mardi 22 novembre 2011

Des listes électorales scrutées de (trop) près par les gendarmes



Fin août 2011, des gendarmes de Loire-Atlantique se sont vu demander par leur hiérarchie de passer au fichier des personnes recherchées (FPR) l'ensemble des électeurs inscrits sur les listes électorales de leurs communes, afin de localiser le domicile d'éventuelles personnes recherchées. La note en question, que vous trouverez au bas de cette page, nous a été envoyée via Frenchleaks.

Un gendarme près du collège de Florensac, le 21 juin 2011© Reuters

Contactée vendredi 18 novembre, la gendarmerie nationale a répondu lundi matin que son directeur général avait, dans la foulée de notre appel, fait abroger la note en question, et confié une enquête à l'inspection générale de la gendarmerie (IGGN). Tout en renvoyant la faute à «une initiative strictement locale».
Dans une note interne du 31 août 2011, le commandant d'une compagnie de gendarmerie de Loire-Atlantique demande à ses troupes d'éplucher les «listes électorales complètes de leurs communes, au format informatique (...) obtenues légalement et officiellement auprès de la préfecture» avec trois objectifs en tête. 


> D'abord, passer «tous les électeurs» de façon «systématique et exhaustive» au fichier des personnes recherchées (FPR).

Ce fichier contenait quelque 400 000 fiches au 1er novembre 2010, allant des mineurs fugueurs à des délinquants n'ayant pas effectué leur condamnation ou ayant violé leur contrôle judiciaire, en passant par des étrangers expulsables.

La tâche est assignée aux plantons qui «pourront utilement remplir cette mission lorsque l'accueil du public et la réception des appels téléphoniques leur laissent du temps libre», précise la note.


> Deuxième utilisation : «Après vérification FPR et Judex (le fichier d'antécédents judiciaires de la gendarmerie nationale, ndlr)», «les citoyens non défavorablement connus feront l'objet du dépôt d'une lettre d'incitation au recrutement gendarmerie dans leur boîte», poursuit la note.

Connaissant une vague de départs à la retraite particulièrement importante, la gendarmerie nationale a recruté quelque 10.000 gendarmes en 2011 (dont 7000 gendarmes adjoints volontaires et 2500 sous-officiers).

L'état-major de la gendarmerie a mis, avec succès, le paquet sur cette campagne de promotion (recourant même à des annonces surLe Bon Coin), pour éviter de réitérer le flop de l'année précédente. «Nous avons connu une période un peu difficile pour les gendarmes adjoints volontaires en 2010, car faute de communication, le public ne pensait plus à nous», explique un gendarme du bureau du recrutement.

D'où, sans doute, le zèle de ce commandant de la compagnie de gendarmerie, qui soulève quelques interrogations sur l'utilisation du Judex de façon quasi préventive. Parfois consulté dans des enquêtes administratives (notamment pour des emplois relevant du domaine de la sécurité ou de la défense), le Judex est, à l'instar de son cousin policier le Stic, critiqué pour son manque de fiabilité.

En juin 2011, le ministère de l'intérieur a lui-même reconnu, en réponse à une députée, que «le manque de retour et d'intégration des décisions de justice (...) ne sont pas satisfaisants».

En l'absence de mise à jour du Judex, une personne suspectée peut ainsi continuer d'y figurer même si elle a bénéficié d'un classement sans suite, d'un acquittement, ou d'un non-lieu. Ici, il s'agit, de plus, de l'utiliser en amont, pour déterminer qui est susceptible d'être recruté, alors même que la présence de personnes dans le fichier ne préjuge en rien de leur moralité.


> Enfin, troisième objectif, sans doute le plus problématique, «les listes électorales seront systématiquement employées pour découvrir le domicile d'un individu recherché ponctuellement», à savoir «point de chute (...) désigné par la famille d'un fugueur et dont l'adresse est ignorée, suspect (...) dont l'adresse précise est inconnue, etc.»
Pas franchement une incitation à s'inscrire sur les listes électorales ! Un ancien gendarme, consulté, voit dans cette dernière demande «le résultat d'une course aux résultats par l'identification, la localisation et l'interpellation des personnes faisant l'objet de recherches».

La note intégrale :




Enquête de l'inspection générale de la gendarmerie

A la suite de notre appel du 18 novembre, Jacques Mignaux, directeur général de la gendarmerie nationale, a, selon cette même gendarmerie nationale, fait abroger la note en question et confié une enquête à l'inspection générale de la gendarmerie (IGGN).

«La gendarmerie nationale condamne fortement ce type de pratiques dont l'initiative est strictement locale, nous a-t-on précisé. Si l'enquête de l'IGGN venait à confirmer que les listes ont été utilisées à des fins et selon des modalités contraires à la loi, des mesures seront prises à l'encontre du signataire du document de service.»

Le document portant en abrégé la mention «à titre de compte rendu» au «groupement de gendarmerie départementale 44», il y a cependant fort à parier que les supérieurs du signataire étaient, a minima, au courant de cette «initiative».

Selon le code électoral, «tout électeur, tout candidat et tout parti ou groupement politique peut prendre communication et copie de la liste électorale», «à la condition de s'engager à ne pas en faire un usage purement commercial».
«Mais quand bien même les gendarmes sont vraisemblablement des électeurs, l'usage fait des listes pour localiser le domicile de personnes recherchées et, d'autre part, les démarcher, n'est pas celui auquel ont peut s'attendre d'un électeur normal», indique très prudemment la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil).

De façon plus générale, la loi informatique et libertés de 1978précise également que les données à caractère personnel doivent être «collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes» et ne pas ensuite être traitées «de manière incompatible avec ces finalités».

On peut douter qu'en s'inscrivant sur les listes électorales, le citoyen français ait conscience que les forces de l'ordre puissent éventuellement un jour se servir des renseignements fournis pour retrouver son «point de chute».

La préfecture de Loire-Atlantique a confirmé, lundi, avoir confié les listes électorales de l'ensemble du département à la gendarmerie au printemps 2011, mais uniquement dans le cadre d'une opération de recrutement.

«Les gendarmes nous ont sollicité dans une intention de promotion de la gendarmerie à des fins de recrutement, explique la préfecture de Loire-Atlantique. Comme il ne s'agissait pas d'une démarche commerciale et que ces informations sont communicables de façon assez libre au public, nous n'avons pas jugé leur demande illégitime. Mais nous n'avons eu aucune information sur leur utilisation exacte, et nous ignorions qu'ils comptaient localiser le domicile de personnes recherchées.»

En juin 2011, l'utilisation de ces mêmes listes électorales par le PS pour ses primaires avait fait débat, cette fois du côté du gouvernement, le ministre de l'intérieur Claude Guéant redoutant la création d'«une liste des opinions politiques des Français» (selon qu'ils auraient pris part au vote ou pas).

Le cas était différent, puisqu'il y avait création d'un nouveau fichier (listes électorales émargées), déclaré à la Cnil et que le PS s'était engagé à détruire, après le scrutin, ne conservant que les coordonnées des sympathisants le souhaitant. Le PS avait par ailleurs dénoncé en mai 2011 la mauvaise volonté de plusieurs préfectures qui tardaient à leur fournir les listes électorales informatisées.

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