Du début jusqu'à la fin du quinquennat, France Inter aura décidément été une radio bien tenue. Nommé à ce poste par Nicolas Sarkozy à la demande de son épouse Carla, le patron de la station, Philippe Val, y aura consciencieusement assumé la mission qui lui avait été impartie : conduire une brutale reprise en main pour le compte de l'Elysée. Cela a commencé par l'éviction au printemps 2010 des deux saltimbanques de la maison, Stéphane Guillon et Didier Porte. Cela se poursuit aujourd'hui avec un très révélateur entretien accordé au journaliste du site Internet LePoint.fr, Emmanuel Berretta, au cours duquel le même Philippe Val se laisse aller à ses détestations habituelles. Et donne ses consignes pour l'élection présidentielle de 2012.
Si les nouveaux emballements de Philippe Val méritent d'être relevés, c'est que la Maison de la radio, temple du service public de la radio, devrait être par principe la maison commune : le lieu de référence de la radio publique. Alors que nombre de radios privées dérivent fréquemment vers des émissions de plus en plus bas de gamme ou « trash », quand elles ne vont pas jusqu'à libérer la parole du Front national, la radio publique devrait effectivement être un pôle de référence. Le lieu de l'information de qualité et du débat pluraliste. Et le directeur de France Inter devrait être le garant vigilant de cette double exigence. En mettant de côté ses haines ou ses passions personnelles. En garantissant l'indépendance de la rédaction de France Inter. En veillant à ce que France Inter soit la maison de tous, sans ostracisme ni chasse aux sorcières.
Or, dès sa nomination, Philippe Val a procédé à l'inverse. Cela n'a pas été « Ecoutez la différence ! » mais « Ecoutez la dépendance ! ». Détestations, éructations, petites haines personnelles : il a procédé à une sorte d'étrange privatisation de France Inter. Pour le compte de l'Elysée, sûrement ; mais tout autant pour son propre compte. Car on sent bien, à chacune de ses sorties, qu'au-delà de la mission de remise au pas de la radio, ce sont tout autant ses pulsions personnelles qui le guident. Ses pulsions irrépressibles.
Il y a donc eu l'acte fondateur : l'éviction des humoristes et saltimbanques Stéphane Guillon et Didier Porte, qui n'avaient pas l'heur de plaire à l'Elysée, non plus qu'à Jean-Luc Hees, patron de Radio France, et Philippe Val soi-même. Lequel Didier Porte tient désormais chronique sur Mediapart.
Et puis voilà que Philippe Val crache de nouveau sa bile, à la faveur donc d'un entretien avec le journaliste Emmanuel Berretta. Toute la personnalité du patron de France Inter est dans les petites saillies qui émaillent la conversation. C'est comme si c'était plus fort que lui : Philippe Val ne peut pas s'empêcher, presque malgré lui, de laisser transparaître ses haines et ses passions personnelles.
Cela commence par une remarque liminaire qui laisse pantois. Philippe Val fait valoir que « la campagne présidentielle est partie très tôt», et qu'il « faut protéger la politique contre elle-même », c'est-à-dire « éviter la surdose ». « Donc, ajoute-t-il, toutes les fois que ce sera possible, nous veillerons à faire un effort afin qu'au moins un jour de la semaine, la matinale d'Inter puisse aborder un sujet qui soit ou culturel ou sociétal sans tomber dans le "tout-sociologisant" ».
Autrement dit, France Inter va devoir se soumettre à un ordre stupéfiant : alors qu'arrive une échéance politique décisive, la présidentielle, alors qu'on vit une crise historique, alors que la droite est à l'Elysée depuis ... 17 ans, alors qu'il y a une attente forte de solutions et de débats (comme l'ont révélé la primaire socialiste et la participation qu'elle a suscitée), voilà que le patron de l'emblème du service public audiovisuel, France Inter, dit qu'il y a trop de politique sur les ondes de sa station, qu'il faut en faire moins, donc qu'il vaut divertir, c'est-à-dire faire diversion aux enjeux décisifs, démocratiques et sociaux.
Il y a ensuite cette étrange petite sortie, qui laisse à penser qu'à son goût, un rééquilibrage politique serait nécessaire : «On peut facilement observer que la gauche n'est pas lésée sur nos antennes. Ce serait plutôt un peu le cas de la droite (sourire). » Voilà donc la consigne qui se précise : moins de politique en général ; et autant que possible un petit peu moins de gauche...
Et puis d'un seul coup, Philippe Val ne se contient plus et laisse transparaître sa colère contre... Mediapart. Pourquoi contre nous ? Voyons d'abord l'échange.
- « Certains disent que vous avez des idées très arrêtées sur qui doit être invité sur France Inter et qui ne doit pas l'être... Edwy Plenel, par exemple, qui ne serait pas le bienvenu... », demande Emmanuel Berretta.
- « Non, ce n'est pas ça. Tout le monde est le bienvenu. Simplement, ce que j'ai dit aux équipes, c'est de diversifier les points de vue. Pas toujours les mêmes. Edwy Plenel ne peut être l'unique référence du journalisme d'investigation sur France Inter. D'abord parce qu'il n'est pas une référence. Je regrette mais il n'en a pas les qualités ! Quand, dans nos choix d'invités, l'idéologie remplace l'honnêteté que nous devons aux auditeurs qui paient la redevance, alors, oui, je m'insurge. Je suis dans mon rôle. »
En vérité, l'échange est instructif pour de nombreuses raisons. D'abord, il y a la question d'Emmanuel Berretta. Journaliste spécialiste des médias habituellement très bien informé, il suggère qu'il a entendu dire - il n'est pas le seul, nous aussi - que des ordres ont été donnés au sein de France Inter pour que certains invités potentiels soient « black listés ». Dont Edwy Plenel.
Et puis, il y a la réponse de Philippe Val. Stupéfiante !... Car, dans le cas présent, il ne cherche pas même à cacher sa personnalité. Car il aurait pu jouer les faux culs. Et avancer une réponse hypocrite. Du genre : « Mais non ! Je vous le dis et je vous le répète, France Inter, c'est la maison commune. Cette radio, cette la radio de tous, c'est la radio citoyenne. Tout le monde est donc le bienvenu. Parmi les journalistes, d'Edwy Plenel jusqu'à Etienne Mougeotte. Parmi les politiques, de la gauche à la droite. Oui, tout le monde. Sans exclusive.»
Mais au lieu de cela, oubliant sa fonction et ses obligations, Philippe Val confirme qu'il a imposé à France Inter des règles contraires à tous ces principes démocratiques, ceux qui devraient régir l'audiovisuel public. Il confirme... des règles d'ostracisme, selon son bon vouloir. C'est ce que l'on découvre avec stupeur dans cet entretien au Point.fr : sans la moindre gêne, ostensiblement, Philippe Val admet qu'il a donné des instructions pour que quelqu'un qu'il a dans le nez n'ait pas accès au micro de la station. Non seulement il l'assume mais aussi il le revendique : oui, c'est vrai, j'ai donné des instructions. Quoniam nominor...
De quel droit ? En fait, l'histoire n'est pas difficile à décrypter. Le 15 mai 2009, Edwy Plenel est l'invité de la matinale de France Inter pour présenter le livre de Mediapart, Combat pour une presse librec- Manifeste pour la liberté de la presse (Editions Galaade). Et ce jour-là, entendant Edwy défendre les principes d'une presse indépendante et condamner le retour à la nomination par le chef de l'Etat des patrons de l'audiovisuel public, Jean-Luc Hees, fraîchement nommé, commet l'impair de débarquer dans le studio pour porter la contradiction à l'invité. C'est comme un acte manqué : le patron de Radio France admet, maladroitement, que, sous sa présidence, c'est lui qui aura le dernier mot. Que l'Elysée ne pourra pas être mis en cause pour sa mise sous tutelle de la presse sans qu'il ne s'interpose.
Et depuis qu'Edwy Plenel a interpellé Jean-Luc Hees, en soulignant - ce qui a eu le don de le faire sortir de ses gonds - que la nouvelle procédure de nomination choisie par l'Elysée constituerait immanquablement un danger pour l'indépendance de l'information sur l'audiovisuel public, que s'est-il passé ? C'est bien simple : depuis plus de deux ans, éditorialistes et directeurs d'à peu près toute la presse ont défilé dans toutes les émissions de France Inter. Mais jamais les journalistes de Mediapart. Sauf à la marge ou par accident (par exemple quand, récemment, l'artiste Darina Al Joundi, conviée à choisir un invité, a insisté pour que ce soit Edwy Plenel).
Ainsi va France Inter, piloté par un directeur qui ne sait pas se contenir, et oubliant l'intérêt général et le pluralisme, se laisse aller à ses haines personnelles. De petites haines recuites. Ainsi va malheureusement, cette grande radio publique, dirigée par un ex-humoriste et ex-éditorialiste dont on ne sait pas bien s'il a sorti une seule information de sa vie ou mené une seule enquête. Est-il seulement journaliste? A l'entendre, on n'en jurerait pas.
A la veille de l'échéance présidentielle de 2012, pour la grande radio publique de qualité que devrait être France Inter, c'est inquiétant. Et pour la démocratie, tout autant.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire