dimanche 5 février 2012

Les chers parrains du FN



Pour les petits partis, on savait le système des parrainages lors de la présidentielle très chronophage. Mediapart, qui a pu consulter les comptes de campagne de 2007 de Jean-Marie Le Pen (voir boîte noire), a constaté que pour le Front national, il est également très onéreux. Samedi, lors de la présentation de son programme et surtout, mardi, au Congrès des maires de France où elle s'est invitée, Marine Le Pen entonnera l'habituel couplet de son parti: la nécessité de recueillir 500 signatures d'élus afin de pouvoir se présenter à l'élection constituerait une grande injustice. Une chose est en tout cas certaine: au vu des comptes de campagne, ce système creuse des inégalités financières entre candidats.





En 2007, Marine Le Pen était la directrice de campagne de son père© @Reuters

En vue du scrutin d'avril 2012, Jean-Michel Dubois, président de l'association de financement de la campagne électorale (comme en 2002 et 2007), prévoit de consacrer entre 200.000 et 600.000 euros au recueil des signatures sur les quelque 8 millions que pense dépenser la candidate. «Cela dépendra de la rapidité à laquelle on recueille les parrainages. Mais s'il fallait dépenser un million, on le dépenserait. On n'a pas le choix.»

Pendant ce temps, les grands partis n'engagent pas ce type de dépense. Interrogés par Mediapart, Dominique Dord, Régis Juanico et Jean-Jacques Jégou, respectivement trésoriers de l'UMP, du PS et du Modem, ne déclarent aucun frais dans leurs comptes pour recueillir les signatures. Chez Europe Ecologie-Les Verts, Yves Contassot, président de l'association de financement de la campagne d'Eva Joly, détaille: un CDD (contrat à durée déterminée) a été recruté pour 5 mois; l'ensemble des frais sera inférieur à 45.000 euros. Au NPA, Pierre Baton estime qu'entre 50.000 et 60.000 euros seront consacrés au remboursement des frais kilométriques des militants bénévoles, qui déjà, tous les week-ends, sillonnent la France à la recherche des fameux sésames.

Les formulaires officiels de parrainage ne seront envoyés aux élus que le 23 février (avec une date limite de dépôt des signatures le 16 mars), mais le «démarchage» a commencé depuis plusieurs mois. Le Front national, qui dit compter entre 200 et 250 signatures«certaines» pour l'instant (dont 118 conseillers régionaux FN), chasse comme les autres. Mais avec des moyens autrement plus conséquents.

En 2007, le parti a carrément eu recours à un prestataire extérieur, la société RCV, dirigée par Régis de la Croix-Vaubois, par ailleurs candidat cette année-là du Front national aux législatives dans la Nièvre. En un peu moins d'un an, entre avril 2006 et mars 2007, le candidat Jean-Marie Le Pen a versé environ 307.000 euros à cette société amie pour des opérations de phoning vers les maires (sans compter quelques dizaines de milliers d'euros versés au titre de «conseils en gestion et ressources humaines»).


Première facture: avril 2006


Jean-Michel Dubois justifie: «Nous avons sollicité plusieurs entreprises, mais RCV était la seule en capacité de répondre; et puis il est normal de choisir une société amie: le personnel formé était composé d'adhérents et de sympathisants qui connaissent nos idées. On n'allait pas recourir à des gens qui téléphonent depuis l'autre côté de la Méditerranée.»

Quant au prix, qui peut paraître élevé, Jean-Michel Dubois le trouve adapté: «Il faut payer les 20 à 30 personnes qui téléphonent, les former, sans compter les locaux et les coûts de communication.»

A ces dépenses, il faut ajouter les frais kilométriques engagés par les militants à travers le pays. Au vu des très nombreuses factures que nous avons consultées, ce coût supplémentaire s'élève au minimum à quelques dizaines de milliers d'euros. Peut-être à plus de 100.000 euros, mais Jean-Michel Dubois n'a pas souhaité se replonger dans sa comptabilité de l'époque.


Le PS et le Modem surpris de ces remboursements

On trouve également des factures plus surprenantes, comme lorsque Jean-Marie Le Pen offre des repas à des édiles. En Corse-du-Sud, en août 2006, il déjeune par exemple avec le maire de Zonza pour 88,5 euros. Quelques jours plus tard, il organise une «réunion avec le maire de Bonifacio afin de finaliser son parrainage» : 219 euros. Finalement, quatorze maires corses le parraineront.

En octobre 2006, en Indre-et-Loire, «neuf maires» dont le nom ne figure pas dans les documents que nous avons pu consulter sont invités à un déjeuner dans un restaurant Relais et Châteaux à Rochecorbon. La note, cette fois, s'élève à 750 euros.



Dans la liste des amis bien servis, le théâtre de la Main d'or, géré par l'humoriste Dieudonné (qui s'est rapproché de Jean-Marie Le Pen à partir de 2006), est loué 20.000 euros pour quatorze demi-journées entre le 22 janvier et le 9 février 2007, dans le but de «former 20 télé-acteurs pour la recherche de signatures de maires».





Face à ces dépenses engagées en vue de recueillir des signatures d'élus, la Commission chargée de contrôler les comptes de campagne des candidats (la CNCCFP) a depuis toujours adopté une position de principe, quel que soit le candidat: elles sont assimilées aux dépenses «à caractère électoral» qui ouvrent droit à remboursement par l'Etat (dans la limite de 8 millions d'euros, voir les détails sous l'onglet Prolonger).

Parmi les centaines de milliers d'euros déboursés par Jean-Marie Le Pen pour obtenir ses parrainages, seules deux dépenses ont été rejetées par la commission, parce que irrégulières, et n'ont pu donner lieu à remboursement:


48 642 euros de rémunérations accordées à six amis du FN ayant participé à la quête de signatures, en l'absence de contrats de travail (dont Marc Georges, alors très proche de Dieudonné, et Farid Smahi, l'homme qui a quitté le FN en janvier dernier, lassé de jouer «le bougnoule de service»).


1733 euros de cadeaux envoyés à des maires dont le parrainage avait été sollicité (le Conseil constitutionnel avait rappelé en 2007 que «la présentation d'un candidat à l'élection présidentielle (...) ne peut donner lieu ni à marchandage ni à rémunération»).

Le fait que tous les autres frais liés aux parrainages aient été classés «remboursables» par la Commission ne laisse pas d'étonner certains partis concurrents. Ainsi Régis Juanico, le trésorier du PS, se dit«surpris». Les dépenses électorales étant définies par la Commission comme celles qui sont «engagées ou effectuées en vue de l'élection et spécifiquement destinées à l'obtention des suffrages», pourquoi celles touchant aux parrainages devraient-elles en faire partie? Jean-Jacques Jégou, au Modem, qui dit apprendre que cela est possible, partage ce raisonnement: «Ce n'est pas de l'argent qui sert à convaincre les électeurs. Un maire qui parraine un candidat ne va pas forcément voter en sa faveur.» 



De leur côté, Europe Ecologie et le NPA se déclarent en accord avec l'analyse de la commission.

Pour les proches de Marine Le Pen, que ces frais-là soient pris en compte, c'est bien la moindre des choses, mais ça ne suffit pas à supprimer «l'injustice»: «On ne devrait pas avoir à dépenser ces quelques centaines de milliers d'euros. Si les maires pouvaient parrainer anonymement, sans que leur nom soit rendu public, sans qu'on les désigne à la vindicte comme c'était le cas auparavant, ce serait beaucoup plus simple et cela nous coûterait beaucoup moins cher, explique Wallerand de Saint-Just, le trésorier du parti. Ces quelques centaines de milliers d'euros, on préférerait les dépenser dans des vecteurs directs de campagne, comme les tracts.»



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