dimanche 12 février 2012

Le sarkozysme tardif : sur une droite hémiplégique



Chacun se souvient du candidat Sarkozy juché sur un cheval camarguais en tenue de gardian, une meute de photographes et de cameramen à sa suite, parquée sur une charrette qui avançait au pas. L’image fit sourire. Ce n’était que la première d’une suite de clichés présidentiels, le banc titre du sarkozysme.

Ici, le président, s’ennuie au milieu des soldats en terre cuite exhumés par les archéologues chinois. Là, il assiste à la Maison Blanche, à un drame costumé sur Lafayette aux côtés de Georges W. Bush. Surprenant moment de théâtre dans le théâtre. Chacun se souvient de la sortie à Eurodisney avec Carla Bruni ? Et les pyramides d’Egypte ! et le yacht des Bolloré ! Inoubliable ! Certaines histoires finissent mal. D’autres connaissent un happy end comme la libération des infirmières bulgares ou celle d’Ingrid Bettencourt. Une « séquence sans faute » selon le président.

Il y a trois âges du sarkozysme : avant, pendant et après la crise de 2008. A l’intérieur de chacun de ses âges, il y a 7 saisons comme dans toute bonne série télévisée, et à l’intérieur de chaque saison, une sucession d’épisodes avec ses personnages familiers, ses intrigues, ses coups de théâtre.

La saison 1 du sarkozysme qui retrace la campagne électorale de 2007 a donné un lieu à un film « La Conquête » de Xavier Durringer et une fiction « larger than life » de Yasmina Reza «L’aube le jour la nuit ». La candidature suprême considérée comme un rêve d’enfant.

La saison 2 fut riche en rebondissements personnels : une famille recomposée à l’Elysée. L’impromptu de Wolfoboro. Un divorce à l’italienne. Un remariage avec une italienne. On aurait pu l’intituler « L’éducation d’un président ».

La saison 3 vit le retour à l'équilibre familial et national. C'est la fin du bling-bling, le retour du sérieux, la présidentialisation du président avec l’ épisode de la réception à Londres par la reine d'Angleterre et la nuit passée dans la chambre "nuptiale" au château de Windsor. La révérence parfaitement exécutée par la première dame est restée dans toutes les mémoires.

La saison 4 inaugurée par la faillite de la banque d’investissements Lehman Brothers permit à N. Sarkozy de jouer un nouveau rôle : celui du « capitaine courage » dans la tempête. Un surprenant tête à queue politique qui vit l’avocat des subprimes à la française se transformer en procureur du capitalisme financier.

La saison 5 fut la plus difficile pour notre héros. Il subit de plein fouet la crise financière alors qu’Obama capte l’audience mondiale et éclipse le feuilleton français qui apparaît soudain démodé et provincial.

La saison 6, entièrement consacrée à la guerre en Lybie, permit de faire oublier l’échec de la diplomatie française lors des révolutions arabes en Egypte et en Tunisie.

La saison 7, en cours de tournage, pourrait s’intituler « Reconquête » ; elle retrace la campagne pour la réélection. Après le succès de l’épisode Toulon I à l’automne 2008, Sarkozy tente un remake à l’automne 2011, Toulon II, avec, à la barre du vaisseau France dans la tempête, toujours le même capitaine éclaboussé.

A force de changer, Sarkozy est revenu à son point de départ. Un réformisme brouillon. Un activisme sans ligne de force. Evoquant le prurit réformiste de Nicolas Sarkozy en fin de mandat, François Chérèque n'a pas mâché ses mots : "Cette agitation me rappelle son début de mandat. On est dans l'incontinence politique !" Tous les chapitres de la vie politique ont été affectés depuis cinq années par ce "bougisme" qu'on a trop souvent analysé comme un trait de caractère du président alors qu'il constitue peut-être un signe distinctif de l'agir politique sous le néolibéralisme. Les fables du néolibéralisme ne nous invitent-elles pas depuis trente ans à la flexibilité, au nomadisme, à l'adaptabilité ?

Le président évoque jusqu'à la caricature le manager néolibéral, faisant appel au volontarisme politique et au potentiel des individus ("Quand on veut, on peut") et recourant sans cesse à la rhétorique de la rupture pour rejeter l'expérience passée : "Le laisser-faire, c'est fini", "Les paradis fiscaux, c'est fini"... Ainsi va le chapelet de taxes et de réformes qu'il égrène en fin de mandat, sanctionné par la perte du triple A.

En cinq ans, Sarkozy a fait un usage boulimique des habitus présidentiels ; il s'est inspiré tour à tour de Giscard, de Mitterrand, de Pompidou... mais aussi de Berlusconi, de Blair, de Bush. Quand il n'allait pas chercher ses modèles chez Reagan ou Thatcher. Sarkozy est modelable à loisir, il peut s'internationaliser à la faveur d'un G20 ou d'une crise en Géorgie, puis se renationaliser le temps d'un débat sur l'identité nationale. Il peut se faire l'avocat d'une France de propriétaires et défendre le mot "ouvrier", le mot seulement bien sûr car la condition ouvrière, c'est autre chose : quand elle fait grève, "plus personne ne s'en aperçoit". Il peut fêter sa victoire au Fouquet's avec ses amis du CAC 40 et dénoncer à Toulon les excès du capitalisme financier... Inviter Kadhafi à Paris en début de mandat et écraser son régime sous un tapis de bombes. Proposer l'aide de la France à la répression des émeutes en Tunisie et se présenter comme le protecteur des révolutions arabes... (Français ! Prenez garde s'il lui prend l'idée de vous protéger !)

De changements de style en tournants politiques, Nicolas Sarkozy n'a cessé de redessiner l'image fuyante de la fonction présidentielle. Le résultat est un portrait tremblé, surchargé d'images en surimpression, en quoi nous avons du mal à reconnaître un président. Mais ce défaut d'incarnation qu'on a lui souvent reproché n'est en rien l'apanage de ce président même si par une étrange ironie étymologique les Grecs appelaient sarkosis cette incarnation qui lui ferait défaut. La perte d'aura des gouvernants est à l'oeuvre partout, et ce bien avant la crise de 2008. L'irruption sur la scène politique italienne, en 1994, d'un Silvio Berlusconi, prince gominé aux implants légendaires, éternellement maquillé, en fut le premier indice en Europe mais elle affecta tour à tour Bill Clinton, Tony Blair et George W. Bush.

Diane Rubenstein, l'auteure d'un essai sur les présidences américaines, a identifié dans les biographies de Bill Clinton ce qu'elle appelle une "pathographie" présidentielle liée à la "téléprésence du président soumis au confessionnal quotidien des interviewers, à la fausse intimité des talk-shows, et à une tendance à l'hyperbole des magazines" contraints de surenchérir pour capter l'attention.

A lire ses biographes, "tout semblait disproportionné chez Bill Clinton, voire pathologique et corroborerait sa nature excessive". George H. Bush et Ronald Reagan "offraient des points fixes d'identification", les biographes décrivent un Clinton caméléon, "morphable à l'infini, un symptôme selon certains de son immaturité liée à un sentiment d'abandon dans son enfance", exactement comme on a pu le dire de Nicolas Sarkozy. Edith Efron, une journaliste du magazine libertarien Reason, ira jusqu'à diagnostiquer chez lui des troubles cognitifs dans un article intitulé "Le président peut-il penser ?" de la même manière qu'un hebdomadaire français s'interrogeait en novembre 2007 : "Sarkozy est-il fou ?"

"Le président est moins un symbole ou un signe, écrit Diane Rubenstein, qu'un lieu de projections de nos désirs contradictoires." Notre "projecteur en chef", disait Mark Crispin Miller de George W. Bush. Et Frank Rich, l'ex-chroniqueur du NYT, à propos de Clinton : "Sa schizophrénie est la nôtre."

Le sarkozysme est une saga populaire. Il ne se connaît d’autre maître que l’audimat, d’autre loi que le suspense. Plutôt que les statistiques du chomage, il préfère se fier aux audiences de la télévision. Son seul horizon c’est la séquence. Après l’Etat providence, l’ETABLOÏD…

La Saga sarkozyste a ses « côtés » comme la recherche proustienne. Il y a un côté Nadine Morano chez Sarkozy, et un côté Nathalie Kosciusko-Morizet. Un côté peuple et un côté people. Il se veut moderne, transgressif, rénovateur, mais il est tout autant vintage, attaché à faire revivre des vieux mythes épuisés. Henri Guaino, en conservateur préposé à la restauration des vieux mythes, lui a fourni une vision muséographique de la France, hantée de héros figés dans le formol : «C’est la France de Saint-Louis et celle de Carnot, celle des croisades et de Valmy….Celles des cathédrales et de l’Encyclopédie ».

Le récit de la campagne de 2007 où chatoyaient les références historiques et idéologiques s’est figé. Le voilà en train de disputer au Front National la dépouille de Jeanne d’Arc. Tout se passe comme si Sarkozy ayant vécu tous les scénarii, épuisé tous ses masques avait choisi de se montrer à visage découvert. Celui d’un néoconservateur à la française. En opposant ceux qui travaillent et ceux qui touchent des allocations, les néoconservateurs ont toujours su trouver des boucs émissaires au sein même de la classe ouvrière : les chômeurs, les malades, les immigrés... G.W. Bush disait qu’il voulait protéger les américains des « terroristes de Téhéran » et des « homos de Hollywood ».

C’est ce qu’imite sans imagination le Sarkozy de 2012. Il ne se contente pas de lorgner sur les voix du Front national, il propose un compromis social basé sur clivage artificiel entre ceux qui sont intégrés et ceux qui sont exclus, ceux qui « font vivre le système » et ceux qui en bénéficient. Un clivage vieux de trente ans et que la crise entre temps a démasqué. C’est ce constat et ce décalage qui fonde mieux qu’un sondage la nécessité historique de son échec et de son dépassement…

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