Mercredi soir à Cannes.© (dr)
Nicolas Sarkozy n'a plus de chance avec les agendas. Il avait été contraint de différer de quelques jours son émission télévisée, la semaine dernière, dans l'attente d'un conseil européen extraordinaire. Cette fois, la crise grecque devenue crise politique européenne vient effacer l'ordre du jour du G20. Demain soir, encore une fois présent sur les deux principales chaînes de télévision (TF1 et France-2 l'accueillent dans leur JT de 20h), et avec Barack Obama comme partenaire, le président ne manquera pas de montrer combien il est un vrai président. Tellement président qu'il ne peut que continuer à l'être après 2012...
Mais cet exercice de communication ne pourra masquer l'échec déjà acté. Au G20, le grand « accord » européen du 27 octobre – de sauvetage de la Grèce mais, au-delà, de mise en sécurité de la zone euro – devait être triomphalement présenté aux Etats-Unis, à la Chine et aux autres grands acteurs de la planète (Brésil, Inde, Russie, Afrique du Sud, entre autres).
Or cet accord n'existe plus depuis l'annonce par le premier ministre grec de sa volonté d'organiser un référendum. Et ce qui s'est produit mercredi soir à Cannes, lors d'une réunion à trois Merkel-Sarkozy-Papandréou, montre l'ampleur du désastre.
Couché ou dehors ! C'est l'alternative qui a été présentée par le couple franco-allemand au premier ministre au cours d'une réunion décrite comme très tendue (la vidéo de la conférence de presse est ici). La dramatisation n'est pas cette fois qu'une mise en scène. Car la Grèce est clairement sur la voie d'une sortie de l'euro. C'est d'ailleurs peu ou prou la formulation de la question qui sera posée aux Grecs lors du référendum qui devrait se tenir le 4 décembre : voulez-vous ou non que la Grèce sorte de la zone euro ?
«Ce n'est pas seulement une question sur un programme, c'est la question de savoir si nous voulons ou pas rester dans la zone euro. C'est très clair, et cela doit l'être pour tout le monde», a convenu M. Papandréou à la sortie de cette réunion. « Je crois que le peuple grec veut que la Grèce reste dans la zone euro et je crois que ce référendum le montrera. Je veux dire que nous aurons un "oui" », a-t-il ajouté.
« C'est aux Grecs et à eux seuls de décider s'ils veulent continuer l'aventure avec nous», a déclaré M. Sarkozy lors d'une conférence de presse conjointe avec la chancelière allemande. «L'euro doit conserver sa stabilité, de préférence avec la Grèce que sans, mais le devoir de garder un euro stable est notre mission première», a prévenu Angela Merkel, faisant le choix de la protection de ce qui ressemble de plus en plus à un euro-mark plutôt que de réinventer des solidarités européennes. Pas question de renégocier l'accord du 27 octobre: le «paquet» est à prendre ou à laisser.
Très loin d'un G20 devenu largement inutile, c'est donc un calendrier politique différent qui s'est enclenché à Athènes. Tandis que le sommet s'achèvera, vendredi, les députés grecs commenceront à débattre du vote de confiance au gouvernement puis de l'opportunité d'un référendum.
Ce vote est loin d'être acquis et l'horizon laisse maintenant entrevoir deux solutions qui, toutes deux, brisent les ambitions sarkozystes : un référendum ou des élections anticipées en Grèce. Dans les deux cas, une impossibilité d'appliquer rapidement l'accord européen : ce sera « au mieux ». Au pire – mais est-ce le pire ? –, un défaut fracassant de la Grèce, une sortie de l'euro et un effet domino sur les quatre pays fragilisés de la zone euro, Italie, Espagne (les élections ont lieu le 20 novembre), Belgique et, pourquoi pas ?, la France.
1. Georges Papandréou, d'abord
Ce ne sera pas claironné mais les dirigeants ne s'y trompent pas. Le rebondissement grec vient sanctionner durement l'échec de trois responsables : Angela Merkel, Nicolas Sarkozy et Georges Papandréou. Chacun, pour des raisons différentes, a conduit l'Union européenne au bord du précipice, jetant la première zone économique mondiale dans une crise aux facettes multiples et dont les conséquences sont aujourd'hui imprévisibles.
Georges Papandréou, mercredi à Cannes.
Georges Papandréou, fade héritier d'une des deux grandes dynasties politiques du pays (avec les Caramanlis) qui se partagent le pouvoir depuis pratiquement 35 ans, découvre bien tardivement les vertus toutes démocratiques d'un appel au peuple, via un référendum. Le geste est courageux et bienvenu tant il remet au centre, et dans toute l'Europe, la question principale, la question très politique du mandat accordé par les citoyens (lire ici l'article de Martine Orange).
Mais il n'a pas assez été souligné combien son gouvernement avait déjà perdu toute légitimité... à peine créé. Car Papandréou et les socialistes du Pasok ont, en 2009, conduit une campagne électorale à gauche toute. La crise de la dette n'avait pas encore éclaté, et les problèmes financiers étaient soigneusement poussés sous le tapis.
Tout juste élu et nommé premier ministre, un gouffre s'ouvre sous les pieds de Georges Papandréou. Et le voici soudain conduit à engager à marche forcée une politique très exactement contraire à son programme et à celui de son parti !
Les mouvements sociaux ininterrompus depuis deux ans, les grèves générales à répétition n'y auront rien fait. Le gouvernement grec – muni d'un mandat pour le moins obsolète ou obscur – a poursuivi la mise en place d'une cure d'austérité sans précédent qui a mis à genoux le pays. Les innombrables appels d'économistes ou de politiques expliquant que ce « premier » plan d'austérité grec serait sans effet, sauf à prendre le risque de tuer le malade, n'ont pas plus été entendus. Car Papandréou, européen convaincu, farouche partisan de l'euro, n'était ni préparé ni volontaire pour être l'homme de la rupture du pacte européen.
Le résultat est là : un nouveau plan a dû être échafaudé en juillet, lors du conseil européen du 21, pour être ensuite revu, remanié, rediscuté, etc., pour finalement arriver à l'accord mort-né de la semaine dernière. Entre-temps, le gouvernement grec est simplement tombé en panne, incapable de mettre en œuvre la thérapie de choc qu'il disait accepter dans les instances européennes.
Ainsi autant la cure d'austérité a été bel et bien conduite en 2010, autant depuis le début de l'année, aucune des réformes programmées n'a été menée à bien. C'est l'IOBE, un des grands centres de recherche économique d'Athènes, qui en fait le constat dans trois rapports trimestriels détaillés sur 2011 (ils sont à télécharger ici). Les privatisations voulues n'ont pas été conduites, la collecte de l'impôt est en panne, les réformes structurelles ont été gelées, l'armée et l'église orthodoxe restent scandaleusement protégées, l'appareil d'Etat et les collectivités locales bloquent à tous les niveaux les réformes.
L'échec de Papandréou est celui-là : deux années de louvoiements, sans débat démocratique dans le pays, sans même de vrai dialogue avec son parti le Pasok, et sans construction de scénarios alternatifs face aux banques européennes et à l'Allemagne. Cette faiblesse l'a conduit dans l'impasse dont il tente aujourd'hui de sortir.
Convaincu d'être mis en minorité par son parti, sur fond de mobilisation sociale grandissante, l'appel à un référendum a été pour lui la dernière arme. Celle qui peut lui permettre d'arracher un « oui ». Un « oui » qui deviendrait alors un plébiscite lui laissant de larges marges de manœuvre pour appliquer l'austérité, deuxième étape. Georges Papandréou a ainsi tout intérêt à dramatiser à l'extrême la situation et à accepter la question qui sera posée aux Grecs, dictée par Paris et Berlin, et qui se résume à un oui ou non à l'Europe.
Le premier ministre n'est pas sûr d'emporter ce coup de poker politique. Déjà, son ministre des finances, Evangélos Vénizélos, s'est déclaré mercredi soir opposé à un référendum, estimant que l'appartenance de la Grèce à l'euro est « une conquête historique du peuple grec qui ne peut pas être mise en question. Ceci ne peut pas dépendre d'un référendum».
2. Nicolas Sarkozy ensuite
En attendant, la tranche de 8 milliards d'euros qui devait être versée à Athènes la semaine prochaine est gelée, tant que l'accord intervenu lors du dernier conseil n'est pas entériné par les Grecs.« Nous ne pouvons engager l'argent du contribuable européen, français, allemand qu'à partir du moment où un certain nombre de règles sont respectées. Si elles ne le sont pas, ni l'Europe ni le FMI ne pourront verser un centime», a proclamé mercredi soir Nicolas Sarkozy.
Nicolas Sarkozy, mercredi soir.
On ne soulignera jamais assez combien les racines de la crise politique européenne actuelle plongent également au tout début du mandat du chef de l'Etat. Ce n'est pas détour inutile que de rappeler ce qui fut à l'époque presque unanimement salué comme un immense succès, un fait d'armes qui installait le président comme vrai leader européen : l'adoption du traité de Lisbonne, ou « traité simplifié », censé remettre sur pied la machinerie institutionnelle européenne ; la présidence française de l'Union européenne au second semestre 2008.
Le résultat fortement résumé de ces deux épisodes est simple : des citoyens européens tenus à l'écart, une marginalisation des instances communautaires, la nomination ou reconduction par Paris et Berlin de trois figures particulièrement faibles : Van Rompuy (présidence du conseil européen), Barroso (commission européenne), Ashton (politique extérieure de l'Union).
En contrecoup, la montée en puissance du couple franco-allemand – fait pourtant de relations orageuses – n'a cessé de s'imposer à toute l'Union, jusqu'à devenir confiscatoire. Qui peut citer aujourd'hui une initiative forte de Barroso, de Van Rompuy, de Juncker (pourtant inamovible président de l'Eurogroupe), ou de Michel Barnier (notre grand commissaire français a lui sombré dans l'oubli), comme de n'importe quel autre commissaire européen d'ailleurs?
Cette quasi-disparition de la méthode communautaire (celle qui a pourtant fait avancer l'Europe) au profit d'une Europe intergouvernementale se réduisant de fait au tandem Sarkozy-Merkel a atrophié l'Europe, éteint ses débats, affaibli ses processus de décision politique. Et ce processus a été en plus favorisé par les socialistes européens du Parlement de Strasbourg, refusant de croiser le fer avec Barroso et de combattre l'extravagante omniprésence du duopole « Merkozy ». C'est ce directoire Paris-Berlin qui s'est imposé sans discussion à toute la zone euro.
3. Angela Merkel enfin
Mais dans ce directoire, il y a un seul pilote et ce n'est pas Nicolas Sarkozy. Le chef de l'Etat pensait clairement en 2008 et 2009 prendre le leadership de l'Union, mettant en avant des relations nouvelles avec le Royaume-Uni et utilisant à son profit l'imagerie classique du couple franco-allemand. C'est une situation inverse qui s'est produite, le redressement économique de l'Allemagne face à une situation française de plus en plus dégradée autorisant Angela Merkel à imposer ses vues. Nicolas Sarkozy peut prétendre être la « tête de gondole » du rayon politique mais il n'est, de fait, que le porte-parole activiste d'une politique qui est en premier lieu décidée à Berlin (lire notre enquête : comment Sarkozy a perdu pied en Europe).
Angela Merkel, mercredi soir
L'essentiel de la politique allemande a été énoncé ce mercredi soir à Cannes par Angela Merkel : « Garder un euro stable est notre mission première. » Un euro stable est un euro fort, celui que veut l'opinion allemande, avec une banque centrale européenne luttant contre l'inflation et une Allemagne déterminée à engranger le fruit de huit années de purges sociales et d'austérité depuis la mise en place de l'agenda 2010 de Schröder. Premier exportateur mondial, l'Allemagne d'Angela Merkel ne veut de solidarités européennes qu'à ses conditions.
Une partie de son camp demande d'ailleurs de longue date que la Grèce soit exclue de la zone euro, ce qu'elle-même avait publiquement évoqué il y a plusieurs mois. Et depuis plusieurs mois, Nicolas Sarkozy doit céder point par point sur les demandes allemandes. La mise en place d'une gouvernance économique de la zone euro, dont Angela Merkel ne veut pas, est toujours un serpent de mer, apparaissant puis disparaissant au gré des réunions européennes. Le rôle de la Banque centrale européenne demeure inchangé : Sarkozy a plaidé pour qu'elle joue pleinement son rôle de banque centrale en rachetant les dettes des Etats en difficulté. Veto de Berlin.
De même, Sarkozy ne souhaitait qu'une restructuration limitée de la dette grecque (environ 25%) : cela fut acté en juillet pour être aussitôt défait : ce sera 50%, selon l'accord européen définit la semaine dernière. Le chef de l'Etat voulait épargner les banques limitant leur participation à cette opération de restructuration : Merkel a fait valoir un point de vue inverse.
Quelle vision l'Allemagne a-t-elle aujourd'hui de l'Union européenne ? Celle d'un marché unique, débouché naturel de ses exportations, doté d'une monnaie forte : celle de l'Europe d'il y a trente ans, pourrait-on résumer, d'avant la création de l'euro et d'avant l'élargissement à 27. Car si la Grèce est partie prenante de l'Europe « historique » (elle a intégré la CEE le 1er janvier 1981), à travers elle l'avertissement est donné à tous les pays de l'Union qui ne sont pas encore dans la zone euro et veulent y entrer : leur adhésion se fera aux conditions allemandes.source
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