Le ministre de l'intérieur, Claude Guéant, a débloqué cet été un budget exceptionnel de 9 millions d'euros pour remettre des policiers sur la voie publique à l'approche des élections. En pleine contradiction avec la révision générale des politiques publiques, et avec une efficacité plus que douteuse.
Quelque 3000 postes de policiers et de gendarmes ont disparu depuis 2002.© Reuters
Côté gendarmerie, Mediapart avait déjà révélé comment 5,1 millions d'euros avaient été obtenus en mai 2011 pour racheter aux gendarmes volontaires leurs jours de repos.
Côté police cette fois, Claude Guéant a annoncé, dans une note du 11 juillet 2011, «l'octroi de moyens complémentaires» pour «accentuer l'engagement des forces de sécurité au service de nos concitoyens», dans 44 départements tests dont Paris et sa petite couronne. «L'objectif est d'accroître la présence policière sur la voie publique pendant quelques mois jusqu'à la présidentielle, et ce malgré la baisse des effectifs en cours depuis quatre ans», décrypte Nicolas Comte, secrétaire général d'Unité SGP Police.
Le budget initial de cette opération d'affichage politique s'élève à 9 millions d'euros, soit près d'un tiers des 31,5 millions d'euros économisés en 2011 grâce à la suppression la même année de 712 postes de policiers.
Rien que dans les Bouches-du-Rhône, l'Etat dépense ainsi «50.000 à 75.000 euros par semaine pour mettre du bleu sur la voie publique le week-end», selon le journal La Marseillaise.
Pris entre deux feux, les syndicats de gardien de la paix hésitent toutefois à critiquer ce dispositif d'affichage politique, car il permet à leurs adhérents d'arrondir leurs fins de mois. Intitulée «Optimisation opérationnelle des services de police», l'expérimentation a en effet prévu, pour la première fois, de payer des heures supplémentaires réalisées par des policiers*.
Et assez généreusement, le taux horaire de 12,32 euros étant doublé si la vacation a lieu sur un jour de repos légal. Un dimanche travaillé rapportera ainsi près de 200 euros, un samedi quelque 150 euros. «Les collègues se sont portés volontaires de manière importante, car cela se chiffre en centaines d'euros sur la fiche de paie à la fin du mois», explique Nicolas Comte.
*En dehors d'événements exceptionnels comme les émeutes de 2005, les heures supplémentaires des policiers ne sont jamais rémunérées. Elles sont censées être compensées par des temps de repos. Dans les faits, le stock d'heures non récupérées s'élevait à près de 13 millions fin 2008, selon la Cour des comptes.
Gaspillage
Pour quelle efficacité ? Dans certaines circonscriptions de sécurité publique, l'objectif semble avoir été de dépenser au plus vite les crédits alloués, sans se soucier de leur impact réel. Ainsi plusieurs directions départementales indiquent dans des notes internes que les crédits doivent être «consommés avant le 10 novembre 2011».
Celle de Haute-Garonne précise même que les chefs de service devront «privilégier les rappels sur repos légaux», c'est-à-dire les horaires qui coûtent le plus cher à l'administration.
«C'est une gabegie financière monumentale, dénonce Michel Antoine Thiers, du Syndicat national des officiers de police (Snop)*. Du fait de la pression politique, les chefs de service ont brûlé au plus vite les enveloppes créées. Ils ont choisi les horaires favorisant le plus les gardiens de la paix, afin d'acheter la paix sociale.»
Sans aucune visibilité sur les résultats. «Il n'y a eu aucun bilan, déplore Sylvie Feucher, secrétaire générale du syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN). Depuis cinq ans, le ministère de l'intérieur travaille en totale opacité.»
Les directeurs départementaux semblent avoir attribué ces heures à des missions très diverses. Au Havre, les 300 heures supplémentaires allouées ont ainsi été consacrées à «la lutte contre le racolage», qui, comme chacun le sait, est une priorité nationale !
La circulaire de Claude Guéant est très floue sur les objectifs, citant en vrac «l'accroissement de la sécurité dans les transports en commun», «les infractions de voie publique», «le trafic de stupéfiants de proximité», «l'opération tranquillité-vacances» et «les opérations anti hold-up».
«Le but est de faire voir du policier sur la voie publique, comme par exemple mettre du monde sur les marchés le dimanche matin», résume Philippe Capon, secrétaire général de l'Unsa Police, qui admet qu'il a pu y avoir «des trucs pas dans les clous».
«On se permet tous les gaspillages pour des raisons d'affichage politique, alors que l'administration tient des comptes d'épicier sur tout le reste : véhicules, matériels, réquisitions judiciaires, frais de mission, etc.», sabre, plus direct, Michel Antoine Thiers.
*Précision utile : les officiers sont exclus de ce dispositif d'heures supplémentaires qui ne vise que les gardiens de la paix.
Des détachés syndicaux
Toujours dans la même optique, la volonté de Claude Guéant de remettre des détachés syndicaux sur la voie publique fait, cette fois, grincer des dents parmi les syndicats de gardien de la paix. «C'est un peu démago de faire croire qu'en faisant patrouiller les détachés syndicaux, on va compenser la RGPP», remarque Philippe Capon.
Le plus grand flou règne sur le nombre de détachés syndicaux, mais le ministère de l'intérieur est réputé généreux en la matière. «C'est une façon de tenir les syndicats, car on peut toujours les menacer de leur enlever leurs détachés syndicaux», estime Sylvie Feucher.
Les syndicats d'officiers et de commissaires pointent des abus parmi leurs collègues gardiens de la paix. Le SCPN évoque même le chiffre énorme de plus d'un millier de détachés syndicaux au niveau national, dont plus de 300 à Paris.
Unité SGP Police, le syndicat majoritaire des gardiens de la paix, affirme lui ne bénéficier que de «40.000 journées de décharge, dont 50 délégués permanents, les autres journées étant réparties, selon les besoins, en direction des délégués régionaux et départementaux». Ce qui correspond environ à 166 détachés syndicaux à temps plein.
Même le ministère de l'intérieur semble ne plus y retrouver ses petits. «Nous avons commencé à examiner les cas individuels signalés mais certains correspondent à des vice-présidents de commissions départementales d'actions sociales que l'administration ne connaissait pas, faute d'un référencement national, explique Nicolas Comte. D'autres détachés, attribués à tort aux syndicats, sont en fait employés par des associations dépendant du ministère de l'intérieur et qu'il semblait découvrir par la même occasion.»
Bref, un joli sac de nœuds à dénouer avant le 5 décembre 2011, date à laquelle les responsables des syndicats de police sont invités à déjeuner à l'Elysée avec le président de la République...
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