trois années. Alors que dès 2010 l’économie française prise globalement a recommencé à créer des emplois, l’industrie continue d’en supprimer. Le rythme de ces suppressions se réduit néanmoins. » En trois ans, Trendeo a répertorié 870 décisions d’extension de sites industriels. Mais aussi 1170 annonces de réduction des effectifs.

Certes, le délitement du tissu industriel français a commencé bien avant Sarkozy, en fait dès le premier choc pétrolier de 1973. Mais la tendance s’est accélérée depuis la crise financière de 2008. 400 usines ont fermé en 2009, 200 en 2011. Les médias se sont polarisés sur une poignée de drames, à chaque fois parce que les travailleurs concernés avaient fait du bruit : Arcelor-Mittal, Continental, Molex dans le Tarn. Mais à côté de ces médiatisations, combien de fermetures discrètes ! Prenons, par exemple, Crown Emballage, une usine de Brive-la-Gaillarde qui fabrique des boîtes de conserves pour Bonduel. La fermeture pour 2012 vient d’être annoncée aux 40 salariés. Selon la CGT, les marges bénéficiaires s’échelonnent de 11 à 28%, ce qui n’est pas suffisant pour les actionnaires !

L’industrie automobile a subi une véritable saignée ces dernières années. Selon Trendeo, 30000 emplois ont été perdus en France. Seuls le secteur aéronautique, l’agroalimentaire et le luxe sont demeurés créateurs nets d’emplois. D’autres pertes préoccupantes ont eu lieu dans la pharmacie, la haute technologie, la chimie. La classe dirigeante et ses relais médiatiques ne se sont pas privés de mettre en cause le « coût » du travail pour expliquer ce marasme.

Selon Trendeo, 2012 s’annonce très problématique. La timide reprise des embauches constatée fin 2010 s’est interrompue. De nouveau, l’industrie détruit plus d’emplois qu’elle n’en crée. On l’a vu par exemple chez PSA qui annonce à très court terme plusieurs milliers d’emplois en moins qui ne préjugent en rien de « dégraissage » à moyen terme. À Toulouse, Freescale (ex Motorola) vient d’annoncer que 821 des 1300 salariés seraient prochainement licenciés, ce qui n’a pas provoqué la compassion de notre kleiner Mann. Ni sa colère devant le fait que les licenciements ont été repoussés pour permettre aux clients de constituer des stocks avant l’arrêt définitif de la production. Dans le Calvados, le groupe étatsunien Honeywell (35 milliards de dollars de chiffre d’affaires, 2,5 milliards de bénéfices) prévoit la fermeture de l’usine pour 2013, avec plus de 300 licenciements à la clé. Cette entreprise qui fabrique des plaquettes de freins a été rendue volontairement obsolète par ses dirigeants français sur ordre de la maison-mère, ce qui « justifie » la fermeture. Il y a là un drame en perspective pour Condé-sur-Noireau cette ville de 5000 habitant, située dans ce que les habitants appellent « la vallée de la mort » car le bassin qui va de Condé à Flers est pollué par l’amiante depuis des dizaines d’années.

On ne saurait clore ce bref et très incomplet état des lieux sans parler des "compactages d’usine". Il s’agit d’une technique discrète, utilisant principalement les départs volontaires, réduisant les capacités de production. Par exemple, en cinq ans, l’usine PSA d’Aulnay-sous-Bois est passée de deux lignes de production à une. Celle de Rennes n’en a conservé qu’une pour les 508 et les C5 (avec une petite ligne pour la C6). Tout cela pour réduire les capacités de production de 300000 véhicules par an. Renault/Flins a perdu une ligne lorsque la fabrication de la Twingo a été délocalisée en Slovénie. Le site de Sandouville devrait aussi perdre une ligne incessamment. C’est en toute discrétion, sans grèves, sans manifs’ que la production automobile en France a chuté d’un million de véhicules en quatre ans.

Les quatre journalistes qui ont servi la soupe au président auraient pu parler de tout cela. Deux d’entre eux s’étaient vu précédemment attribuer la Légion d’Honneur. L’un sur proposition de Jean-Pierre Raffarin, l’autre sur proposition du kleiner Mann en personne (http://blogs.mediapart.fr/blog/edwy-plenel/290112/journalism...). Lors de son entretien avec ces quatre bien élevés, Sarkozy, qui s’y connaît donc fort bien en désindustrialisation, a affirmé : « Le Royaume-Uni n’a plus d’industrie. » Ce qui est faux et ce qui a bien fait rire nos voisins d’outre-Manche qui l’appellent Le Snub (jeu de mot sur snob et "to snub" = faire un affront) depuis qu’il a refusé de serrer la main de Cameron lors d’un des 43 sommets de la dernière chance à Bruxelles.

Bernard Gensane

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