Arnaud Gaillard et Florent Vassault ont tenté de comprendre le rapport particulier que la société américaine entretient avec la peine capitale. Il en ressort un film marquant. Rencontre.
Avec Honk, Arnaud Gaillard et Florent Vassault enquêtent sur les fondements de la peine de mort aux États-Unis. Ils s’expriment alors que l’exécution de Hank Skinner, prévue le 9 novembre, vient d’être reportée.
Est-ce toujours au dernier moment que les condamnés apprennent le report de la sentence ?
Florent Vassault : Souvent ! Quand le détenu a déjà pris son dernier repas…
Arnaud Gaillard : La loi prévoit que le gouverneur puisse gracier le condamné jusqu’au dernier moment ; de même, un recours peut être accepté dans les dernières minutes. Cela fait partie du processus d’inhumanité qui gouverne tout le système judiciaire. Le jeu pervers de la pendule fait partie du processus de torture que constitue la peine de mort.
F. V. : Le personnage de Curtis dans Honk évoque ce condamné qui se suicide le jour de son exécution et qu’on ranime pour qu’il subisse la sentence.
A. G. : Administrer la mort ne relève que du pouvoir de l’État. Honk montre cette indifférence de la société américaine, qui ne voit pas la main politique derrière la peine de mort. Celle-ci fait partie de la loi, de la culture. Personne ne la remet en question.
F. V. : Les seuls qui s’élèvent contre la peine de mort sont des militants engagés, ils ne sont qu’une poignée. D’où le sens de ce coup de klaxon, Honk, que les militants invitent à faire en passant devant la prison. Ce geste signale un début de réaction.
A. G. : La peine de mort aux États-Unis n’est pas un tabou, c’est un non-sujet. On nous a demandé : comment faites-vous en France, comment répondez-vous au crime ?
Les exécutions sont-elles très médiatisées ?
A. G. : Uniquement les exécutions particulières ou dans les États où elles sont rares. Le ronron des exécutions ordinaires passe inaperçu. Il y a quand même toujours une volonté de donner à voir et à savoir au peuple les basses œuvres accomplies par l’État.
F. V. : La première conférence de presse qu’on voit dans le film est énorme parce que tout le monde s’est intéressé à cette exécution (grande salle, dossier de presse en couleur avec CD-rom…). Or, le débat ne porte que sur la question de savoir si l’exécution a été violente ou pas !
La peine capitale est-elle en train de chanceler aux États-Unis ?
A. G. : Les sociétés changent. C’est le sens de l’histoire, pour reprendre les mots de Badinter : tous les paramètres montrent qu’on va dans le sens d’une réduction de l’utilisation de la peine de mort dans le monde : décroissance du nombre d’exécutions et de pays qui exécutent… En outre, les États commencent à réfléchir au coût de la peine de mort : trois à cinq fois plus chère qu’une condamnation à perpétuité.
F. V. : C’est un sujet dont les politiques doivent s’emparer mais, aux États-Unis, c’est encore très marginal…
Vous avez enquêté pour l’association Ensemble contre la peine de mort. À quel moment est venue l’idée du film ?
A. G. : Dès le départ. Par crainte que l’enquête fasse « pschitt », j’ai proposé d’en tirer un livre mais aussi un film, pour toucher un public plus large. La plupart des films, documentaires et fictions, traitent de la peine de mort de manière linéaire à travers l’histoire d’un individu. Nous voulions traiter de l’objet pénal peine de mort à partir de plusieurs aspects de l’édifice.
F. V. : En rentrant du tournage, on s’est aperçus rapidement que trois « types » de personnages émergeaient : les Kirk, Curtis et Golda. Chacun représente un enjeu de la peine de mort. On voulait les baigner dans cette Amérique qui s’accroche à la peine de mort et dont Huntsville est le théâtre.
F. V. : Quand on a un lien avec la peine de mort, on se marginalise. Curtis n’a jamais été réhabilité. Il a été enfermé vingt-deux ans, et maintenant qu’il est sorti, c’est son statut d’« ancien condamné » qui le définit. Mais il a choisi de l’affronter.
Comment avez-vous vécu le décalage entre la France et les États-Unis ?
F. V. : On a toujours voulu que le film soit montré aux États-Unis, mais sa structure non linéaire ne sourit pas aux télévisions. Personnellement, je me suis demandé si notre définition de la violence était la même. Il y a aussi l’idée que, sans la peine de mort, le pays sombrerait dans le chaos. La peine capitale deviendrait presque un objet de survie… En tout cas, un objet d’attachement.
A. G. : Les États-Unis sont un pays plus jeune que la France, construit sur l’idée qu’il faut se battre pour survivre… C’est aussi une question de familiarité : on n’a plus de regard critique sur ce qui est familier. Les Américains font référence à des textes de l’Ancien Testament et légitiment leur pensée avec la loi du Talion. On trouve le même obscurantisme que dans certains pays islamistes. Passer par des intervenants extérieurs nous a permis de faire l’économie d’une voix off, mais aussi d’éviter un point de vue européen.
La déshumanisation des condamnés est-elle liée à leurs origines sociales et à leur couleur ?
A. G. : Le raisonnement ne va pas au bout, mais beaucoup savent que les prisons enferment d’abord les plus pauvres. Les Noirs en sont plus conscients : ils représentent 12 % de la population et 42 % de la population carcérale.
Il existe une discrimination économique : la différence d’application de la peine varie d’un à huit entre un Blanc et un Noir. Et une discrimination raciale : la justice américaine a été construite par des hommes blancs et hétérosexuels. Mais, pour Honk, nous avons rencontré des personnes en majorité blanches. Les Kirk sont de milieu populaire, Golda est plus désargentée, le père de Curtis est plus « middle class ».
F. V. : Curtis est en colère contre la middle class. Il considère que c’est elle qui a le pouvoir et que c’est elle qui devrait klaxonner.
Comment le débat vous paraît-il évoluer en France ?
A. G. : Ceux qui osent encore faire commerce de la peine de mort appartiennent à des générations qui l’ont connue et sont nostalgiques. Ceux qui ont grandi dans un pays sans peine de mort considèrent l’abolition comme un acquis.
F. V. : Honk rappelle que la peine de mort ne marche pas, même codifiée « au mieux ».
A. G. : L’idée de l’abolition ne va pas toujours de soi, il s’agit donc surtout de maintenir éveillé un regard critique.
F. V. : C’est un sujet dont les politiques doivent s’emparer mais, aux États-Unis, c’est encore très marginal…
Vous avez enquêté pour l’association Ensemble contre la peine de mort. À quel moment est venue l’idée du film ?
A. G. : Dès le départ. Par crainte que l’enquête fasse « pschitt », j’ai proposé d’en tirer un livre mais aussi un film, pour toucher un public plus large. La plupart des films, documentaires et fictions, traitent de la peine de mort de manière linéaire à travers l’histoire d’un individu. Nous voulions traiter de l’objet pénal peine de mort à partir de plusieurs aspects de l’édifice.
F. V. : En rentrant du tournage, on s’est aperçus rapidement que trois « types » de personnages émergeaient : les Kirk, Curtis et Golda. Chacun représente un enjeu de la peine de mort. On voulait les baigner dans cette Amérique qui s’accroche à la peine de mort et dont Huntsville est le théâtre.
F. V. : Quand on a un lien avec la peine de mort, on se marginalise. Curtis n’a jamais été réhabilité. Il a été enfermé vingt-deux ans, et maintenant qu’il est sorti, c’est son statut d’« ancien condamné » qui le définit. Mais il a choisi de l’affronter.
Comment avez-vous vécu le décalage entre la France et les États-Unis ?
F. V. : On a toujours voulu que le film soit montré aux États-Unis, mais sa structure non linéaire ne sourit pas aux télévisions. Personnellement, je me suis demandé si notre définition de la violence était la même. Il y a aussi l’idée que, sans la peine de mort, le pays sombrerait dans le chaos. La peine capitale deviendrait presque un objet de survie… En tout cas, un objet d’attachement.
A. G. : Les États-Unis sont un pays plus jeune que la France, construit sur l’idée qu’il faut se battre pour survivre… C’est aussi une question de familiarité : on n’a plus de regard critique sur ce qui est familier. Les Américains font référence à des textes de l’Ancien Testament et légitiment leur pensée avec la loi du Talion. On trouve le même obscurantisme que dans certains pays islamistes. Passer par des intervenants extérieurs nous a permis de faire l’économie d’une voix off, mais aussi d’éviter un point de vue européen.
La déshumanisation des condamnés est-elle liée à leurs origines sociales et à leur couleur ?
A. G. : Le raisonnement ne va pas au bout, mais beaucoup savent que les prisons enferment d’abord les plus pauvres. Les Noirs en sont plus conscients : ils représentent 12 % de la population et 42 % de la population carcérale.
Il existe une discrimination économique : la différence d’application de la peine varie d’un à huit entre un Blanc et un Noir. Et une discrimination raciale : la justice américaine a été construite par des hommes blancs et hétérosexuels. Mais, pour Honk, nous avons rencontré des personnes en majorité blanches. Les Kirk sont de milieu populaire, Golda est plus désargentée, le père de Curtis est plus « middle class ».
F. V. : Curtis est en colère contre la middle class. Il considère que c’est elle qui a le pouvoir et que c’est elle qui devrait klaxonner.
Comment le débat vous paraît-il évoluer en France ?
A. G. : Ceux qui osent encore faire commerce de la peine de mort appartiennent à des générations qui l’ont connue et sont nostalgiques. Ceux qui ont grandi dans un pays sans peine de mort considèrent l’abolition comme un acquis.
F. V. : Honk rappelle que la peine de mort ne marche pas, même codifiée « au mieux ».
A. G. : L’idée de l’abolition ne va pas toujours de soi, il s’agit donc surtout de maintenir éveillé un regard critique.
États-Unis, le cinquième État meurtrier
« Comprendre le sens et le fonctionnement d’une sentence que toutes les autres démocraties au monde – à l’exception du Japon et de l’Inde – ont choisi de ranger du côté de la barbarie et du passé. » Tel est l’enjeu du sociologue Arnaud Gaillard dans 999, au cœur des couloirs de la mort (Max Milo), résultat d’une enquête sur la peine capitale aux États-Unis. La première démocratie du monde est aussi le cinquième État meurtrier derrière la Chine, l’Iran, la Corée et le Yémen. 3 300 Américains attendent leur mise à mort. 34 États sur 50 pratiquent encore la peine capitale, soutenue par 65 % des adultes. Rapport pervers avec la réalité et le pouvoir, ambivalence entre le respect de la personne humaine et la vertu de la sentence, foi dans le système… La peine de mort aux États-Unis « ne perdure que parce qu’elle repose sur une construction idéologique, juridique, historique et sociétale ». Mais cette construction se fissure.
Ingrid MerckxA. G. : Il y a 3 200 condamnés aux États-Unis sur 300 millions d’habitants. Ils sont considérés comme des sous-hommes. Pour les Américains, on n’exécute pas un homme mais quelqu’un qui est sorti de la dimension humaine. Les proches de condamnés sont considérés comme des parias, même par l’administration pénitentiaire. C’est ce qu’Erving Goffman appelle « un stigmate par contagion ».
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« Honk », contre l’inhumanitéÀ chaque fois qu’elle va en ville, Golda fait un détour par la route qui passe devant la prison. Et sur cette ligne droite qui sépare le monde des prisonniers de celui des gens libres, elle klaxonne sans discontinuer. Les détenus n’entendent pas, seulement les gardiens, paraît-il, mais ça lui plaît de les imaginer se dire :« C’est encore cette folle dans son cabriolet. »
« Klaxonner contre la peine de mort », clament les abolitionnistes dans Honk (« klaxonner »), documentaire d’Arnaud Gaillard et Florent Vassault sur la peine capitale aux États-Unis. Ils ne sont qu’une poignée dans un océan d’indifférence… Un océan dont on mesure la profondeur lors de cette conférence de presse post-exécution, en début de film, où les autorités pénitentiaires et politiques félicitent le personnel pour le travail qui vient d’être accompli et se demandent si l’exécution a été « propre » ou « violente ». Un fossé se creuse d’emblée avec le spectateur d’un pays abolitionniste, qui réalise à quel point la peine de mort est institutionnalisée et même moralisée aux États-Unis. Pas d’européanocentrisme pour autant dans ce film qui cherche moins à « voir » qu’à comprendre. Il s’appuie sur la parole de personnes impliquées – les Kirk, la famille d’une victime ; Curtis, un ancien condamné ; et Golda, la mère d’un détenu – et les commentaires d’un professeur abolitionniste et d’un pasteur pro-peine capitale.
Et reconstruit ainsi le spectre de la sentence ultime en faisant ressortir son absurdité et son inhumanité.
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