"Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs." Article 35 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1793
mardi 29 novembre 2011
Ce soldat c’est moi
F. et trois autres jeunes qui avaient 16 ans et demi et 19 ans à l’époque, étaient assis au pied d’un mur en construction et ils réfléchissaient à la manière de renverser le régime israélien.
Ils étaient tous nés dans le camp de réfugiés de Qalandiya.
Ils ont d’abord caressé l’idée de lancer des grenades à un check point. Mais ils ne savaient pas faire des grenades. Puis ils ont eu l’idée de préparer des quantités de cocktails Molotov et de les lancer au lance pierre à la place des cailloux. Mais R. dit qu’ils s’éteindraient tout de suite et que ça ne marcherait pas. Alors ils ont pensé mettre des explosifs dans des pneus et de les faire rouler vers les soldats qui chassaient leurs proies habituelles autour du camp. Mais ils ne savaient pas non plus faire des explosifs et ils ne connaissaient personne qui puisse le leur apprendre.
En fin de compte ils ont décidé de faire sauter le mur d’Apartheid. Pour cela il leur fallait apprendre au plus vite à fabriquer des explosifs. Ensuite ils en prépareraient une grande quantité et placeraient la première charge là, à l’endroit où ils étaient assis. Ils traînèrent de grosses pierres pour marquer l’endroit.
Et ils se dirent que quand les explosifs feraient sauter le mur, le monde saurait que les Palestiniens ne restent pas passifs.
Après avoir mis au point leur plan sur la comète, ils rentrèrent chez eux. Et n’y pensèrent plus. Parce qu’en fait ils ne savaient pas trop quoi faire ni comment le faire. Et qu’ils étaient jeunes et insouciants malgré tout.
Deux mois plus tard, les soldats sont venus en pleine nuit arrêter F. qui avait 17 ans et demi à l’époque.
je dormais, m’a-t-il dit, et j’ai été réveillé par un grand bruit quand ils ont fait exploser la porte d’entrée. Et j’ai eu terriblement peur. On nous a hurlé de nous mettre dans la même pièce. M. et R. n’étaient pas encore nés. J’étais pieds nus, a-t-il poursuivi. Il n’y avait que Maman qui avait des chaussons. Il y avait 10 soldats, je crois. Un d’eux parlait arabe mais il n’était pas arabe. Et il a hurlé de montrer nos cartes d’identité. Et seulement papa, maman et moi avions des cartes d’identité. E. n’en avait pas bien qu’il ait 16 ans et les autres étaient petits. Papa a donné nos CI. Alors ils ont hurlé mon nom et maman a crié : "Non !" et elle a couru s’accrocher au soldat. Mon père l’a rattrapée et l’a tenue et a dit au soldat : "Ne la tuez pas !" parce qu’il y a 6 mois Umm Bilal a sauté sur un soldat qui emmenait son fils et le soldat lui a donné un coup et elle a eu une attaque et elle est morte.
Et le soldat a rigolé, je me souviens qu’il a ri parce qu’ils avaient de la peinture noire sur la figure alors quand lis riaient leurs dents ressortaient.
F. a été arrêté pour avoir tenté de faire sauter le check point de Qalandiya. Et il a été condamné à trois ans de prison à la prison de Damoun. Les autres garçons ont eu des condamnations similaires.
C’était difficile mais pas insurmontable, m’a-t-il dit quand je le lui ai demandé. C’était surtout les interrogatoires qui étaient horribles, a-t-il ajouté. Ils vous battent et ils vous persécutent, et tout ça... Mais en prison ce n’était pas si pénible. La nourriture n’est ni bonne ni suffisante, et je n’avais pas d’argent pour aller à la cantine. Et j’ai appris l’hébreu et l’anglais aussi. C’est les plus anciens qui nous l’apprenaient.
Ce qui était vraiment dur c’est de ne pas voir sa famille, a-t-il dit. Sa mère avait eu droit de lui rendre visite deux fois pendant toute la durée de sa détention et son père pas une seule fois, ni son frère E. Il n’y a que des deux petites soeurs H. et S. qui pouvaient venir le voir tous les quelques mois.
Un an avant sa libération, on a diagnostiqué un cancer des poumons à son père. F. est devenu agité et s’est mis à se quereller tout le temps. On l’a d’abord mis à l’isolement pendant deux semaines et là aussi il criait et marchait sans arrêt alors on l’a amené au capitaine du Shabak (services secrets israélien) qui venait souvent à la prison. On l’appelle le capitaine Aiman, mais ce n’est pas son nom, dit F. et il n’est pas arabe.
Le capitaine lui a dit qu’il pouvait même sortir le lendemain et rester avec son père parce qu’il était un bon garçon qui avait seulement fait une bêtise et le capitaine le savait bien. F. ne dit rien et attendit parce qu’il savait déjà que rien n’est gratuit à la prison ; on lui a donné une cigarette et il l’a prise, et du café et le capitaine a dit : "Il y a beaucoup de problèmes au check point qui ne sont pas le fait de bons garçons comme toi, j’ai juste besoin de quelqu’un pour me dire qui les envoie. Ce sont des malheureux, crois-moi, ils viennent me voir et ils me disent qu’ils ne veulent pas le faire mais on leur dit d’aller au check point et de jeter des pierres".
Et moi je lui ai répondu que ça m’était égal, que je resterais en prison, que je ne voulais pas de ça, que je n’avais besoin de rien et que je n’étais pas un "jasus" (espion, collaborateur).
Alors il a dit : "Mais tu est ici à cause d’un jasus.
Et j’ai dit, oui et vous voulez que je finisse comme ce jasus finira quand on saura ce qu’il a fait ?
Et il m’a dit, ce janus est ton frère.
Alors je me suis levé et j’ai essayé de le frapper et deux gars qui étaient dans la pièce m’ont attrapé et m’ont battu jusqu’à ce que je perde connaissance.
Et je me suis souvenue que son frère était allé au checkpoint et avait dit, je suis venu tuer un Juif, et j’ai tout compris.
J’ai compris qu’il avait essayé de se racheter. C’était sa manière de dire qu’il regrettait ce qu’il avait fait. Ce qu’on l’avait forcé à faire. Et c’est pourquoi il n’a pas voulu qu’on l’aide au tribunal. Il ne voulait pas de réconfort. Et il n’arrêtait pas de dire qu’il voulait aller en prison "pour être avec son frère et tuer ceux qu’i l’avait mis en prison".
Et F. dit qu’après il s’était senti mal. Il ne parlait presque plus. Et il était triste. Et même après être rentré chez lui, il n’était pas heureux. Et puis un jour il a compris qu’il fallait pardonner, pardonner à son frère. Et il l’a fait. Et il est allé mieux. Et il a cherché du travail et s’est mis à aider à la maison et il a décidé d’aller étudier la médecine en Russie parce que à cette époque-là ils donnaient encore des bourses aux Palestiniens ; c’est un peu plus tard que nous nous sommes rencontrés.
Cela ne fait pas longtemps. Ce jour-là il y avait une manifestation à Qalandiya. Je ne sais plus à quelle occasion. C’était la commémoration de la Nakba ou juste après que Mahmoud Abbas ait demandé la reconnaissance de l’état palestinien, ou le Jour de la Colère, en tous cas, il n’y a pas longtemps. Mais il y a tellement de manifestations. Et ce ne sont pas des manifestations comme les autres. D’un côté il y a les soldats d’occupation avec leurs casques, leurs fusils, leur arrogante dureté et leur amour de la guerre. Et en face, il y a des enfants et des gamins et des pierres du camp de réfugiés de Qalandiya et une colère sans nom et une jeunesse radieuse.
Et alors les soldats tirent et les enfants du camp lancent des pierres. Cela fait des années que ça dure. Et si pour une raison ou une autre les enfants cessent de lancer des pierres les soldats tirent pour les réveiller. Et ils recommencent. Et les soldats tirent à nouveau. En les visant directement. A bout portant. Ils le font parce qu’ils peuvent le faire. Et avec les années, c’est comme ça qu’ils ont tué , un par un, Omar qui avait 14 ans, Matar, qui avait 12 ans, Abu Latifa, les frères Samer et Yassar Kusba —et tous les autres— parce que c’est l’Occupation.
Et puis j’ai vu deux de ses petits frères. M. et A. Et A., qui est vraiment tout petit avait une pierre qu’il avait du mal à tenir dans ses petites mains. Et je me faisais du souci parce qu’ils étaient si petits et que c’était si dangereux mais je ne dis rien car qu’aurais-je pu dire. Est-ce qu’ils n’ont pas le droit de résister au mal à leur manière, et cela c’est la manière de ces petits enfants-là.
Mais il s’est passé une chose bien plus horrible quand un homme beaucoup plus âgé que les garçons est sorti de chez lui, d’une des maisons qui longent l’allée qui surplombe la grand route qui va du check point à Ramallah. Il s’est mis à marcher en direction de la grand route, doucement, le dos tourné aux soldats alignés avec leur fusils pointés juste à côté de la maison de Fatma et Sami. Je me disais que les soldats devaient regarder dans leurs jumelles et qu’ils l’avaient vu sortir de la maison et qu’ils avaient vu qu’il ne faisait pas partie de la manifestation, que même eux qui considèrent la résistance à l’Occupation comme un crime avaient bien vu qu’il n’avait rien à voir avec tout ça, quand il a reçu la balle dans le dos. Et comme dans les films, son corps a tremblé un peu, il a encore fait un pas ou deux en titubant, les yeux révulsés, ses jambes se sont dérobées sous lui, il a perdu l’équilibre et il est tombé par terre. Les médecins du Croissant Rouge se sont précipités pour le ramasser. Les sirènes de l’ambulance qui roulait à toute allure ont résonné pendant un moment. Et je ne sais pas ce qu’il est devenu.
J’ai appelé F. parce que même si ses petits frère devraient avoir le droit de manifester leur colère à des soldats d’Occupation capables de tout, c’est vraiment trop dangereux et je n’ai pas pu m’en empêcher. Il m’a dit qu’il arrivait et il est en effet arrivé peu après.
Les soldats tiraient sans pitié sur tout le monde. Il a trouvé ses frères et leur a dit, venez les enfants, et ils ont fait un sourire à ce grand frère qu’ils admiraient et ils l’ont suivi. Tous les quatre, nous avons quitté la manifestation, les gaz lacrymogènes et les tirs et nous avons grimpé la colline qui mène à la route de Ramallah jusqu’à ce que nous soyons assez loin, et nous nous sommes assis sur un mur bas au bord de la route.
Et j’ai commencé à parler. De ces soldats. Je leur ai dit que c’était du petit bétail. Ils font ce qu’on leur dit de faire, des choses qu’on cache derrière des mots comme "défense" et "sacrifice" et "devoir" alors que ce qui les motive en fait c’est le besoin maladif d’être ensemble et de tirer sur tout ce qui bouge parce que c’est la norme acceptée par la société et que ça rapporte à la société, rien d’autre.
Ils ne voient pas des personnes. Seulement des symboles sans visages. Et j’ai dit à F. que je voudrais qu’ils aillent tous en prison, tous. Et j’ai parlé de leurs mère qui collaborent. Que c’est une caricature de l’amour, pas de l’amour véritable —d’accepter que son fils aille à l’armée. Et pas seulement parce qu’il va persécuter un autre peuple pour la seule raison que c’est "l’autre" mais parce qu’il risque sa vie à lui aussi.
Et après avoir parlé un bon moment nous avons fait silence. Il a envoyé un des enfants chercher de la boisson et des falafels. Puis il m’a dit :
Aya, tu ne comprends pas, ces soldats dont tu dis tant de mal ; ils sont moi. Ce soldat est moi aussi. Et j’ai levé sur lui un regard interrogatif.
Quand j’ai jeté des pierres à ces soldats, est-ce que je n’étais pas comme eux ? Heureux de me battre, peu importe pourquoi ? Désireux d’en découdre parce que c’est une action valorisante et populaire, la norme en somme, ce que tout le monde fait ?
Mais les soldats ont des fusils. Ils gardent le check point qui empêche votre famille de vivre. Sans compter la terre qu’ils ont pris de force à des gens de votre famille. Et ils sont les agents d’une politique de vol et de déportation et de terrorisme d’état. Ce ne sont pas des gens comme tout le monde. Ils ne représentent pas la justice.
C’est vrai, tu as raison a-t-il dit après un moment de réflexion. C’est vrai, ils sont injustes, j’ai davantage raison qu’eux. Parce que je me bats pour me défendre et eux ils m’attaquent. Mais quand même je crois que quand je lançais des pierres à ces soldats, je le faisais parce que nous le faisions tous et que c’était excitant et dangereux.
Et je crois que ce soldat aussi fait ce qu’il fait pour faire comme tout le monde et parce que c’est excitant et dangereux. Et il ferait de bonne choses et se battrait contre le mal si c’était ce que tout le monde faisait autour de lui. C’est seulement par hasard qu’il est au service de l’Occupation.
D’accord, ai-je dit, mais quand même ce n’est pas la même chose de se battre contre ceux qui vous agressent que de se battre contre quelqu’un qu’on a agressé. Tu ne crois quand même pas que ce soit la même chose, d’être un soldat ou d’être un civil ?
Non bien sûr. Comme je l’ai dit tout à l’heure, c’est différent du point de vue de la justice. Il y a l’occupant et l’occupé. Ce n’est pas juste et c’est nous qui sommes occupés. C’est évident. Ce n’est pas une guerre entre égaux. Ces gens-là sont venus chez nous, ce n’est pas nous qui somme allés chez eux. Depuis le début ils nous disent de partir, que cette terre n’est pas à nous et ils nous tuent et nous chassent et ils tirent et prennent notre vie, notre santé, notre travail, notre terre et bafouant la justice. Et nous avons le droit de résister, nous en avons le droit. Et tirer des balles et lancer des pierres n’est pas non plus la même chose.
Mais l’homme est peu de choses. Cet homme est peu de choses et celui-là aussi. C’est seulement dans les livres d’histoire qu’ils disent que c’est mal que la Wehrmacht ait servi les Nazis et que c’est bien que les alliés aient attaqué Dresden. Ce soldat est bon et celui-là mauvais. Celui-ci sert la justice et celui-là non. Mais si nous voyons les choses sous l’angle humain, je pense que chaque soldat est au service de ce que son époque considère comme la norme.
Mais F., dis-je, peut-être que la motivation d’un soldat qui sert l’état est la même sous tous les régimes et que ce n’est pas parce que ce régime est tel ou tel qu’un jeune homme aura envie de se battre sur un champ de bataille ou aura envie de se battre pour une cause qui lui paraisse moins injuste. Mais quand tu jetais des pierres ce n’était pas pareil. Ce n’est pas l’armée. C’est une résistance spontanée contre ceux dont les bottes piétinent vos vies, non ?
Et F a dit, je ne suis pas sûr que tu aies raison, Aya. J’ai beaucoup réfléchi à tout ça en prison. Et il faut que je te dise quelque chose. Ce n’est pas facile à dire mais c’est ce que je crois profondément. Est-ce que je n’aurais pas été lancer des pierres si nous avions moins raison et qu’ils étaient moins criminels ? Je n’en suis pas sûr... Je ne sais pas... Ceci est stupide et cela aussi. Celui-ci est peu de chose et celui-là aussi. C’est pareil. Du point de vue de l’humain, de la personne dans sa fragilité, pas de l’état, nous sommes pareils. Pareils.
Nous continuions d’entendre les tirs et les ambulances derrière nous et les gaz lacrymogènes arrivaient par moments jusqu’à nous et nous devions nous arrêter de parler et attendre que nos poumons et nos gorges s’éclaircissent. Et je regardais F. et je pensais : quelle maturité il a, il est incroyable. Et il parle couramment mes langues, l’hébreu et l’Anglais, qu’il a appris pendant ses trois ans de prison et je ne suis pas encore capable de parler assez d’arabe pour avoir une conversation avec lui et bien que ce soit horrible ça aussi, tout à fait horrible, c’est un autre sujet.
Et je vais te dire autre chose, a ajouté F, en interrompant mes réflexions. Ce soldat ne déteste même pas la personne dont il répand le sang. C’est comme ça que vous dites, non ? Répandre le sang. Quelle belle expression. Il tue parce que ses copains tuent et parce qu’il peut le faire. Parce qu’il en a le droit. Que c’est légal. Et que c’est considéré comme une bonne action. Et que tout le monde le fait. Et qu’ainsi tout le monde est content. Content de lui. Mais ce n’est pas par haine. Il ne tue pas par haine. Peut-être qu’il se met à haïr après avoir tué. Mais il ne tue pas par haine. Il tue parce qu’il aime tuer et qu’il aime être avec ses copains*.
Mais l’enfant qui jette des pierres ne les jette pas sur n’importe qui, ai-je insisté. Pas sur moi. Seulement sur les soldats. Sur les colons. Sur ceux qui sont venus lui prendre sa vie. Et le soldat tire sur des gens qui ne lui ont rien fait. Simplement parce qu’ils sont palestiniens. Et ça c’est du racisme.
Et il m’a répondu, c’est vrai, ils sont un peu racistes, mais seulement un peu. Je suis d’accord avec toi que votre société est plus raciste que la nôtre. Mais à mon sens ce n’est pas tellement par racisme que les soldats nous traitent ainsi mais à cause de leurs copains. Parce que c’est agréable. Parce que c’est ce qu’ils apprennent à l’école. Parce que c’est considéré comme très important. Et qu’on vous respecte quand vous le faites.
Et alors j’ai dit, mais F., est-ce que tu lancerais des pierres à n’importe qui ou seulement aux soldats ?
Il a ri et a dit, est-ce que tu te rends compte à quel point tu me protèges, tu me comprends et tu justifies tout ce que je fais ? Mais eux, les soldats israéliens, tu ne les comprends pas. Pourquoi est-ce que tu me comprends quoi que je fasse et pas eux ?
C’est comme si tu prenais partie, mais le parti opposé. Parce que tu dis que tous les Palestiniens ont raison et tous les Israéliens sont coupables. C’est du racisme aussi, un peu, non ?
Et j’ai pensé, comment peut-il, de là où il se trouve, voir tout cela et avoir cette largeur d’esprit, une largeur d’esprit que je n’ai pas, comment peut-il voir l’humanité en chaque être humain quel qu’il soit, quoiqu’il fasse. mais je me suis dit, c’est son privilège de pouvoir s’identifier à quelqu’un qui le persécute, l’agresse et le dépouille. Je n’ai pas ce privilège car en cette période de l’histoire je n’appartiens pas au peuple victime.
Moi je ne peux que juger. Et je le fais. Chaque cellule de mon corps le fait. Je juge ces jeunes et durs soldats de l’Occupation à la méchanceté bruyante et leurs mères qui ne se couchent pas sur les routes pour les empêcher de partir et les enseignants qui les confortent dans le désir de perpétuer cette injustice et cette normalité malsaine qui fait que chacun fait ce qu’il fait parce que c’est ce que tout le monde fait, sans se poser de questions.
Et j’ai dit, c’est vrai, j’ai un camp. Mais pas de la manière que tu crois. Je veux dire, mon camp n’a rien à voir avec une quelconque appartenance. Et c’est vrai que mon camp n’est pas obligatoirement ni automatiquement le peuple juif d’Israël, vraiment pas. Mais ce n’est pas non plus le peuple palestinien. Mon camp n’a rien à voir avec un peuple, une race, un des deux sexe, ou une ethnie. Mon camp est celui de la victime.
Et en cette période de l’histoire vous êtes les victimes.
En cette période de l’histoire les Palestiniens, sont les victimes. Pas le peuple juif d’Israël. C’est pourquoi je prends leur parti. Le parti des victimes.
Il a réfléchi un moment puis il a souri et dit, ça me va, et il a caressé affectueusement la tête d’un de ses petits frères. Nous avons mangé et bu en silence encore un peu pendant qu’au loin les nuages de gaz lacrymogènes et les balles que nous avions complètement oubliés, et les blessés et les morts éventuels imbibaient tout de gouttes de tristesse.
Aya Kaniuk
Traduit de l’hébreu par Tal Haranet et de l’anglais par Dominique Muselet.
Pour consulter l’original : http://mahsanmilim.com/ThatSoldierIsMe.htm
Note :
"Mais la peur n’est qu’un prétexte que l’on se donne pour obéir : le plus souvent on préfère obéir. On ferait tout pour être ensemble, pour baigner dans l’odeur de trouille, pour boire l’excitation qui rassure, qui chasse l’horrible inquiétude d’être seul." - L’art français de la guerre de Alexis Jenni, p 64.
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