dimanche 5 février 2012

La semaine où la campagne a viré à l'extrême droite



C'est un tournant dans une campagne présidentielle, qui, jusque-là, n'avait pas ouvertement franchi la ligne jaune. En une semaine, le FN et l'UMP ont renoué avec leurs vieilles habitudes sans hésiter à la piétiner.

Samedi 4 février, devant 300 jeunes de l'association étudiante (très à droite) UNI, réunis pour un colloque à l'Assemblée nationale, Claude Guéant a lancé : «contrairement à ce que dit l'idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas»(lire notre récit de ces réunions à huis clos). Dans le discours, le ministre de l'intérieur appelle à «protéger notre civilisation».«Celles qui défendent l'humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient», argumente-t-il, ajoutant : «celles qui défendent la liberté, l'égalité et la fraternité, nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique».

Des propos qui ont déclenché de nombreuses réactions d'indignation à gauche. «La provocation pitoyable d'un ministre réduit à rabatteur de voix FN», a dénoncé le socialiste Harlem Désir. Claude Guéant, lui, «ne regrette pas». Sur RTL, dimanche matin, il a même persisté et signé :



Ce discours nous replonge dans le débat sur l'identité nationale, organisé par feu le ministère de l'immigration et de l'identité nationale, fin 2009, et qui s'était transformé en défouloir raciste.L'intitulé du colloque de l'UNI était d'ailleurs très clair: «Vaincre pour la France». A quatre-vingts jours de l'élection présidentielle, l'UMP tente donc de remobiliser la frange droitière de son électorat.

En témoigne cet autre «épisode» de la semaine: la stigmatisation des «étrangers» sur le site du parti présidentiel, qui invite les internautes à répondre à des «questions de la semaine» à la formulation effarante. Exemple: «Pour lutter plus efficacement contre les actes de délinquance commis par une frange de la population qui a fait de la violation de la loi pénale son mode habituel de vie, doit-on expulser les étrangers auteurs de tels faits?» (voir notre article). Comment ne pas évoquer aussi cette phrase lâchée par le chef de l'Etat lui-même, jeudi, sur un chantier, dans l'Essonne? «Cela change du pays, quand il fait moins 8», a-t-il lancé en s'adressant à un travailleur noir.

Si l'UMP se radicalise, c'est évidemment parce qu'elle est en difficulté (lire nos analyses ici et ). Mais c'est aussi parce que le Front national lui a, cette semaine, libéré un espace. En effet, en participant le week-end dernier à un bal de l'extrême droite en Autriche (lire notre récit), Marine Le Pen a renoué avec les habitudes de son père. Les avait-elle vraiment abandonnées? La présidente du FN n'a d'ailleurs pas désavoué Jean-Marie Le Pen, qui s'est fendu à cette occasion d'une énième provocation: «J'ai moi-même assisté à cette magnifique manifestation qui retrace d'ailleurs le Vienne du XIXe siècle, c'est Strauss, sans Kahn, si vous voulez», a-t-il lancé sur France-3. «Un trait d'humour», a-t-elle commenté.

SOS Racisme a dénoncé un «bal immonde pour nostalgiques du IIIe Reich», le Front de gauche une «VRP de la haine en week-end»et le Modem un «bal tragique» qui fait «tomber le masque» de la candidate frontiste. L'Union des étudiants juifs de France (UEJF) s'est «s'inquiétée du silence de la société civile et de la classe politique». Le PS a très tardivement réagi. L'UMP, elle, s'est bien gardé de le faire. Et pour cause: le parti présidentiel a opté pour une triple stratégie: ne pas taper trop fort sur Marine Le Pen, chasser sur ses terres et obliger le PS à se positionner sur ces questions (lire notre enquête sur la riposte au FN).

Un cadre de l'UMP l'a d'ailleurs formulé ainsi à Mediapart: «A l’UMP, on n’a pas intérêt à donner l’impression que notre adversaire c’est le FN, ni à lui donner de l’importance. Son électorat est volatil, on en aura besoin au second tour, il ne faut pas le braquer.» Il faut «en parler, mais pas trop abondamment. On tape fréquemment sur son projet, mais en restant sur l’économie et le social. On n’a pas intérêt à parler des autres thématiques (immigration, peine de mort, etc.), on a peur d’être moins audible.»



«Que la France reste la France»

Dans ses interventions d’ailleurs, Nicolas Sarkozy ne cite jamais la présidente du FN, mais accumule clins d’œil et appels du pied à ses électeurs. Quand il célèbre les six cents ans de la naissance de Jeanne d’Arc. Ou lors de ses vœux aux forces économiques, le 19 janvier, lorsqu’il évoque «ceux qui souffrent» et se «tourn(ent) vers celui qui crie le plus fort, non pas parce qu'il a la solution, mais parce que, au moins, il exprime une colère». «Dans un pays en difficultés, celui qui crie le plus fort est souvent le plus entendu», a-t-il redit sur huit chaînes, le 29 janvier. Ou encore quand, ce même 29 janvier, il envoie Gérard Longuet à Perpignan inaugurer hier matin le centre de documentation des Français d'Algérie à Perpignan (lire ici), où ce dernier chantera à plein poumons «Le chant des Africains» (devenu celui de l'OAS).

Mediapart n'a eu de cesse de raconter ce virage d'une partie de l'UMP (retrouvez notre dossier complet sous l'onglet «Prolonger»). Cette UMP au pouvoir devenue une droite extrême et extrêmisée, flirtant avec le Front national (lire notre enquête). «Lepénisation»,le mot a été lâché, à gauche, mais aussi à droite, par Yves Jégo, proche de Borloo. Combien de parlementaires, de (anciens) ministres, d'élus locaux ont dénoncé une «course après le Front national»? (comme Hervé Gaymard, Jean-Pierre Raffarin,Rama Yade, Dominique de Villepin, etc). Pendant le débat sur l'identité nationale (novembre 2009-février 2010), pendant celui sur l'islam (mars 2011), ou encore lors dans la séquence qui a suivi le discours sur Grenoble (juillet 2010) et la circulaire sur les Roms.

Dans la perspective de la présidentielle, Nicolas Sarkozy joue sur deux registres, comme nous l'écrivions déjà en septembre dernier: d'une part le président qui «rassure» et «protège» dans la crise, d'autre part celui qui agite les peurs. Cette dernière tâche est assurée par son bras droit Claude Guéant, aidé en cela par le collectif de députés de la Droite Populaire.

L'arrivée au ministère de l'intérieur de Claude Guéant a sonné le début d'une surenchère, qui n'a rien d'une série de dérapages incontrôlés (lire notre article «Claude Guéant, porte-drapeau des thèses de l'extrême droite» et notre enquête sur cinq ans de «mots du FN dans la bouche de l'UMP»). Le 20 décembre encore, le ministre de l'intérieur avait annoncé des «mesures spécifiques» contre «la délinquance étrangère», promettant qu'un texte «sera déposé avant l'élection» présidentielle. En un an, il a fait du modèle d'assimilation des immigrés le credo du gouvernement (lire l'analyse de Carine Fouteau). Le 11 décembre, il réclame des immigrés «gentils» et «polis», demandait qu'ils respectent «l'art de vivre français».

Le 29 novembre, il répète: «Pour que l'intégration se fasse (...),il faut qu'il y ait moins d'immigrés accueillis chaque année.»Deux jours plus tôt, il explique que la France accueille chaque année 200.000 étrangers et que c'est «trop». Il va jusqu'à reprendre la comparaison favorite de Marine Le Pen: «C'est l'équivalent d'une ville comme Rennes». Le 17 novembre, il estime que «les immigrés que nous accueillons doivent adopter nos coutumes» et demande que les étrangers naturalisés signent une «charte des droits et devoirs du citoyen français», à partir du 1er janvier 2012.

Dès mars 2011, Claude Guéant avait montré la voie à suivre à l'UMP. «Les Français, à force d'immigration incontrôlée, ont parfois le sentiment de ne plus être chez eux, ou bien ils ont le sentiment de voir des pratiques qui s'imposent à eux et qui ne correspondent pas aux règles de notre vie sociale», explique ce jour-là Claude Guéant (vidéo ci-dessous à 7 minutes). Marine Le Pen applaudit et lui offre «une carte d'adhérent de prestige», elle qui évoque constamment «le sentiment que l'on se sent dépossédé de notre pays» (voir notre vidéo).



Dérapage du ministre? Non, une variante de son entretien de la veille dans Le Monde: les Français «veulent que la France reste la France» et «que les nouveaux arrivés adoptent le mode de vie qui est le leur, ils veulent que leur mode de vie soit respecté». Ces phrases, il les répétera le 3 juillet, le 22 octobre, le 17 novembre. Le 4 avril, il avait également soutenu que «l'accroissement du nombre des fidèles de cette religion, un certain nombre de comportements, posent problème.»

Le parti présidentiel a embrayé. Tout l'automne, UMP et FN se sont d'ailleurs livré à une surenchère contre le vote des étrangers aux élections locales. Marc-Philippe Daubresse, secrétaire général adjoint du parti - et pourtant centriste - avait alors promis de mener une «grande campagne de mobilisation» sur cette question,«contraire à nos valeurs».

«Lepénisation», le mot est réfuté par les principaux intéressés. «Je n'ai rien à voir avec le Front National, rien de commun avec le FN»; «Jamais je n'aurai les théories, les thèses folles du Front national», s'est justifié Claude Guéant tout l'hiver. Son axe de défense est inchangé: la majorité des Français réclamerait cette politique. «Il y a beaucoup de Français en attente de sécurité et de maîtrise de l'immigration. (...) Je parle de l'immigration parce que c'est un sujet qui préoccupe beaucoup les Français», dit-il encore le 29 novembre sur RTL. «Les Français attendent», «les Français veulent», répète-t-il. Que place le ministre derrière cette notion «les Français» ? En décembre, il a donné quelques éléments de réponse, sur France 5: «Si des électeurs du Front national trouvent que je réponds à leurs attentes, j'en suis content».

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