L'Italie se dirige à marche forcée et sous les pressions des marchés financiers vers un gouvernement de large coalition qui serait dirigé par Mario Monti. Nommé mercredi sénateur à vie par le président de la République, Mario Monti a été commissaire européen (en charge de la concurrence) de 1994 à 2004. Il est présenté comme l'homme qui pourrait rassurer Bruxelles et les banques, et appliquer la cure d'austérité demandée par le FMI, la France et l'Allemagne.
Comment l'après-Berlusconi peut-il s'organiser, que peut faire la gauche dans cette situation nouvelle? Alfio Mastropaolo est professeur de science politique à Turin et est l'auteur de nombreux ouvrages sur la vie politique transalpine. Il livre à Mediapart son sentiment sur la situation actuelle.
Quel bilan tirez-vous de la chute de Berlusconi?
Le premier bilan que l'on peut faire, pour la vie politique italienne, est que les mondes de la richesse et de la politique ne devraient jamais se rencontrer.
Cette confusion remonte à loin, avant Berlusconi. Avant lui, la classe politique était plus puissante que les acteurs économiques. Mais au tournant des années 1980, avec la crise industrielle et le pari fait par l'Etat sur la dynamique des PME et PMI, on a misé sur une génération d'entrepreneurs, les «condottieri», tout en jouant aux apprentis sorciers avec les privatisations de nos fleurons, comme Telecom Italia, et alors que Fiat n'a plus produit une voiture décente depuis des années.
Alfio Mastropaolo.
Cet âge d'or entrepreneurial a alors correspondu, au début des années 1990, avec une crise profonde de la politique italienne, marquée par l'effondrement du parti communiste italien (PCI) et les affaires de corruption autour de Bettino Craxi. L'arrivée au pouvoir de Berlusconi, c'est celle d'un entrepreneur italien "typique", ayant fait fortune dans les médias et la communication sous la protection de l'Etat, à un moment où on se tourne vers la société civile pour sortir de cette crise politique.
Depuis l'arrivée au pouvoir de Berlusconi, le «made in Italy», centré sur la mode, le design ou l'informatique, dont Benetton ou Olivetti étaient les meilleurs exemples, s'est effondré, car absolument pas concurrentiel face aux pays émergents. Au lieu de prendre des risques pour faire du profit, on a juste cherché à faire des rentes, comme lorsque Benetton a racheté les autoroutes italiennes, avec la bénédiction de Berlusconi. Aujourd'hui, l'ère des «condottieri» est définitivement révolue.
On a le sentiment que ce sont les marchés qui ont destitué le Cavaliere, là où scandales et échecs électoraux ne semblaient avoir aucun effet sur son maintien au pouvoir...
Pour les raisons que je viens de vous expliquer, il est assez étrange de voir le pouvoir économique donner des leçons aujourd'hui au monde politique. En Italie, il y avait un slogan disant: «Laisser la capitale morale (Milan) s'occuper de la capitale politique (Rome).» Mais les deux seuls présidents du conseil milanais que l'on a connus, ce sont Craxi et Berlusconi. Alors, laissons faire Rome!
Silvio Berlusconi.© (dr)
La conviction selon laquelle on doit gérer le pays comme une entreprise est une absurdité, car en démocratie, il y a des contre-pouvoirs. En essayant de les effacer au maximum, Berlusconi a radicalisé la magistrature.
Devenus héros de la moralité publique, les juges ont été presque contraints de s'acharner contre Berlusconi, qui n'a cessé de se victimiser face à eux. Dans ce duel, c'est tout le reste de la classe politique italienne qui a quasiment disparu.
En outre, l'émergence de la Ligue du Nord, qui méprise la règle démocratique, comme la réforme électorale passant brutalement d'un "système multipolaire", et reposant sur la proportionnelle, à un "système majoritaire et bipartisan" a continué de délégitimer la vie politique. Les opposants de droite à Berlusconi aujourd'hui l'ont approuvé et soutenu sans faille, jusqu'en 2008 pour Pier Ferdinando Casini et 2010 pour Gianfranco Fini!
Berlusconi est tombé dans le piège de l'omnipotence tournant au délire, estimant s'appuyer sur une majorité parlementaire inébranlable. Mais aujourd'hui, il n'y a plus de majorité de granit, et une guerre de succession va s'ouvrir, semblable à celles des généraux d'Alexandre le Grand après sa mort. Dans cette situation, il y a un risque que ce soit les marchés qui détiennent l'autorité sur le pays, en exerçant un chantage sur la réduction de la dette publique. Mais ce qui nous plombe depuis tant d'années, c'est surtout de ne pas avoir de politique de croissance...
Les Italiens accepteraient n'importe quoi !
Après Berlusconi, que reste-t-il de la classe politique italienne?
Il va y avoir une compétition acharnée au centre droit, dans laquelle l'Eglise catholique va peut-être jouer un rôle, même si elle a jusqu'ici préféré ne pas soutenir un candidat parmi les prétendants à la succession de Berlusconi, qu'elle a critiqué mais sans jamais vraiment rompre avec lui. Si l'Eglise s'investit derrière Casini, il a des chances. Fini risque de payer sa trahison tardive de Berlusconi à droite.
Mais le plus inquiétant est surtout pour le centre gauche, qui a toutes les chances d'accéder au pouvoir, dans une situation similaire à celle de Georges Papandréou en Grèce.
La situation va être ambiguë, car le Parti démocrate (PD) pourrait s'allier au centre droit, à qui conviendrait très bien une politique d'austérité, mais qui n'a pas intérêt à participer à un tel gouvernement. Par tactique, pour préparer la reconstruction de la droite dans l'opposition face à un gouvernement empêtré dans la crise. Mais aussi par idéologie, car il est impensable pour lui de participer à une coalition avec la gauche de Nicchi Vendola (leader du Sel, «gauche écologiste et liberté», équivalent d'une combinaison Front de gauche et Europe-Ecologie - ndlr), qui n'est pas hostile à une telle alliance jusqu'au centre droit, et dont pourrait avoir besoin Paolo Bersani, le leader du Parti démocrate (PD).
Car aujourd'hui, les électeurs du Parti démocrate sont plus à gauche que le parti. J'ai participé à une table ronde récemment, où un ancien communiste au discours radical s'est fait applaudir à plusieurs reprises par les militants du PD. Quelque chose d'impensable il y a peu... A gauche, les gens commencent à être moins "responsables", et se mettent à réfléchir.
Mais le centre gauche semble tout à fait prêt à mettre en œuvre des plans d'austérité très brutaux...
La vraie question reste ce que veut faire Bersani avec le Parti démocrate face aux marchés? Voire ce qu'il peut faire. C'est un bon politicien, un «réformiste bolognais» honnête. Mais, comme la majorité des dirigeants du PD, il ne s'intéresse pas à la situation du sud du pays, où le parti est en train de disparaître au profit du Sel et du parti de l'ancien juge Antonio di Pietro.
Bersani ne parvient pas à s'autonomiser de figures comme Massimo D'Alema ou Walter Veltroni, qui sont des «blairistes alla vongole»! (expression empruntée à un plat de pâtes aux petits coquillages, signifiant là «blairiste du pauvre» - ndlr). Comme eux, Bersani ne se départ pas d'une déférence incompréhensible vis-à-vis du pouvoir économique. Il y en a même au PD qui pensent et théorisent que, de toutes façons, le pouvoir économique a gagné, et que la politique ne doit plus servir qu'à l'administration du pays.
On a évoqué l'hypothèse d'un gouvernement technique ou d'alliance nationale, dirigé par l'ancien commissaire européen Mario Monti. Ce serait un symbole supplémentaire d'un gouvernement de l'Italie par Bruxelles...
La solution d'une grande coalition de tous les partis, cela n'aurait un sens que si on revenait à un système à la proportionnelle. Sinon, la défiance serait maximale entre les divers responsables politiques, chacun calculant comment devenir majoritaire aux prochaines élections... En ce moment, les Italiens accepteraient n'importe quoi! Mario Monti est sérieux et a une réputation internationale incontestable. Mais il est vraiment très à droite et n'est configuré que pour mettre en œuvre des réformes drastiques et sans astuces...
Qu'est-ce selon vous une politique astucieuse de réformes?
Il faut bien évidemment mettre en œuvre un plan d'austérité, mais il faut aussi faire en sorte de sortir la population italienne de la dépression. Il faut qu'il y ait un sentiment d'échange, de participation de tous à l'effort national. Réformer les retraites et allonger la durée de temps de travail, d'accord. Mais aussi réduire les dépenses militaires, taxer la consommation de luxe, ou réduire très fortement le coût très élevé de la politique. Le nombre d'élus, leurs forts salaires, leurs nombreux privilèges et leurs retraites dorées sont injustifiables. Il semble aussi indispensable d'augmenter l'impôt sur la propriété, dans un pays où elle est la plus développée en Europe!
dessin
source
____________________
Tous les jours, le même cauchemar recommence: l'Italie se réveille pour affronter une nouvelle journée noire sur les marchés. Les bourses sont sans appel : la péninsule a besoin d'un exécutif viable et vite. Mais là encore, chaque matin, c'est le vide. Le Peuple de la liberté (parti de Silvio Berlusconi) et le Parti démocrate plaident pour un gouvernement de transition tandis que la Ligue du Nord et l'Italie des valeurs préféreraient aller directement urnes. Tout devrait se jouer ce week-end des 12-13 novembre, après l'adoption du plan d'austérité par le parlement et la démission de Silvio Berlusconi.
Entretien avec Paolo Franchi, politologue et éditorialiste au quotidien Corriere della Sera.
Berlusconi a pris un engagement très fort auprès du président de la République : celui de démissionner sur-le-champ une fois le plan d'austérité adopté. Le principal garant de cet engagement est le président de la République lui-même. Giorgio Napolitano navigue au cœur de cette crise italienne depuis le début et aujourd'hui son rôle est déterminant. Il n'a jamais été tenté d'aller outre sa fonction qui est clairement définie par la Constitution italienne. Nombreux sont ceux pourtant qui ont essayé de l'influencer en lui disant de renvoyer sur-le-champ Silvio Berlusconi. Il faut savoir qu'il a une pression énorme sur les épaules même si beaucoup pensent que le rôle de président de la République en Italie est une fonction purement symbolique. Il a toujours respecté un principe essentiel : un exécutif a le droit d'exister s'il détient une majorité au parlement. Mais ces dernières semaines la situation de l'Italie s'est aggravée tant sur le plan politique qu'économique. Le président de la République a fait comprendre que les votes de confiance au parlement ne suffisaient plus. Giorgio Napolitano a compris qu'il en allait de l'avenir de son pays et de l'Europe. La situation est tellement précaire que désormais chaque loi votée au parlement a valeur de test pour un gouvernement.
Comment voyez-vous à court terme l'évolution de la situation politique ?
L'important n'est pas tant de savoir si Berlusconi va quitter ou non ses fonctions. Non, le point crucial, c'est le futur, à savoir si des élections anticipées auront lieu ou pas. Silvio Berlusconi souhaite fortement des élections anticipées. Mais pour le moment, nous n'en sommes pas encore là. Il faudrait déjà que Giorgio Napolitano ait épuisé toutes les tentatives possibles de formation d'un gouvernement de transition. L'ancien commissaire européen et sénateur à vie, Mario Monti, est pressenti au poste de directeur d'un exécutif de transition. Ce qui est sûr, c'est que les positions divergent quant à la création d'un tel gouvernement. Le parti de la Ligue du Nord est contre ainsi que l'Italie des valeurs, le parti de gauche de l'ancien juge Antonio di Pietro. Et puis le problème est que pour faire tenir un gouvernement technique, il faut créer une majorité élargie. Je ne suis pas sûr qu'une telle majorité puisse exister dans ce pays en ce moment. Je vois mal le Peuple de la liberté, parti de Silvio Berlusconi, s'allier avec le Parti démocrate de Pier Luigi Bersani. Toute cette situation se traduit par un énorme vide politique en Italie.
Et puis le Peuple de la liberté vit un moment de crise extrême. Je ne pense pas que le parti de Silvio Berlusconi va même survivre politiquement à cette crise. La question n'est même plus de savoir qui sera son successeur car le Peuple de la liberté est un parti qui se concentre autour d'un seul leader, en l'occurrence Silvio Berlusconi. Si le leader meurt politiquement, le parti meurt aussi.
L'attitude de la gauche
Comment la gauche se positionne-t-elle ?
Le Parti démocrate a une ligne directrice toute simple : il souhaite une adoption rapide de l'austérité budgétaire italienne soutenue par l'Union européenne. Le jour même où Silvio Berlusconi donnera sa démission, et dans la minute qui suivra, le Parti démocrate se dira prêt à soutenir un gouvernement d'union nationale ouvert aux partis du centre.
Si en revanche des élections anticipées devaient avoir lieu, la situation serait plus compliquée. La gauche n'a toujours pas de leader charismatique et surtout elle reste très divisée avec des partis radicalement opposés. Il y a évidemment Pier Luigi Bersani, le secrétaire général du Parti démocrate, qui fait figure de représentant principal de l'opposition. Mais il n'est même pas certain que le parti d'extrême gauche Sel (Gauche, écologie et liberté), dirigé par Nichi Vendola, veuille s'allier avec lui. Et puis le système parlementaire italien est lui aussi très compliqué. Si le jeu des alliances à gauche devait fonctionner, alors oui, on pourrait imaginer qu'une coalition –Parti démocrate, Italie des valeurs et Sel– puisse remporter les élections grâce à la prime majoritaire prévue par la loi électorale. Mais rien n'est moins sûr.
Au Sénat, la situation serait bien plus compliquée pour la gauche sauf bien sûr en cas d'alliance avec les centristes et notamment l'Union des démocrates chrétiens.
L'Italie va-t-elle bientôt se retrouver sous perfusion de l'Union européenne ?
L'autre grand problème que vit l'Italie en ce moment, c'est évidemment la crise de la dette et de crédibilité. Les marchés financiers n'ont absolument pas confiance en Silvio Berlusconi. Si le chef du gouvernement avait déjà démissionné, les marchés financiers auraient exprimé clairement leurs satisfactions en faisant remonter le cours des bourses. On assiste en revanche en ce moment à une poussée de fièvre sur les marchés tant l'incertitude est grande. Les obligations d'Etats sur dix ans n'auraient jamais atteint des sommets astronomiques, à la limite du point de non-retour et de l'insolvabilité pour l'Italie. En fait, on a toujours un doute : Silvio Berlusconi va-t-il vraiment partir comme il l'a promis ou va-t-il s'accrocher au pouvoir comme il a pu le faire ces dernières années malgré des signaux clairs qui lui étaient envoyés ? Et puis objectivement, il y a un problème de crédibilité générale. Les marchés financiers détestent le vide dans lequel l'Italie se trouve maintenant.
Evidemment, en cas de nomination d'un gouvernement technique, la bourse de Milan pourrait mieux réagir. Ce sera bien sûr très difficile de respecter les injonctions de la Banque centrale européenne et les réformes demandées. La BCE n'attend pas seulement un résultat. Elle indique clairement les modalités à suivre afin d'obtenir le résultat escompté et souvent sans tenir compte des contestations populaires auxquelles font face les gouvernements.
La Ligue du Nord, fidèle alliée de Silvio Berlusconi, semble tracer son propre chemin. Elle ne veut pas d'un gouvernement technique...
Le gouvernement technique, c'est quelque chose de provisoire. La Ligue du Nord mais aussi les forces de gauche marginalisées savent très bien que leur pouvoir sera compté au sein d'un gouvernement de ce type. Un exécutif technique est mis en place avant tout pour faire adopter des réformes, notamment celles sur les retraites et sur le marché du travail. En revanche, la taxe sur le patrimoine sera très certainement mise de côté. Ces réformes, de fait, pénaliseraient clairement l'électorat de la Ligue du Nord.
Mais désormais, après le désastre des élections municipales dans le Nord, la Ligue aurait tout intérêt à voir s'organiser un gouvernement d'union nationale. Cela lui donnerait le recul nécessaire pour mieux tâter le pouls de la population, avec toutes ses insatisfactions, en restant dans un premier temps une simple opposition au gouvernement en place. Elle pourrait ainsi récupérer peu à peu sa notoriété. Ce serait une stratégie cynique, mais tout à fait envisageable. Il est difficile en outre de prévoir leurs actions, dans la mesure où les membres du parti n'accordent jamais leurs violons, et Umberto Bossi est le premier à se montrer confus quant à ses intentions. Ses discours ont la réputation de ne jamais être compris par les médias, et ce n'est pas fait pour arranger sa communication avec le public.
Dans la perspective d'une éventuelle élection anticipée, la question de la loi électorale se posera. Le référendum de juin dernier a montré que les Italiens sont favorables à la modification de la loi électorale qui, pour le moment, favorise largement les petits partis comme la Ligue du Nord. D'une part parce qu'elle lui permet d'obtenir plus de parlementaires, et d'autre part parce qu'elle permet au chef du parti, Umberto Bossi, de choisir lui-même ses parlementaires. Mais le contexte pourrait changer rapidement car la réforme de la loi électorale doit être prochainement examinée par la Cour constitutionnelle afin de décider si elle est admissible. En conclusion, tous ces éléments rendent la situation problématique pour la Ligue du Nord.
L'avenir de Berlusconi
Si Berlusconi donnait sa démission qu'adviendrait-il de son immunité ? Serait-il rattrapé par ses procès ?
En pratique, et d'un point de vue juridique, cela lui interdirait simplement de recourir au fameux « empêchement légitime » dont il se servait pour ne pas avoir à se rendre à ses procès. Il pouvait jusqu'alors échapper à la justice arguant qu'il lui fallait se rendre à un sommet à Bruxelles par exemple. C'était extrêmement utile pour lui, notamment pour que les délais de prescription jouent en sa faveur. Pour le reste, il ne perdrait en aucun cas toutes les innombrables garanties qu'il a en tant que parlementaire. L'unique avantage que l'on puisse réellement tirer de ces derniers jours, c'est le fait que sa défaite soit le fruit d'un processus parfaitement démocratique, par le simple fait qu'il ait perdu la majorité. Berlusconi est tombé par un biais politico-parlementaire, et non par un biais juridique.
A-t-il peur aujourd'hui pour son empire industriel ?
Oui, évidemment. Etre propriétaire d'une gigantesque entreprise et en même temps exercer la fonction de Président du conseil, c'est très avantageux. Mais si politiquement Silvio Berlusconi se retrouve dans une position délicate, il y a de très fortes chances qu'il entraîne vers le bas également sa holding Fininvest. C'était très intéressant de voir comment justement Silvio Berlusconi a géré la crise ces derniers jours. Contre toute attente, il est parti à Milan la semaine dernière pour un déjeuner en famille. Tout le monde pensait qu'il resterait à Rome, entouré de ses plus fidèles collaborateurs. A ce déjeuner il y avait sa fille Marina qui est présidente de Fininvest, Fedele Confalonieri, le président de Mediaset et son avocat et député Niccolo Ghedini. L'image parle d'elle-même. Le cadre parfait : la politique, l'entreprise et la justice. Trois pouvoirs qu'il n'a cessé de conjuguer entre eux pendant ces dix-sept années à la tête de l'exécutif.
Par Thomas Chabolle, à Rome.
source
Devenus héros de la moralité publique, les juges ont été presque contraints de s'acharner contre Berlusconi, qui n'a cessé de se victimiser face à eux. Dans ce duel, c'est tout le reste de la classe politique italienne qui a quasiment disparu.
En outre, l'émergence de la Ligue du Nord, qui méprise la règle démocratique, comme la réforme électorale passant brutalement d'un "système multipolaire", et reposant sur la proportionnelle, à un "système majoritaire et bipartisan" a continué de délégitimer la vie politique. Les opposants de droite à Berlusconi aujourd'hui l'ont approuvé et soutenu sans faille, jusqu'en 2008 pour Pier Ferdinando Casini et 2010 pour Gianfranco Fini!
Berlusconi est tombé dans le piège de l'omnipotence tournant au délire, estimant s'appuyer sur une majorité parlementaire inébranlable. Mais aujourd'hui, il n'y a plus de majorité de granit, et une guerre de succession va s'ouvrir, semblable à celles des généraux d'Alexandre le Grand après sa mort. Dans cette situation, il y a un risque que ce soit les marchés qui détiennent l'autorité sur le pays, en exerçant un chantage sur la réduction de la dette publique. Mais ce qui nous plombe depuis tant d'années, c'est surtout de ne pas avoir de politique de croissance...
Les Italiens accepteraient n'importe quoi !
Après Berlusconi, que reste-t-il de la classe politique italienne?
Il va y avoir une compétition acharnée au centre droit, dans laquelle l'Eglise catholique va peut-être jouer un rôle, même si elle a jusqu'ici préféré ne pas soutenir un candidat parmi les prétendants à la succession de Berlusconi, qu'elle a critiqué mais sans jamais vraiment rompre avec lui. Si l'Eglise s'investit derrière Casini, il a des chances. Fini risque de payer sa trahison tardive de Berlusconi à droite.
Mais le plus inquiétant est surtout pour le centre gauche, qui a toutes les chances d'accéder au pouvoir, dans une situation similaire à celle de Georges Papandréou en Grèce.
La situation va être ambiguë, car le Parti démocrate (PD) pourrait s'allier au centre droit, à qui conviendrait très bien une politique d'austérité, mais qui n'a pas intérêt à participer à un tel gouvernement. Par tactique, pour préparer la reconstruction de la droite dans l'opposition face à un gouvernement empêtré dans la crise. Mais aussi par idéologie, car il est impensable pour lui de participer à une coalition avec la gauche de Nicchi Vendola (leader du Sel, «gauche écologiste et liberté», équivalent d'une combinaison Front de gauche et Europe-Ecologie - ndlr), qui n'est pas hostile à une telle alliance jusqu'au centre droit, et dont pourrait avoir besoin Paolo Bersani, le leader du Parti démocrate (PD).
Car aujourd'hui, les électeurs du Parti démocrate sont plus à gauche que le parti. J'ai participé à une table ronde récemment, où un ancien communiste au discours radical s'est fait applaudir à plusieurs reprises par les militants du PD. Quelque chose d'impensable il y a peu... A gauche, les gens commencent à être moins "responsables", et se mettent à réfléchir.
Mais le centre gauche semble tout à fait prêt à mettre en œuvre des plans d'austérité très brutaux...
La vraie question reste ce que veut faire Bersani avec le Parti démocrate face aux marchés? Voire ce qu'il peut faire. C'est un bon politicien, un «réformiste bolognais» honnête. Mais, comme la majorité des dirigeants du PD, il ne s'intéresse pas à la situation du sud du pays, où le parti est en train de disparaître au profit du Sel et du parti de l'ancien juge Antonio di Pietro.
Bersani ne parvient pas à s'autonomiser de figures comme Massimo D'Alema ou Walter Veltroni, qui sont des «blairistes alla vongole»! (expression empruntée à un plat de pâtes aux petits coquillages, signifiant là «blairiste du pauvre» - ndlr). Comme eux, Bersani ne se départ pas d'une déférence incompréhensible vis-à-vis du pouvoir économique. Il y en a même au PD qui pensent et théorisent que, de toutes façons, le pouvoir économique a gagné, et que la politique ne doit plus servir qu'à l'administration du pays.
On a évoqué l'hypothèse d'un gouvernement technique ou d'alliance nationale, dirigé par l'ancien commissaire européen Mario Monti. Ce serait un symbole supplémentaire d'un gouvernement de l'Italie par Bruxelles...
La solution d'une grande coalition de tous les partis, cela n'aurait un sens que si on revenait à un système à la proportionnelle. Sinon, la défiance serait maximale entre les divers responsables politiques, chacun calculant comment devenir majoritaire aux prochaines élections... En ce moment, les Italiens accepteraient n'importe quoi! Mario Monti est sérieux et a une réputation internationale incontestable. Mais il est vraiment très à droite et n'est configuré que pour mettre en œuvre des réformes drastiques et sans astuces...
Qu'est-ce selon vous une politique astucieuse de réformes?
Il faut bien évidemment mettre en œuvre un plan d'austérité, mais il faut aussi faire en sorte de sortir la population italienne de la dépression. Il faut qu'il y ait un sentiment d'échange, de participation de tous à l'effort national. Réformer les retraites et allonger la durée de temps de travail, d'accord. Mais aussi réduire les dépenses militaires, taxer la consommation de luxe, ou réduire très fortement le coût très élevé de la politique. Le nombre d'élus, leurs forts salaires, leurs nombreux privilèges et leurs retraites dorées sont injustifiables. Il semble aussi indispensable d'augmenter l'impôt sur la propriété, dans un pays où elle est la plus développée en Europe!
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source
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Berlusconi gardera ses «innombrables garanties» de parlementaire
Tous les jours, le même cauchemar recommence: l'Italie se réveille pour affronter une nouvelle journée noire sur les marchés. Les bourses sont sans appel : la péninsule a besoin d'un exécutif viable et vite. Mais là encore, chaque matin, c'est le vide. Le Peuple de la liberté (parti de Silvio Berlusconi) et le Parti démocrate plaident pour un gouvernement de transition tandis que la Ligue du Nord et l'Italie des valeurs préféreraient aller directement urnes. Tout devrait se jouer ce week-end des 12-13 novembre, après l'adoption du plan d'austérité par le parlement et la démission de Silvio Berlusconi.
Entretien avec Paolo Franchi, politologue et éditorialiste au quotidien Corriere della Sera.
Berlusconi prend le temps avant de donner sa démission. Peut-on être sûr qu'il le fera?
Paolo Franchi© TC/MP
Comment voyez-vous à court terme l'évolution de la situation politique ?
L'important n'est pas tant de savoir si Berlusconi va quitter ou non ses fonctions. Non, le point crucial, c'est le futur, à savoir si des élections anticipées auront lieu ou pas. Silvio Berlusconi souhaite fortement des élections anticipées. Mais pour le moment, nous n'en sommes pas encore là. Il faudrait déjà que Giorgio Napolitano ait épuisé toutes les tentatives possibles de formation d'un gouvernement de transition. L'ancien commissaire européen et sénateur à vie, Mario Monti, est pressenti au poste de directeur d'un exécutif de transition. Ce qui est sûr, c'est que les positions divergent quant à la création d'un tel gouvernement. Le parti de la Ligue du Nord est contre ainsi que l'Italie des valeurs, le parti de gauche de l'ancien juge Antonio di Pietro. Et puis le problème est que pour faire tenir un gouvernement technique, il faut créer une majorité élargie. Je ne suis pas sûr qu'une telle majorité puisse exister dans ce pays en ce moment. Je vois mal le Peuple de la liberté, parti de Silvio Berlusconi, s'allier avec le Parti démocrate de Pier Luigi Bersani. Toute cette situation se traduit par un énorme vide politique en Italie.
Et puis le Peuple de la liberté vit un moment de crise extrême. Je ne pense pas que le parti de Silvio Berlusconi va même survivre politiquement à cette crise. La question n'est même plus de savoir qui sera son successeur car le Peuple de la liberté est un parti qui se concentre autour d'un seul leader, en l'occurrence Silvio Berlusconi. Si le leader meurt politiquement, le parti meurt aussi.
L'attitude de la gauche
Comment la gauche se positionne-t-elle ?
Le Parti démocrate a une ligne directrice toute simple : il souhaite une adoption rapide de l'austérité budgétaire italienne soutenue par l'Union européenne. Le jour même où Silvio Berlusconi donnera sa démission, et dans la minute qui suivra, le Parti démocrate se dira prêt à soutenir un gouvernement d'union nationale ouvert aux partis du centre.
Si en revanche des élections anticipées devaient avoir lieu, la situation serait plus compliquée. La gauche n'a toujours pas de leader charismatique et surtout elle reste très divisée avec des partis radicalement opposés. Il y a évidemment Pier Luigi Bersani, le secrétaire général du Parti démocrate, qui fait figure de représentant principal de l'opposition. Mais il n'est même pas certain que le parti d'extrême gauche Sel (Gauche, écologie et liberté), dirigé par Nichi Vendola, veuille s'allier avec lui. Et puis le système parlementaire italien est lui aussi très compliqué. Si le jeu des alliances à gauche devait fonctionner, alors oui, on pourrait imaginer qu'une coalition –Parti démocrate, Italie des valeurs et Sel– puisse remporter les élections grâce à la prime majoritaire prévue par la loi électorale. Mais rien n'est moins sûr.
Au Sénat, la situation serait bien plus compliquée pour la gauche sauf bien sûr en cas d'alliance avec les centristes et notamment l'Union des démocrates chrétiens.
L'Italie va-t-elle bientôt se retrouver sous perfusion de l'Union européenne ?
L'autre grand problème que vit l'Italie en ce moment, c'est évidemment la crise de la dette et de crédibilité. Les marchés financiers n'ont absolument pas confiance en Silvio Berlusconi. Si le chef du gouvernement avait déjà démissionné, les marchés financiers auraient exprimé clairement leurs satisfactions en faisant remonter le cours des bourses. On assiste en revanche en ce moment à une poussée de fièvre sur les marchés tant l'incertitude est grande. Les obligations d'Etats sur dix ans n'auraient jamais atteint des sommets astronomiques, à la limite du point de non-retour et de l'insolvabilité pour l'Italie. En fait, on a toujours un doute : Silvio Berlusconi va-t-il vraiment partir comme il l'a promis ou va-t-il s'accrocher au pouvoir comme il a pu le faire ces dernières années malgré des signaux clairs qui lui étaient envoyés ? Et puis objectivement, il y a un problème de crédibilité générale. Les marchés financiers détestent le vide dans lequel l'Italie se trouve maintenant.
Evidemment, en cas de nomination d'un gouvernement technique, la bourse de Milan pourrait mieux réagir. Ce sera bien sûr très difficile de respecter les injonctions de la Banque centrale européenne et les réformes demandées. La BCE n'attend pas seulement un résultat. Elle indique clairement les modalités à suivre afin d'obtenir le résultat escompté et souvent sans tenir compte des contestations populaires auxquelles font face les gouvernements.
La Ligue du Nord, fidèle alliée de Silvio Berlusconi, semble tracer son propre chemin. Elle ne veut pas d'un gouvernement technique...
Le gouvernement technique, c'est quelque chose de provisoire. La Ligue du Nord mais aussi les forces de gauche marginalisées savent très bien que leur pouvoir sera compté au sein d'un gouvernement de ce type. Un exécutif technique est mis en place avant tout pour faire adopter des réformes, notamment celles sur les retraites et sur le marché du travail. En revanche, la taxe sur le patrimoine sera très certainement mise de côté. Ces réformes, de fait, pénaliseraient clairement l'électorat de la Ligue du Nord.
Mais désormais, après le désastre des élections municipales dans le Nord, la Ligue aurait tout intérêt à voir s'organiser un gouvernement d'union nationale. Cela lui donnerait le recul nécessaire pour mieux tâter le pouls de la population, avec toutes ses insatisfactions, en restant dans un premier temps une simple opposition au gouvernement en place. Elle pourrait ainsi récupérer peu à peu sa notoriété. Ce serait une stratégie cynique, mais tout à fait envisageable. Il est difficile en outre de prévoir leurs actions, dans la mesure où les membres du parti n'accordent jamais leurs violons, et Umberto Bossi est le premier à se montrer confus quant à ses intentions. Ses discours ont la réputation de ne jamais être compris par les médias, et ce n'est pas fait pour arranger sa communication avec le public.
Dans la perspective d'une éventuelle élection anticipée, la question de la loi électorale se posera. Le référendum de juin dernier a montré que les Italiens sont favorables à la modification de la loi électorale qui, pour le moment, favorise largement les petits partis comme la Ligue du Nord. D'une part parce qu'elle lui permet d'obtenir plus de parlementaires, et d'autre part parce qu'elle permet au chef du parti, Umberto Bossi, de choisir lui-même ses parlementaires. Mais le contexte pourrait changer rapidement car la réforme de la loi électorale doit être prochainement examinée par la Cour constitutionnelle afin de décider si elle est admissible. En conclusion, tous ces éléments rendent la situation problématique pour la Ligue du Nord.
L'avenir de Berlusconi
Si Berlusconi donnait sa démission qu'adviendrait-il de son immunité ? Serait-il rattrapé par ses procès ?
En pratique, et d'un point de vue juridique, cela lui interdirait simplement de recourir au fameux « empêchement légitime » dont il se servait pour ne pas avoir à se rendre à ses procès. Il pouvait jusqu'alors échapper à la justice arguant qu'il lui fallait se rendre à un sommet à Bruxelles par exemple. C'était extrêmement utile pour lui, notamment pour que les délais de prescription jouent en sa faveur. Pour le reste, il ne perdrait en aucun cas toutes les innombrables garanties qu'il a en tant que parlementaire. L'unique avantage que l'on puisse réellement tirer de ces derniers jours, c'est le fait que sa défaite soit le fruit d'un processus parfaitement démocratique, par le simple fait qu'il ait perdu la majorité. Berlusconi est tombé par un biais politico-parlementaire, et non par un biais juridique.
A-t-il peur aujourd'hui pour son empire industriel ?
Oui, évidemment. Etre propriétaire d'une gigantesque entreprise et en même temps exercer la fonction de Président du conseil, c'est très avantageux. Mais si politiquement Silvio Berlusconi se retrouve dans une position délicate, il y a de très fortes chances qu'il entraîne vers le bas également sa holding Fininvest. C'était très intéressant de voir comment justement Silvio Berlusconi a géré la crise ces derniers jours. Contre toute attente, il est parti à Milan la semaine dernière pour un déjeuner en famille. Tout le monde pensait qu'il resterait à Rome, entouré de ses plus fidèles collaborateurs. A ce déjeuner il y avait sa fille Marina qui est présidente de Fininvest, Fedele Confalonieri, le président de Mediaset et son avocat et député Niccolo Ghedini. L'image parle d'elle-même. Le cadre parfait : la politique, l'entreprise et la justice. Trois pouvoirs qu'il n'a cessé de conjuguer entre eux pendant ces dix-sept années à la tête de l'exécutif.
Par Thomas Chabolle, à Rome.
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