mercredi 1 février 2012

Lois mémorielles : et les harkis ?



Saïd Benaisse Boualam, dit "Bachaga Boualam" (haut dignitaire Boualam) est un de ces arabes qui firent la France, n'en déplaise à certains qui ne songent qu'aux racines chrétiennes de notre pays, et à une identité nationale qu'ils imaginent immaculée, en préférant oublier ses épisodes honteux.

Le Bachaga Boualam, commandant de la harka de l'Ouarsenis (entre Oran et Alger) était le chef des 24 tribus arabes des beni-boudouane, en Algérie.
Plus Français que certains, ce colonel de l'armée Française, grand officier de la Légion d'honneur, élu député d'Orléansville, fut vice-président de l'Assemblée Nationale de 1958 à 1962.

C'est à Arles, dans le village de Mas-Thibert, qu'il termina ses jours en 1982.

On pourrait croire qu'il symbolisait la reconnaissance de la France à ces combattants Algériens engagés pour l'Algérie Française, à tort ou à raison…

Le gaullisme, revendiqué par tous, n'est pourtant pas ce qu'on croit. Inutile de revenir sur les manœuvres d'un général vieillissant, en 1958, qui a trompé tout à la fois l'armée et les Français d'Algérie, pour reprendre le pouvoir et donner à la France une constitution taillée à sa mesure, dont nous subissons encore les effets pervers.

Revenons plutôt sur le sort de ces harkis, ces arabes qui aimaient la France et que la France n'aimait pas.

Le vendredi 6 janvier, Audrey Pulvar faisait une chronique sur France Inter, « Harkis, les mythes et les faits », sur Claude Lanzmann et sa publication dans "Les Temps Modernes" d'un ouvrage consacré à la tragédie des harkis. C'est dans le 666e numéro de la revue qu'est donc évoquée une page des plus diaboliques du Gaullisme.

La journaliste lit ce témoignage bouleversant :

Avril 62, Daniel, un Français, fait son service dans la Marne. Il se voit confier la mission de ramener en Algérie des harkis réfugiés en France depuis plusieurs mois. Témoignage :

« Nous les avons descendus jusqu’au port de Marseille dans les fameux camions FIAT et lorsqu’on est arrivé, on a vu arriver d’autres camions qui venaient de plusieurs villes de France dont Tours, Orléans et Clermont-Ferrand et qui transportaient, aussi, des harkis à renvoyer en Algérie. On s’est retrouvé avec 400 ou 500 harkis. On a eu beaucoup de mal à les canaliser pour les faire monter dans le bateau, le soir même sur « Le ville d’Alger ». C’est sûr que là, il y en a qui reculaient… Il y a eu des regards qui étaient terribles 
(…) Ce qui a été terrible, c’est lorsqu’on les comptait dans la nuit et que l’on ne retrouvait pas un que l’on avait repéré, on nous disait« Il n’est plus là… ». On demandait « Mais il est où ? ». On nous répondait : « Il a sauté du bateau ». Je répliquais « Ce n’est pas possible ! ». On avait du mal à croire qu’ils s’étaient suicidés. Lorsqu’on était au trois quart du voyage, on s’était rendu compte, qu’il en manquait vraiment…
(…) J’ai voulu raconter cette expérience. C’était une injustice, même à l’époque… Et pourtant on ne parlait pas de politique à 20 ans… Mais cette injustice… Que de Gaulle prenne la décision de renvoyer des harkis, des gars qui normalement nous ont aidés certainement du mieux qu’ils pouvaient et de leur avoir promis de les loger, de les accueillir puis les renvoyer six mois après… Moi, j’ai trouvé ça, là maintenant, parce qu’à l’époque je ne savais pas… pour être clair… J’ai trouvé ça dégueulasse… C’est pas normal, … C’est tout !

Cette décision politique se retrouve dans une note secrète de Louis Joxe adressée le 12 mai 1962 au Haut Commissaire Christian Fouchet :
Les renseignements qui me parviennent sur les rapatriements prématurés des supplétifs indiquent l'existence de véritables réseaux tissés sur l'Algérie et la Métropole et dont la partie algérienne a souvent pour origine un chef SAS. Je vous envoie au fur et à mesure la documentation que je reçois à ce sujet. Vous voudrez bien faire rechercher tant dans l'armée que dans l'administration les promoteurs et les complices de ces entreprises et faire prendre les sanctions appropriées.
Les supplétifs débarqués en Métropole en dehors du plan général de rapatriement seront, en principe, renvoyés en Algérie où ils devront rejoindre avant qu'il soit statué sur leur destination définitive le personnel déjà regroupé selon les directives des 7 et 11 avril. Je n'ignore pas que ce renvoi peut être interprété par les propagandistes de la sédition comme un refus d'assurer l'avenir de ceux qui nous sont demeurés fidèles, il conviendra donc d'éviter de donner la moindre publicité à cette mesure; mais ce qu'il faut surtout obtenir, c'est que le gouvernement ne soit plus amené à prendre une telle décision.

Le nombre total de harkis abandonnés par la France Gaulliste et exécutés est difficile à évaluer. Jean Lacouture, dans le Monde du 12 novembre 1962 parle de 10 000 victimes, assassinés entre le 19 mars et le 1er novembre, mais le rapport Vernejoul adressé au Conseil Economique et Social en janvier 1963 évoque 25 000 morts, comptabilisés de l'indépendance à octobre 1962. D'après les évaluations du Bachaga Boualam, du général de Mire ou du général Jacquin, on arriverait à un total de 100 à 150 000 victimes, ce dernier chiffre étant repris par Jacques Soustelle dans son ouvrage "28 ans de Gaullisme". Jean-Marie Bastien-Thiry, lors de son procès après l'attentat raté du Petit-Clamart, a évoqué plusieurs centaines de milliers de victimes en parlant de "génocide gaulliste des Français musulmans".
(d'après Charles-Robert Ageron, Le « drame des Harkis » : mémoire ou histoire ?)
Nicolas Sarkozy avait fait cette promesse (une de plus) lors de la campagne présidentielle de 2007 : "Si je suis élu président de la République, je veux reconnaître officiellement la responsabilité de la France dans l'abandon et le massacre de harkis".

Néanmoins, Yves Thréard notait sur son blog du Figaro, le 12 décembre 2011 :
Arrivé à la tête de l’État, Nicolas Sarkozy tentera, comme ses prédécesseurs, d’améliorer le sort des harkis. Entreprise compliquée qui, comme d’habitude, sera en partie sacrifiée sur l’autel des bonnes relations franco-algériennes. Bouteflika, le président algérien, que Claude Lanzmann a bien connu pendant la guerre, fit comprendre à Sarkozy, en décembre 2007, qu’un important contrat gazier avec des compagnies françaises valait davantage qu’une réparation des injustices endurées par les harkis. 

Au lieu de faire la lumière sur cette page sombre de l'histoire de France, la République fait voter des lois mémorielles consacrées au génocide Arménien. Une fois de plus, au lieu de reconnaître ses fautes, elle reconnaît celle des autres.
C'est tellement plus simple.

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