Le fait est assez rare pour être souligné. Samedi en début de soirée, après trois heures de débat passionné, les associations du Forum social des quartiers populaires (FSQP) décident d'écrire ensemble un texte actant la création d'un front commun pour défendre leurs droits. Tandis que l'amphithéâtre de l'université de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), qui a accueilli leurs échanges durant deux jours, se vide, Christel, du FSQP, relit le texte à voix haute devant une vingtaine de militants: «Ce mouvement n'a pas vocation à remplacer les mouvements existants, mais à être l'expression politique d'une identité commune.» «De NOTRE identité commune», renchérit un jeune homme. La phrase est modifiée.
Chacun tombe d'accord pour attendre les troisièmes rencontres nationales des luttes de l'immigration – qui se tiendront du 25 au 27 novembre à Créteil (Val-de-Marne) – avant de parapher le document. Encore deux semaines de patience qui laisseront aux représentants de la quarantaine d'associations qui œuvrent en banlieue le temps de discuter avec leurs militants.
«Ce n'est pas anodin que l'on arrive, au bout de deux jours de débats, à acter la nécessité d'une action commune des associations et des mouvements issus des quartiers et de l'immigration, explique le Toulousain Salah Amokrane, ex-porte-parole des Motivé-e-s, membre de Tactikollectif et chef de file du FSQP. A partir de cette base-là, on peut enfin envisager la suite.»
Cette décision est d'autant plus importante qu'un tel rassemblement s'annonçait ardu. «Ils ont grandi ensemble et sont taraudés par les mêmes problèmes de fond. Et pourtant, les conditions d'un rapprochement ont toujours été compliquées», regrette Bernadette Hetier, co-présidente du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP), venue à l'université de Saint-Denis «à titre personnel».
Mais quel est donc ce mal qui freine la moindre initiative du FSQP et empêche un vrai rapprochement des différentes associations qui le composent ? La réponse est sur toutes les lèvres: ego. «On va continuer combien de temps à faire chacun de notre côté ? A se rassembler pour rien ? On va mourir ici, c'est ça ?, questionne dans l'assistance Salika Amara de FFR (Filles et fils de la République). On n'a plus le temps désormais ! C'est l'urgence !»
En 2009, le FSQP avait acté son entrée en politique. Deux ans plus tard, les quelque 200 militants réunis pour la quatrième édition du Forum sont tombés d'accord sur la nécessité de dépasser les ambitions de chacun et de mettre de côté les querelles intestines pour porter une parole commune.
Des handicaps quotidiens
Mouvement des travailleurs arabes (MTA), Mouvement de l'immigration et des banlieues (MIB), Collectif des musulmans de France (CMF), Indigènes de la République, collectif féminin «Quelques-unes d'entre nous», ACLEFEU... Chacune des organisations du FSQP porte un combat spécifique qui, s'il est désormais bien ancré localement, peine à trouver un écho sur le plan national.
Pourtant, les préoccupations exposées pendant deux jours dépassent largement le cadre des quartiers populaires: transports («c'est hors de prix de se déplacer de banlieue en banlieue»), logement, santé («même la tuberculose réapparaît à Clichy-sous-Bois»), emploi... Des handicaps quotidiens, nourris sur le terreau des inégalités, qui n'épargnent personne.
© ES
Pour Abdelaziz Chaambi du CMF et de l'Union des jeunes musulmans (UJM), cette difficulté des associations à se faire entendre est le résultat d'un «système qui travaille sur des individus et met en avant des personnalités, des gadgets médiatiques». Dans un tel contexte, chacun à voulu mettre en lumière son propre combat, au risque de le voir se dissoudre dans le millier d'autres luttes qui touchent les quartiers populaires.
«Jusqu'à présent, c'était "Moi je suis noir, je vais parler du racisme anti-noirs", "Moi je suis une femme, je vais parler du féminisme", mais il faut dépasser ça !, poursuit-il. Aujourd'hui, on a mis tout le monde au pied du mur. On a dit: "Toi, tu vas plus nous la faire à l'envers. Tu vas pas venir demain te réclamer des luttes contre les bavures policières, la discrimination ou l'urbanisme à deux balles pour dire moi je". C'est plus "moi je", c'est "nous" maintenant.»
Selon M. Chaambi, le texte qui s'est écrit au terme des deux jours de débats est le résultat d'une réflexion engagée depuis la création du FSQP en 2007, mais aussi le moyen le plus efficace de vérifier que tout le monde tiendra sa parole: «J'appelle ça une opération tamis, dit-il. On va voir les bons grains livrés, ceux qui sont vraiment honnêtes et prêts à dépasser leur ego, leur petite structure et leur petite identité pour faire don de leur maturité politique au collectif.»
Au FSQP, on s'emporte et on s'enthousiasme, autant que l'on se méfie. Des bonnes intentions avortées, des promesses non tenues, de «la masturbation des esprits» exercée au détriment de l'action. Des partis politiques aussi, pour ne pas dire surtout. Le débat de samedi après-midi s'est d'ailleurs ouvert sur l'avertissement suivant:«Ceux qui sont là pour vendre des alliances électorales, qu'ils écoutent, mais ne vendent rien. On risque d'être très secs avec ceux qui nous prennent pour des bouffons.»
Le «hold-up» de Montpellier
Aux quelques personnalités politiques qui ont, selon les mots d'Abdelaziz Chaambi, «le culot ou la bêtise de venir avec une posture paternaliste pour essayer de gratter et de récupérer quelques voix», le FSQP réserve un accueil pour le moins glacial. Adhérer à un parti, pourquoi pas, mais à deux conditions: que les revendications des habitants des quartiers populaires deviennent des priorités et qu'elles soient portées par les «vrais acteurs de ces luttes».
«Pour le moment, on en est très loin, regrette M. Chaambi. La priorité des politiques, c'est le CAC 40, le grand méchant loup du capitalisme, le FMI, tout ça. On n'est pas dupes, on n'est pas des ignares, on connaît très bien les mécanismes puisque c'est dans les quartiers populaires qu'ils sont expérimentés. La gestion policière, militaire, économique... Eux l'analysent dans leurs laboratoires, nous on la vit au quotidien depuis 30 ans.»
Abdelaziz Chaambi © ES
Après avoir conduit une liste autonome à Toulouse pour les municipales en 2001 et obtenu «un résultat intéressant», M. Amokrane sait que la nature des rapports change lorsque l'on passe par les urnes: «Les questions que l'on met en avant sont mieux entendues et je ne crois pas que c'est parce qu'elles sont mieux comprises.»
Alors que les discussions reprennent de plus belle dans l'amphithéâtre, un autre débat s'engage dans les couloirs de l'université de Saint-Denis. La militante féministe Clémentine Autain, en charge de l'organisation des fronts thématiques dans l'équipe de campagne du candidat du Front de gauche à la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon, s'apprête à partir lorsqu'elle est accostée par le président d'ACLEFEU, Mohammed Mechmache. Ce dernier veut mettre au clair une affaire qui lui «a mis un peu les nerfs», celle de Mohamed Bouklit, candidat à Montpellier aux dernières cantonales, ayant obtenu 35% au second tour sous l'étiquette du Front de gauche (lire notre enquête ici).
Actif dans les quartiers montpelliérains de La Paillade depuis plus de dix ans, ce jeune docteur en informatique a quelque peu irrité les militants associatifs du FSQP en créant le «Front de gauche des quartiers populaires». «Une initiative isolée», si l'on en croit Clémentine Autain. «Un hold-up», pour Mohammed Mechmache qui regrette que ce «mec qui n'a aucune légitimité» ait récupéré toutes les idées du FSQP, sans que le Front de gauche, qui l'a pourtant accueilli en son bureau national, s'en offusque.
«C'était à vous de dire que vous aviez déjà rencontré des gens avec une légitimité, une histoire, des combats nobles, assure le président d'ACLEFEU à Clémentine Autain. Autour de la table des dernières régionales, il y avait Mélenchon, Besancenot, toi... Vous ne pouvez pas faire semblant aujourd'hui !»
«Les politiciens ne peuvent pas nous la faire»
Pour Abdelaziz Chaambi, «l'affaire Bouklit» n'est qu'un exemple de plus permettant d'illustrer la récupération des partis politiques.«Mélenchon, c'est un mec qui veut faire carrière. Il dit "Moi je fais du populisme, je fais de la grande gueule". Il met un peu de noirs, un peu d'arabes, un peu de musulmans... C'est comme ça qu'il a récupéré Bouklit. Moi j'ai des factures de téléphone, où j'ai passé des heures avec lui pour le briefer. Ils nous l'ont absorbé. Ils nous sabotent le truc. Et maintenant ils font ce "Front de gauche des quartiers populaires". C'est insultant. On ne dit pas que les quartiers populaires sont notre propriété privée, mais soyons sérieux, on ne va pas se la jouer entre nous, on voit bien leur business, les politiciens ne peuvent pas nous la faire.»
Si elle comprend la défiance du FSQP à l'égard des politiques et entrevoit l'ampleur de la tâche qui attend la gauche pour renouer le dialogue avec les quartiers populaires, Clémentine Autain estime que «les propositions du Front de gauche sont les mieux à même de répondre à leurs préoccupations»: «C'est notre défi d'inventer de nouvelles formes de co-production de la politique qui permettent de travailler ensemble et pas dans une logique délégataire», poursuit-elle avant d'être de nouveau prise à partie par un militant venu de Vaulx-en-Velin (Rhône).
«Ce qui se dit ici est une caisse de résonance des quartiers populaires, conlut Mme Autain. Notre travail avec eux est un travail au long court qui va bien au-delà de la présidentielle.» Si la prochaine échéance électorale n'est pas, selon Salah Amokrane, celle où le FSQP peut le mieux se positionner, elle reste toutefois à l'esprit de chacun.
«On travaille sur le plus grand parti de France: le parti des abstentionnistes, estime Abdelaziz Chaambi. Aujourd'hui, dans les quartiers populaires, il y a peut-être 5% de gens qui votent. Donc, on a un potentiel de 95%. S'ils veulent être cohérents avec leur vision de la démocratie participative, les politiques doivent nous aider à mobiliser ces gens-là, non pas pour venir alimenter le truc ou coller leurs affiches, mais pour les rendre autonomes.»
Une ambition partagée par ACLEFEU qui a relancé, mercredi 9 novembre à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), une campagne citoyenne pour inciter les jeunes des quartiers populaires à s'inscrire sur les listes électorales. Pour le président du collectif, Mohammed Mechmache, les choses sont claires: «L'élection présidentielle devra se faire avec la voix de la banlieue.»
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lancez un parti. tout le monde sera derriere vous. arretez d'etre des suiveurs. nous sommes la france en tout cas une bonne partie.
RépondreSupprimerwalid