mercredi 22 février 2012

Le rapport du contrôleur général: enquête sur la France enfermée



Faire respecter les droits fondamentaux de la personne humaine dans des lieux où ils sont parfois négligés, oubliés, voire niés. C’est le défi quotidien de l’équipe de Jean-Marie Delarue, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). Une gageure ? Plutôt une tâche ardue, à la lecture du rapport annuel 2011 du contrôleur général, épais document de 326 pages rendu public ce mercredi 22 février, et dont Mediapart a pris connaissance.

Une trentaine de personnes (magistrats, policiers, gendarmes, médecins, cadres pénitentiaires, hauts fonctionnaires) constituent l’équipe pluridisciplinaire du contrôleur général, qui est opérationnelle depuis juin 2008. Le travail est intense.

En trois ans et demi, les contrôleurs ont effectué quelque 506 visites d’établissements : locaux de garde à vue (164), de rétention douanière (15), dépôts et geôles de tribunaux (30), établissements pénitentiaires (125), centres de rétention administrative (61), hôpitaux psychiatriques et chambres sécurisées d’hôpital (84), et enfin centres éducatifs fermés (27). Ces visites approfondies durent souvent plusieurs jours.

JM Delarue

« Aujourd’hui, nous sommes installés dans le paysage », expose Jean-Marie Delarue à Mediapart. Les heures passées collectivement par ses équipes et lui-même dans les lieux contrôlés représentent, en cumul, l’équivalent de quatre ans et demi de prison, six ans de garde à vue, et encore une année en hôpital psychiatrique.

« Cela nous donne une certaine familiarité de ces lieux clos, poursuit Jean-Marie Delarue. Elle est nécessaire pour accomplir notre mission : rentre compte de ce qui s’y passe. Nous le faisons avec plus de facilité que les personnes détenues, voire que les personnels, qui nous confient eux aussi leurs difficultés. »

C’est une des surprises qui ressort du rapport du contrôleur : gardiens de prison, infirmiers ou éducateurs se confient de plus en plus. Certains même s’effondrent littéralement lors des entretiens, au point que le rapport 2011 souligne le manque d’écoute transversale chez les personnels en grande souffrance (les surveillants notamment), chez des fonctionnaires cantonnés à des rapports avec leur hiérarchie qui pour être verticaux demeurent très formels, et donc incomplets. Le CGLPL propose donc de créer des postes de « superviseurs » pour améliorer cette situation, et favoriser l’échange d’informations « en toute confiance », « dans le cadre d’une relation égalitaire ».

Un autre indice atteste de la reconnaissance acquise par l’équipe du contrôleur général : il a reçu en 2011 près de 3.800 lettres de saisine, soit 30 % de plus que l’année précédente. Des courriers souvent poignants, dont quelques-uns (anonymes) sont reproduits dans le rapport.

Voilà pour les chiffres. La question est de savoir si, maintenant que l’on s’habitue à lui, le contrôleur général arrive à obtenir des améliorations concrètes. La réponse est forcément contrastée.


Un dortoir insalubre fermé le jour même

Au gré de leurs visites, les contrôleurs inventorient tout ce qui peut constituer des atteintes à la dignité, qu’elles soient minimes ou gravissimes. Du manque de signalisation et d’accès en transport pour les familles aux lieux insalubres, en passant par les interdictions arbitraires, brimades ou mauvais traitements.

Ces situations critiquables peuvent aussi bien résulter d’un choix de politique publique (surpopulation pénale, manque de personnel soignant), de routines administratives (fouilles systématiques en prison, privation du soutien-gorge et des lunettes en garde à vue), ou d’un laisser-faire ambiant (toilettes nauséabondes dans des locaux de garde à vue). Le tout est de déceler l’anomalie, de la comprendre, puis d’agir.

Certains des avis, rapports ou recommandations du contrôleur général sont rapidement suivis d’effets. Ainsi, le centre de semi-liberté de Corbeil-Essonnes, visité début 2011, comportait un dortoir pour trois personnes entièrement insalubre : murs couverts de salpêtre et d’humidité, moisissures, absence de ventilation, toilettes en panne, installation électrique dangereuse, etc. Il a été fermé le jour même par l’administration.

Autre exemple de réactivité : le directeur de la maison d’arrêt de Troyes a neutralisé sans délai quatre lieux d’attente clos et grillagés, sans aucun confort, qualifiés de véritables « cages » par le contrôleur général, et dans lesquels, chaque jour, des personnes pouvaient rester une à deux heures, voire plus.

Dans un centre de semi liberté© CGLPL

D’autres situations, en revanche, sont difficiles à faire évoluer rapidement, faute de moyens suffisants, ou de bonne volonté. L’absence de toilettes ou d’urinoirs dans la cour de promenade de Fresnes, par exemple, et l’impossibilité de remonter pendant la promenade, font que les détenus descendent avec une petite bouteille en plastique dans laquelle ils urinent. Certains jettent ensuite le récipient rempli par-dessus les murs… et il retombe quelquefois sur les bénévoles qui distribuent des vêtements aux détenus plus pauvres. Scène de misère quotidienne des prisons.

S’assurer de l’effectivité des droits accordés aux détenus est également une question lourde. Le droit de téléphoner, par exemple, est reconnu par les textes, mais il se heurte à quantité de restrictions, surtout dans les centres de rétention administrative.

Quant aux établissements pénitentiaires, le téléphone y devient une nouvelle source de problèmes, avertit Jean-Marie Delarue. « Les téléphones sont installés dans les cours de promenade, où les plus forts s'imposent, ou sur les coursives, où tout le monde entend le détail des conversations », témoigne le contrôleur général. « En outre, les numéros appelés doivent être communiqués à l’avance à l’administration, en fournissant une autorisation et une facture de la personne appelée, ce qui crée nombre de complications, notamment pour téléphoner à l’étranger ou dans les services sociaux. D’autant qu’on ne peut téléphoner qu’à certaines heures. »

La liberté de culte des personnes retenues ou détenues est un autre chantier. « Les religions minoritaires (bouddhistes, témoins de Jéhovah), bien qu’autorisées, rencontrent beaucoup plus de difficultés pour arriver à faire agréer leurs aumôniers par l’administration. "


Ceux qui parlent sont parfois menacés


« Globalement, l’accueil des personnels est plutôt bon dans les prisons et les hôpitaux psychiatriques », se félicite le contrôleur général. Ce qui ne l’empêche pas de saisir la justice des délits qu’il pourrait constater, comme il en a l’obligation. Six gardiens de prison ont ainsi été mis en examen pour « violences volontaires », suite à une affaire grave signalée par le contrôleur général au procureur de la République après une de ses visites.

Côté police, en revanche, des progrès restent à faire. « La police nationale ne nous identifie toujours pas, surtout à la base », reconnaît Jean-Marie Delarue. Il faut parfois des trésors de diplomatie aux contrôleurs pour se faire ouvrir toutes les portes et remettre l’ensemble des documents demandés. Quant au ministère de l’intérieur lui-même, il semble parfois traîner un peu les pieds. « Il nous a fallu 18 mois pour obtenir des laissez-passer en zone internationale à Roissy. Mais on a fini par obtenir gain de cause », relate le contrôleur général.

Dans un hôpital psychiatrique© CGLPL

Pour autant, tout n’est pas rose non plus dans les relations avec le monde pénitentiaire. « Nous sommes préoccupés par les menaces, mesures de rétorsion ou tracasseries dont sont victimes certaines personnes détenues après notre passage », dénonce Jean-Marie Delarue. « Il existe un risque réel pour que les gens aient peur et ne nous parlent plus. Or si on empêche les personnes détenues de nous parler – ou les personnels d’ailleurs –, on risque de tuer l’institution. Et c’est une atteinte au droit fondamental à la liberté d’expression. »
De même, alors qu’elles sont confidentielles et doivent demeurer closes, comme les courriers d’avocats, certaines lettres adressées au contrôleur général – ou envoyées par ses soins – arrivent ouvertes. « Les chefs d’établissement nous répondent qu’il s’agit d’erreurs d’inattention, mais j’ai du mal à y croire », lance Jean-Marie Delarue.

Parfois, il faut aux contrôleurs procéder à une contre-visite, pour vérifier si les améliorations promises par l’administration ont été réalisées ou non. La maison d’arrêt des femmes de Versailles, inspectée une première fois fin 2008, a ainsi fait l’objet d’un second déplacement fin 2010. Ce qui a permis de repérer quelques manquements persistants, mais aussi d’en résoudre d’autres. Demandés de longue date, les placards individuels munis de clés, qui évitent aux détenues de se faire voler leurs affaires, ont, par exemple, été installés juste avant la contre-visite. Un détail qui est important, notamment pour les démarches vers la réinsertion, qui nécessitent beaucoup de courrier et de paperasse.


Des blocages, et de l'indifférence

En dehors des cas ponctuels et des situations locales, il est difficile d’évaluer les résultats du travail de longue haleine effectué par le contrôleur général auprès des ministères sur les sujets de fond, ou structurels.

Traditionnellement, l’administration n'aime pas trop que l’on mette le nez dans ses affaires. Mais elle sait parfois réagir, quitte à le faire discrètement. Signalé en 2010 par le contrôleur général, le problème de la « protection des biens des personnes détenues » (en clair : des affaires qui disparaissent, notamment au gré des changements d‘établissements) a ainsi donné lieu, quelques mois plus tard, à une note du directeur de l’administration pénitentiaire, préconisant un inventaire « contradictoire » des biens des détenus.

Dans un commissariat© CGLPL

Dans un autre registre, les recommandations faites à propos de l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris (transférer les moyens au dispositif hospitalier de droit commun) donnent lieu à des travaux encourageants au parlement et à la mairie de Paris, mais se heurtent encore à un blocage du préfet de police.

Dans un centre de rétention© CGLPL

Les autres thèmes du rapport 2011 balayent large. Travail en prison (moins d’un tiers des détenus peuvent exercer une activité rémunérée), droits sociaux des personnes détenues (trop souvent ignorés), traçabilité des personnes privées de liberté (fichage de données personnelles auxquelles elles n’ont pas accès), changement de nature des prisons et concept de dangerosité (la sécurité plutôt que la réinsertion), fouilles corporelles (systématiques et humiliantes), sécurité et ordre public… le menu est copieux.

Oscillant entre volontarisme humaniste et modestie pragmatique, Jean-Marie Delarue avoue une inquiétude : l’absence de réflexion sur l’enfermement et la punition, conséquence d’un air du temps décidément sécuritaire. « La question lancinante, qui me hante, c’est de savoir si on fait évoluer l’opinion sur ces questions-là », souffle Jean-Marie Delarue. Qui ajoute : « J’ai bien conscience que pour le moment, elle ne bouge pas. »

Comme en écho, la France vient de battre le triste record du nombre de détenus, 65.699 personnes au 1er février. Cela dans l’indifférence générale.


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