Avec trente ans de retard, la gauche, depuis qu'elle est devenue majoritaire au Sénat, a l'occasion historique de faire adopter une promesse de campagne de François Mitterrand. Sauf changement de dernière minute, la proposition de loi accordant aux étrangers non-communautaires le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales doit être examinée en séance publique le 8 décembre 2011, après son passage en commission des lois le 29 novembre.
Selon les derniers chiffres du recensement, la France compte 3,7 millions d'étrangers, soit 5,8% de la population totale, parmi lesquels 1,3 million de ressortissants de l'Union européenne ayant obtenu le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales et européennes dès 1998. Environ 2,4 millions de personnes sont donc potentiellement concernées par la proposition de loi qui prévoit que ces nouveaux électeurs ne pourront pas exercer les fonctions de maire ou d'adjoint, ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l'élection des sénateurs.
Pour avoir une chance d'aboutir, ce texte, déjà voté le 3 mai 2000 par les députés sous le gouvernement de Lionel Jospin, doit être approuvé dans les mêmes termes. Il retournerait sinon devant l'Assemblée nationale qui, dans sa configuration actuelle, le repousserait immanquablement, voire ne l'inscrirait pas à l'ordre du jour.
Dans le cas probable d'un vote conforme, il sera transmis au président de la République. Puisqu'il s'agit d'une proposition de loi constitutionnelle, celle-ci sera soumise à référendum... à condition que Nicolas Sarkozy décide de convoquer le peuple, ce qui apparaît peu vraisemblable.
La situation d'une réforme de la Constitution à l'initiative du Parlement ne s'étant jamais présentée sous la Ve République, les débats juridiques vont bon train chez les élus et les administrateurs de la commission des lois du Sénat. Le chef d'État peut-il rester sourd à la position du Parlement en refusant d'organiser un référendum? Pour ce qui concerne les ordonnances, l'article 13 de la Constitution prévoit que le président de la République les signe. En droit, en principe, le présent a valeur impérative, mais la Constitution de 1958 fait du président le gardien des institutions. Ainsi, en 1986, François Mitterrand avait refusé de signer les ordonnances du gouvernement de Jacques Chirac relatives à la privatisation d'entreprise, à la délimitation des circonscriptions électorales et à la flexibilité du temps de travail.
Une autre anicroche technique pose question. La proposition de loi de 2000 prévoyait que le droit de vote des étrangers s'insère à l'article 72-1 de la Constitution. Entre-temps, cet article a été «pris» par le droit de pétition et le référendum local instaurés par la loi de décentralisation de mars 2003. Ce changement de forme minime suffirait-il à considérer que le texte n'a pas été adopté dans les mêmes termes?
Compte tenu des pétitions du FN et de la Droite populaire de l'UMP contre le droit de vote des étrangers, Nicolas Sarkozy devrait bloquer le processus, même s'il avait lui-même évoqué la possibilité de l'accorder, avant de l'écarter de son programme présidentiel en 2007. Il reviendra alors au futur chef d'État de reprendre, s'il le souhaite, la proposition de loi et de la soumettre à la révision constitutionnelle par référendum. C'est donc sur le candidat socialiste que le Sénat fait le plus pression, afin de l'obliger à tenir les engagements de son camp.
Depuis une décennie, en 2002, en 2006 et 2010, la gauche a ressorti cette mesure, considérée comme symbolique, d'autant plus régulièrement qu'elle n'avait aucune chance d'être adoptée, s'en servant pour marquer le clivage avec la droite.
Inscrite dans le programme du PS pour 2012, elle a été reprise par François Hollande, désigné candidat, lors de son face-à-face télévisé avec Martine Aubry, alors même que Ségolène Royal s'en était démarquée, la jugeant «impopulaire» y compris chez les Français d'origine étrangère.
La présidente de la région Poitou-Charentes n'est pas isolée. D'autres élus PS s'inquiètent de voir ce texte présenté comme une priorité à quelques semaines seulement de l'élection présidentielle. Mais il leur paraît difficile de reculer maintenant que l'opportunité se présente réellement. La sénatrice d'Europe-Écologie/Les VertsEsther Benbassa, nommée rapporteure, ne partage pas ces doutes. Comme tous ceux qui ont porté ce texte avant elle, la nouvelle élue est convaincue que la mise en œuvre de ce droit de vote contribuera «de manière exemplaire à la réalisation des valeurs de vivre-ensemble et de citoyenneté égalitaire».
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