Les assauts violents de la police à travers les Etats-Unis ne sont pas une coïncidence. « Occupy » a touché la corde sensible de notre classe politique : l’argent.
Les Américains de toutes tendances sont encore choqués par les images cette semaine de brutalités policières sans précédent au cours d’une vague de répression coordonnée contre les manifestants pacifiques d’Occupy Wall Street (OWS) à travers le pays. Des images d’une dame âgée recevant un jet de gaz poivré au visage et d’étudiants pacifiques qui n’offraient aucune résistance arrosés de gaz poivré par des phalanges de policiers antiémeutes ont fait le tour d’internet ; des images de jeunes femmes – apparemment ciblées à cause de leur sexe – hurlant et trainées par les cheveux par des policiers en tenue antiémeutes ; un jeune homme, sonné et saignant à profusion de la tête, ont fait surface au cours de l’évacuation effectuée en pleine nuit du Parc Zuccotti.
Et au moment où les Américains pensaient avoir tout vu – une sur-réaction des maires et des polices municipales dans différentes villes en même temps - l’image s’est assombrie. L’Union Nationale des Journalistes et le Comité pour la Protection des Journalistes ont porté plainte pour une implication possible des autorités fédérales qui semblent viser les journalistes. Le New York Times raconte que « des flics New Yorkais ont arrêté, battu, rossé, jeté à terre et balancé une barrière sur des journalistes et des photographes » qui couvraient les manifestations. La police de NY a demandé à des journalistes de s’identifier : sur ce, la police les a emmenés, sous la menace d’une arrestation, loi à l’écart des évènements qu’ils couvraient. D’autres journalistes portant des laisser-passer ont été arrêtés et brutalisés par les policiers, et après avoir été informés – à tort – par la police qu’il était « illégal de prendre des photos du trottoir ».
A New York, un juge de la cour suprême de l’état et un membre du conseil municipal de la ville ont été tabassés ; à Berkley, Californie, un de nos plus grands poètes, Robert Hass, a été matraqué. L’image s’est assombrie encore lorsque Wonkette et Washingtonsblog.com ont révélé que la Maire d’Oakland a reconnu que le Department of Homeland Security était présent lors d’une vidéo-conférence à laquelle participaient 18 maires pour les conseiller sur « comment se débarrasser » des manifestations.
Pour un Européen, l’énormité de la chose pourrait passer inaperçue. Notre système de gouvernement interdit la création d’une force de police fédéralisée, et interdit un engagement fédéral ou militarisé pour le maintien de l’ordre au niveau municipal.
J’ai remarqué que les politiques et partisans de droite à la télé dans les émissions auxquelles j’ai participé étaient tous synchronisés contre OWS. Le journaliste Chris Hayes a rapporté un circulaire interne qui révèle que des lobbyists se bousculent pour un marché de 850.000 dollars destiné à calomnier le mouvement OWS. Une telle coordination de messages est impossible sans un contrôle au sommet. A l’évidence, il ne s’agissait pas d’une affaire de maires qui se seraient affolés, réagissant au coup par coup contre la pagaille créée dans leurs parcs. Au fur et à mesure que les pièces du puzzle s’assemblaient, est apparue l’image d’une coordination contre OWS, décidée au plus haut niveau du gouvernement.
Pourquoi une telle mobilisation contre ces gens désarmés et pas vraiment bien organisés ? Après tout, des manifestations contre la guerre en Irak, les rallyes du Tea Party, et d’autres ont eu lieu sans provoquer une telle répression. Est-ce vraiment un problème de camping ? A l’heure où j’écris ces lignes, deux cents jeunes, avec des sacs de couchage, des valises et des chaises pliantes, campent nuit et jour devant NBC sur le trottoir – sous l’oeil bienveillant d’un flic new yorkais – dans l’attente de tickets pour Saturday Night Live. Ce n’est donc pas un problème de camping. Je me demandais encore pourquoi ce mouvement s’était attiré une réaction fédérale aussi violente.
Du moins, jusqu’à ce que je découvre leurs revendications.
Les grands médias ont sans cesse répété que « OWS n’a pas de message ». Frustrée, je leur ai simplement posée la question via internet : « Que voulez-vous ? ». En un quart d’heure, j’ai reçu cent réponses. Elles m’ont vraiment ouvert les yeux.
Revendication numéro 1 : la séparation de l’argent et la politique. La mesure la plus souvent demandée était l’instauration d’une loi pour limiter les effets du jugement « Citizens United » qui permet d’injecter des sommes illimitées dans les campagnes électorales.
Revendication numéro 2 : une réforme du système bancaire pour empêcher les fraudes et les manipulations. La mesure la plus souvent demandée était la restauration de la loi Glass-Steagall, une loi de l’époque de la Grande Dépression qui fut abrogée par le Président Bill Clinton et qui établissait la séparation entre les banques d’investissement et les banques commerciales. Cette loi corrigerait les conditions qui ont provoqué la crise récente, en empêchant les banques d’investissement de prendre des risques inconsidérés et basées sur du vent et mettre ainsi en péril les banques commerciales.
Le Revendication numéro 3 était la plus révélatrice : la suppression d’une faille dans la loi qui permet aux Députés et Sénateurs de voter des lois concernant des entreprises basées à Delaware et dans lesquelles ils sont eux-mêmes actionnaires.
Lorsque j’ai vu cette liste – et surtout le 3ème point – mes yeux se sont ouverts. Il était évident que tous ces gens désarmés allaient se prendre une raclée.
La terrible conclusion qu’il faut retirer de la révélation que le Department of Homeland Security coordonne la répression violente est que le DHS n’agit pas de sa propre initiative. Le DHS ne peut pas dire, de son propre chef, « allez, on va se payer quelques hippies ». DHS obéit à une chaîne de commandement. D’abord, au Représentant de New York, Peter King, chef de la sous-commission de sécurité intérieure à la Chambre des Représentants, qui naturellement est influencé par les demandes et les intérêts de ses collègues au Congrès. Au dessus de lui, DHS répond directement au président (ça tombe bien : il se trouvait en Australie à ce moment-là).
En d’autres termes, pour voir le DHS en conférence avec des maires, il a fallu la supervision du Congrès et la bénédiction de la Maison Blanche qui ont demandé au DHS d’autoriser les maires à faire appel à ses forces de police – équipées et formées avec des millions de dollars du DHS – pour mener une guerre contre des citoyens pacifiques.
Ce n’est pas tout : pourquoi diable le Congrès conseillerait-il le recours à la violence paramilitaire contre ses propres électeurs ? La réponse est évidente : aux cours des dernières années, les membres du Congrès sont entrés dans le système comme membres des classes moyennes (ou moyennes supérieures) et sortent pleins aux as, comme nous l’avons vu dans le « scandale » du candidat à la présidence Newt Gingrich qui a touché 1,8 millions de dollars pour quelques heures de « conseils » auprès d’intérêts particuliers. Les tarifs exorbitants des députés qui se transforment en lobbyistes sont bien connus, mais le fait que des élus au Congrès font passer des lois favorables à leurs propres entreprises l’est moins – et si les dossiers devaient s’ouvrir, ils révéleraient sans aucun doute une corruption d’une ampleur comparable à celle de Wall Street. En fait, nous savons déjà que les élus du Congrès profitent massivement des informations confidentielles en leur possession relatives aux entreprises sur lesquelles ils doivent légiférer – ce qui constitue une forme de délit d’initié qui a envoyé Martha Stewart en prison.
Puisque le mouvement OWS est massivement surveillé et infiltré, il est probable que DHS et les indics de la police savent déjà, avant même le mouvement lui-même, ce qui est en train d’émerger du mouvement et à quoi ressemblera son programme. Si nous n’en sommes plus qu’à deux doigts d’un mouvement organisé électoralement et qui aurait comme programme la suppression des privilèges des lobbyistes proches du pouvoir législatif, la réforme du système bancaire et, plus important encore, l’ouverture des dossiers d’un système qui a permis aux membres du Congrès de tirer un profit personnel – et à très grande échelle – de leurs propres lois... alors oui, il est temps d’envoyer les troupes.
Alors, une fois les pièces du puzzle rassemblées et bien assimilées, les évènements de cette semaine deviennent la première bataille d’une guerre civile ; une guerre civile où jusqu’à présent une seule des parties en présence à choisi la violence. C’est une bataille où les membres du Congrès, avec la complicité du Président des Etats-Unis, ont déployé une violence organisée contre ceux qu’ils sont censés représenter. Le mouvement Occupy a touché la corde sensible : les intérêts personnels des élus. Si le mouvement est pour le moment encore inconscient des implications de son action, ceux qui sont menacés ne le sont pas.
Malheureusement, les Américains cette semaine se sont rapprochés un peu plus de leurs frères et sœurs de la Place Tahrir. Comme pour ces derniers, nos propres dirigeants, qui voient leur intérêts personnels menacés par les revendications de transparence et de réforme, mènent désormais une guerre contre nous.
Naomi Wolf
http://www.guardian.co.uk/commentisfree/cifamerica/2011/nov/...
Traduction « quelle distance encore entre l’allumette et la mèche ? » par VD avec probablement les fautes et coquilles habituelles.
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