Tout cela a une petite odeur de fin de règne : dans un climat politique délétère marqué par la crise mais aussi par les affaires, de Takieddine jusqu'à Tapie, en passant par Bettencourt, Nicolas Sarkozy a décidé de procéder à une cascade de nominations à des postes clés dans les grandes administrations financières françaises. Xavier Musca à la Caisse des dépôts et consignations, Anne Le Lorier à la Banque de France, Cécile Fontaine à la Cour des comptes : des proches du clan de Nicolas Sarkozy ont été ou vont être promus en violation de tous les usages républicains.
Pour comprendre l'enjeu de ces nominations, il faut se souvenir de ce qu'a longtemps été cet usage républicain. Durant des lustres, il était entendu que les postes financiers publics n'étaient la propriété d'aucun clan. La Banque de France en était l'un des symboles : avec Jean-Claude Trichet comme gouverneur, qui avait été auparavant le directeur de cabinet d'Edouard Balladur ; et avec Hervé Hannoun, comme sous-gouverneur, qui avait été celui de Pierre Bérégovoy, la banque centrale française a longtemps été une institution « transpartisane ». C'est Jean-Claude Trichet lui-même qui aimait sans cesse le rappeler.
Bras armé financier de l'Etat mais placée sous la protection du Parlement, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) a longtemps fonctionné selon le même principe républicain. Avec Francis Mayer comme directeur général, qui était proche de Jacques Chirac, et Dominique Marcel comme directeur financier, qui avait auparavant été le directeur adjoint de cabinet de Lionel Jospin à Matignon, l'institution financière était, elle aussi, une institution transpartisane. En somme, le bien commun de la République.
Mais il est vrai que la situation s'est vite dégradée : nommé en mars 2007 au poste de directeur général de la CDC, le chiraquien Augustin de Romanet n'a rien trouvé de plus pressé que de rompre avec cet usage, et de renvoyer Dominique Marcel dans une filiale du groupe pour former une direction générale monocolore. A droite, toute...
Or, c'est avec cet usage républicain que Nicolas Sarkozy s'apprête, lui aussi, à rompre. Selon des informations de La Lettre de l'Expansion, dont Mediapart a obtenu confirmation, Anne Le Lorier pourrait ainsi être prochainement portée par le chef de l'Etat au poste de sous-gouverneur de la Banque de France. Le poste n'a certes plus de réelle importance stratégique. Depuis que la Banque de France a abandonné à la Banque centrale européenne la conduite de la politique monétaire, l'institution a beaucoup perdu de son lustre. Elle garde pourtant de nombreuses fonctions de régulation, et a en particulier la haute main sur la régulation des banques, via l'Autorité de contrôle prudentiel, l'ex-Commission bancaire.
Deux amis à la Banque de France
La nomination probable d'Anne Le Lorier au poste de vice-gouverneur de la Banque de France apparaîtrait donc choquante à de nombreux titres. D'abord parce que l'intéressée a quitté depuis près de dix ans la sphère publique, en l'occurrence la direction du Trésor, pour rejoindre d'abord Fimalac, le groupe de Marc Ladreit de Lacharrière, puis tout aussitôt après EDF.
Alors, à quel titre serait-elle nommée aujourd'hui à la Banque de France ? Il n'y a qu'une seule réponse, et c'est pour cela que c'est choquant : Anne Le Lorier a été membre du cabinet d'Edouard Balladur à Matignon, comme Christian Noyer, l'actuel gouverneur de la Banque de France ; et tous deux sont des proches de Nicolas Sarkozy, qui à la même époque était le bras droit du même Balladur. En somme, la politique des petits copains...
Résultat : la Banque de France ne serait plus dans la configuration Trichet/Hannoun, c'est-à-dire dans une configuration droite/gauche ; elle ne serait pas même dans une configuration droite/droite mais plutôt dans une configuration sarkozo/sarkozyste.
Ce qui se prépare à la Caisse des dépôts et consignations est sans doute encore plus grave car l'institution joue un rôle majeur dans la vie économique française. Et en cas de victoire de la gauche, qui veut créer un grand pôle financier public, elle serait amenée à jouer un rôle encore plus grand.
Or, là encore, une nomination devrait bientôt intervenir car le mandat de l'actuel directeur général de la Caisse des dépôts, Augustin de Romanet, arrive à échéance dans le courant du mois de mars, c'est-à-dire, juste avant l'élection présidentielle. Comme le patron de la CDC dispose de très grands pouvoirs financiers et qu'il est inamovible pendant la durée de son mandat, le bon usage républicain voudrait que le chef de l'Etat ne procède pas à son renouvellement juste avant l'échéance présidentielle.
C'est en mars 2002 ce qu'avaient fait valoir les proches de Nicolas Sarkozy comme les socialistes – ce à quoi avait fait la sourde oreille Jacques Chirac. Dans le même esprit républicain, Nicolas Sarkozy aurait donc de bonnes raisons de renvoyer au lendemain de l'élection présidentielle de 2012 la nomination du successeur d'Augustin de Romanet.
Il est pourtant acquis qu'il n'en fera rien : encore une fois, il nommera l'un de ses proches à la tête de la CDC juste avant l'élection présidentielle. Le fait du Prince...
Xavier Musca brigue la CDC
Pendant quelque temps, François Pérol, l'actuel patron de BPCE qui a longtemps été le collaborateur de Nicolas Sarkozy, d'abord au ministère des finances, ensuite à l'Elysée, a hésité à briguer le poste. Nommé début 2009 à la tête des Caisses d'épargne et des Banques populaires dans des conditions controversées – la procédure initiée par la CGT et Sud pour « prise illégale d'intérêt » doit arriver devant la Cour de cassation –, il ne s'est jamais véritablement imposé. Et la greffe entre l'ancien associé gérant de la banque Rothschild et ces banques d'origine mutualiste et coopérative n'a jamais véritablement pris. A la tête de la holding, François Pérol ne dirige donc pas grand-chose et semble désireux de prendre du champ.
Mais il semble avoir compris que son éventuelle arrivée à la CDC serait accueillie par beaucoup comme une provocation. D'autant qu'il a longtemps milité, quand il était à Bercy, pour un démantèlement de la Caisse. De plus, il n'est pas certain que les émoluments du directeur général de la CDC soient à la hauteur de ses ambitions. Du coup, si François Pérol devait un jour quitter BPCE, il y a désormais plus de chance que ce soit non pour la CDC mais pour son ancienne maison, la banque... Rothschild.
Selon des informations concordantes, le poste de directeur général de la CDC devrait revenir à Xavier Musca. Actuel secrétaire général de l'Elysée, l'intéressé fait partie de la garde rapprochée de Nicolas Sarkozy, mais nourrit l'ambition depuis plusieurs mois de prendre du champ. Alain Minc, dont il est proche, milite ardemment pour cette solution, qui lui ménagerait des portes ouvertes dans les coulisses du pouvoir, même en cas d'alternance. Plus respecté, pour ses compétences, que de nombreux autres proches du chef de l'Etat, Xavier Musca n'en fait pas moins partie de la même mouvance, étant lui aussi un balladurien de la première heure.
Et à toutes ces nominations monocolores qui se profilent, il faut encore en ajouter une autre, celle de Cécile Fontaine à la Cour des comptes, qui vient d'avoir lieu. Ce qui a plongé les magistrats financiers, pourtant ordinairement très réservés, dans une colère noire.
La loi veut qu'avant toute nomination au tour extérieur à la Cour des comptes, le chef de l'Etat consulte le Premier président de la juridiction, en l'occurrence Didier Migaud. La loi l'autorise ensuite à passer outre un avis défavorable mais dans l'histoire de la Cour des comptes, cela n'est jamais arrivé.
Une insulte pour la Cour des comptes
Ancienne collaboratrice de Nicolas Sarkozy à l'Elysée, elle vient d'être nommée conseiller maître au tour extérieur. Alors que le Premier président de la Cour avait émis un avis défavorable, l'Elysée, pour la première fois, a passé outre. Ce qui a beaucoup choqué les magistrats financiers de la rue Cambon.
Comme le rappelle Marianne2 (l'article est ici), qui a révélé l'affaire, du temps où il était premier président de la Cour des comptes, Pierre Joxe avait émis à la fin des années 1990 un avis défavorable à la nomination de Patrick Stefanini, qui était un membre du cabinet d'Alain Juppé à Matignon. Et Jacques Chirac s'était alors incliné et avait nommé l'intéressé ailleurs. En l'occurrence au Conseil d'Etat.
Or, dans le cas présent, la Cour des comptes a été violée pour la toute première fois de son histoire. Le premier président de la Cour des comptes a en effet rendu un avis défavorable à la nomination de Cécile Fontaine. Plusieurs arguments expliquent cet avis négatif, selon Marianne2 : « Le grade, un des plus hauts, de Conseiller maître ne peut être occupé que par une personne de plus de 40 ans, quand Cécile Fontaine, elle, les a obtenu à quatre jours près. Le nombre d'années n'étant pas le seul garant de la sagesse, la Cour des comptes a également estimé, que pour un magistrat qui sera amené à juger des politique publiques, passer directement du cabinet du chef de l'Etat sans une période de décontamination pouvait poser problème. »
Mais Nicolas Sarkozy a choisi de passer outre. Par un décret en date du 14 septembre dernier (il est ici) qui mentionne explicitement l'avis défavorable émis deux jours plus tôt par le premier président, il a procédé à la nomination contestée.
Fait exceptionnel dans la vie feutrée de la Cour, l'Association des magistrats et anciens magistrats a alors dit publiquement son indignation dans une résolution, que Mariannea publiée (ci-contre). On peut en particulier y lire ceci : « Certes, cet avis n'est que consultatif mais les motifs qui ont conduit le Premier président après avoir recueilli le point de vue du Procureur général et des huit présidents de chambre, à se prononcer contre la nomination de la personne en cause auraient dû être d'autant plus respectés qu'un tel avis défavorable revêt un caractère exceptionnel. »
Mais en tout cas, le fait est là, indiscutable : à l'approche de la présidentielle, les candidats au départ parmi les hauts fonctionnaires sarkozystes se font de plus en plus nombreux – c'est un signe. Mais ils veulent garder bien en main, envers et contre tout, certains leviers décisifs de l'Etat.
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