jeudi 9 février 2012

Guéant et les étrangers: attirer plus pour expulser plus



Pour avoir de bons chiffres de sorties, il faut avant tout avoir de bons chiffres d’entrée. C’est mathématique… Or Claude Guéant sait compter. Il sait même compter jusqu’à 32 912.

32 912, c’est le chiffre que le Ministre de l’Intérieur a annoncé le 10 janvier lors de sa conférence de presse au sujet du bilan 2011 de la politique d’immigration du gouvernement Sarkozy. Il s’agit, selon Claude Guéant de « 32 912 ressortissants étrangers en situation irrégulière éloignés du territoire national » (1)

Comme un VRP qui aurait explosé les objectifs fixés par son petit chef des ventes et parlant d’êtres humains comme s’il s’agissait de paquets de lessive, il ajoute : « Ce chiffre est supérieur de 5.000 à celui de 28.000 initialement fixé. C'est le plus élevé jamais atteint ».

D’après une enquête de Carine Fouteau sur Médiapart (2), environ un tiers de ce chiffre concerne en réalité des « retours aidés », majoritairement ceux de Roms originaires de Roumanie.

Pour bien comprendre le mécanisme qui permet à Guéant de trafiquer les chiffres, il faut se pencher sur l’ARH : l’Aide au Retour Humanitaire.

L’ARH est une prise en charge qui « vise à apporter une réponse à la situation des étrangers communautaires, dont les conditions de vie sur le territoire français sont caractérisées par une extrême précarité, tant sur le plan matériel que sanitaire ou psychologique… ». D’après une note interne de l’OFII de mars 2010, « l’aide au retour humanitaire est attribuée aux étrangers en situation de dénuement et de grande précarité séjournant en France depuis au moins trois mois » (3)

Pour toucher l’ARH, il faut donc être sur le territoire français « depuis au moins trois mois » et se trouver en situation de « grande précarité »… C’est logique. On ne va pas distribuer de l’argent à tous les touristes qui se retrouvent sur la paille après avoir dépensé leur budget de vacances au bout de quinze jours. Quoique…

Le package touristique se compose d’un aller simple pour Bucarest, de 300 € par adulte et de 100 € par enfant. Dans sa grande générosité, l’état français offre même un excédent de bagages… Des fois que, malgré leur situation d’extrême précarité, les personnes concernées souhaiteraient ramener quelques souvenirs en Roumanie… Je ne sais pas moi, une statue de Sarkozy ou une encyclopédie sur l’histoire des civilisations dédicacée par Guéant…On ne sait jamais…

En 2010, 9 761 ARH ont été distribuées dont 8 192 à des citoyens roumains, soit 84 %. Il s’agit donc très clairement d’une mesure ciblée. Bien qu’ouverte à tous les membres de l’Union Européenne, elle ne concerne pratiquement que des roumains.

Pour 2011, le détail des chiffres n’a pas encore été rendu public mais on est sur le même ordre de grandeur.

Pour une famille avec 3 enfants, l’aide au retour représente 6 mois de salaire en Roumanie où le smic est l’un des plus faibles d’Europe..

C’est donc une somme tout a fait significative pour des citoyens européens qui peuvent aller et venir en France librement. L’appel d’air est garanti, ça marche et c’est exactement ce que recherche Claude Guéant.



Un appel d’air pour attirer puis renvoyer

Décembre 2011, la Part-Dieu à Lyon. Sur l’esplanade de la gare, une vingtaine de roms dansent, chantent et se prennent en photo devant des passants étonnés. A l’évidence, ils ne sont pas ici depuis très longtemps, sinon, ils auraient appris à éviter d’attirer sur eux le regard de la police.

Ils sont de Tinca en Roumanie et ils viennent d’arriver de Genève aujourd’hui même par le train. Quand on leur demande pourquoi ils sont venus en France, sans hésiter, l’un d’entre eux exhibe fièrement un petit papier à en tête de l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’Intégration) sur lequel est marqué « information retour ».

Ils n’étaient jamais venus en France auparavant. Tous sont venus spécialement pour toucher l’aide au retour.

Quelques semaines plus tard, au point de rendez-vous fixé par l’OFII pour expulser les roumains par un charter spécialement affrété pour la Roumanie, un groupe danse, chante et se prend en photo. Les roms de Tinca retournent chez eux, chacun avec les 300 € généreusement offerts par le gouvernement Sarkozy avec l'argent du contribuable. Ils sont heureux et répètent dans un français approximatif : « merci la France ».

Janvier 2012, Villeurbanne. La fumée obscurcit une pièce où vivent entassés comme des sardines une quinzaine de personnes. Parmi elles, Marcel. Il est en France depuis plus de 10 ans. Il parle très bien le français. Une partie de sa famille vient d’arriver de Roumanie : « Nous sommes arrivés il y a une semaine pour toucher les 300 €. En Roumanie, on nous a dit qu’on nous aiderait une fois revenus à la maison. Mon oncle, la France lui a même payé un troupeau de chèvres. Le voyage coûte 50 € pour venir et on nous a fait crédit. Ceux qui nous ont conduits nous attendront à la descente de l’avion à Bucarest pour qu’on les rembourse. On était 8 dans la voiture, tous venus pour prendre l’argent. »

Marcel ajoute : « Avant l’OFII demandait depuis combien de temps on était en France. Maintenant ils ne te demandent plus rien. Ils s’en foutent. Même si tu est arrivé hier, ils te mettent sur les listes et tu prends l’argent.»

Interrogés à ce sujet lors de la visite à Lyon d’Arno Klarsfeld, Président de l’OFII, un agent de l’OFII a reconnu qu’il s’agissait uniquement d’une procédure déclarative. (4) Aucune vérification concernant la durée de séjour en France des citoyens roumains qui viennent demander l’ARH n’est donc effectuée. D’ailleurs comment pourrait-on procéder à un quelconque contrôle puisque, membres de l’Union Européenne, les roumains bénéficient de la libre-circulation.



Le système fonctionne aussi parfaitement dans l’autre sens.

Tout est bon pour améliorer les statistiques. Si l’aide au retour humanitaire sert à attirer en France des roumains qui viennent spécialement pour cela, elle sert aussi à payer le voyage pour la Roumanie à des familles bien intégrées qui sont là depuis plusieurs années et qui reviennent quelques jours plus tard.



Lors de l’avant dernier charter en partance de Lyon, le 20 décembre, une jeune femme élégante avec un grand manteau de fourrure se trouve parmi la centaine de personnes qui attendent les cars pour l’aéroport. Elle porte un joli sac en cuir et des cadeaux dedans. Un militant associatif qui la reconnaît lui demande : « Mais tu vis en France depuis au moins 5 ans, toi, ta vie est ici, pourquoi pars-tu ? » La femme lui répond : « je vais fêter Noël avec ma famille en Roumanie et je reviens en janvier. Avec les 300 € j’ai pu acheter des cadeaux à toute ma famille et même à des amis. En plus, la France m’offre le voyage, je ne vais pas dire non quand même… »


Février 2012. Il fait –10°c sur le quai Perrache. Une cinquantaine de roumains attendent le bus qui va les emmener à l’aéroport de Satolas. Pourquoi leur donne-t-on rendez-vous à cet endroit ? Au bout de la presqu’île, devant le Lunapark et ses attractions fantômes à 7 heures du matin. 45 minutes à attendre sous le froid, loin de tout. La gare est à deux pas, mais l’expulsion se passerait alors au grand jour, au vu et au su de tous. Le gouvernement voudrait-il éviter que tout cela s’ébruite un peu trop ? Deux enfants grelottent de froid sous une couverture. La maman tient dans les bras un autre enfant frigorifié. A bout de souffle, elle explique pourquoi elle s’en va avec son mari et ses 4 enfants : « mon père est très malade alors on va le voir avec les enfants. On revient dans 3 semaines pour la rentrée des classes. »



La palme du séjour le plus court revient à Maria. Parfaitement intégrée en Espagne où elle vit depuis 5 ans, elle est tombée en panne de voiture alors qu’elle se rendait en Roumanie pour faire ses papiers. Sur les conseils de sa famille, elle s’est rendue à l’OFII de Lyon et repart aujourd’hui par charter avec ses compatriotes en attendant qu’un garagiste lui répare sa voiture. Dans une ou deux semaines, elle reviendra la chercher et repartira en Espagne.



Jusqu’à quand va-t-on nous prendre pour des imbéciles ?


Entre les retours volontaires des personnes venues spécialement pour toucher l’argent promis par le gouvernement et les retour-aller des personnes parfaitement intégrées, il faudrait arrêter de prendre les électeurs pour des imbéciles.

Le jour de l’expulsion, les autorités expliquent que ce n’est pas une expulsion mais un retour volontaire. En revanche, lorsqu’il faut faire le bilan de l’année, Claude Guéant fait mine d’oublier qu’il s’agit de retours volontaires et explique qu’il s’agit d’expulsions d’étrangers en situation irrégulière.

Aujourd’hui, l’aide au retour humanitaire ne sert plus à rapatrier des personnes en grande précarité dans leur pays. Elle a été détournée de son objectif initial par le gouvernement lui-même pour permettre à Guéant d’aller récupérer des voix d’extrême droite pour le compte de Sarkozy.

Parler d’aide au retour volontaire et ensuite additionner les chiffres avec ceux des expulsions en qualifiant des roumains présents en France depuis moins de 3 mois de « ressortissants étrangers en situation irrégulière » est donc une escroquerie pure et simple.

D’une part parce qu’un citoyen roumain en France depuis moins de 3 mois, est en situation tout à fait régulière, d’autre part parce qu’un retour volontaire et une expulsion, ce n’est pas du tout la même chose.



Allez, Monsieur Guéant, les élections approchent, arrêtez de la jouer petit bras avec votre objectif de 35 000 expulsions. Au diable l’avarice, vous n’avez qu’à proposer l’aide au retour aux 75 millions de touristes qui viennent chaque année en France. Vous serez alors champion du monde… Champion du monde du bidouillage de chiffres.

(1)http://www.interieur.gouv.fr/sections/a_la_une/toute_l_actualite/immigration/resultats-politique-migratoire-2011/view
(2)http://www.mediapart.fr/journal/france/100112/immigration-gueant-toujours-plus-en-phase-avec-le-pen
(3) http://www.ofii.fr/IMG/pdf/Instruction-2010-03.pdf
(4) http://www.rue89lyon.fr/2011/12/20/lyon-absurdites-retours-humanitaires-droumains/

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