Nicolas Sarkozy sait rebondir, le plus souvent à sa droite. L'hiver 2009-2010, il avait fait diversion avec un débat sur l'identité nationale stigmatisant les musulmans (suivi plus tard d'un débat sur l'islam, si cela n'était pas suffisamment clair). L'été 2010, en pleine tempête avec l'affaire Woerth-Bettencourt, il opérait un virage sécuritaire avec un nouveau bouc émissaire: les Roms. En 2011, le chef de l'Etat s'attaque aux allocataires sociaux, accusés d'être en partie des «assistés» ou des «profiteurs».
Le futur président-candidat a d'ailleurs décidé de faire de la lutte contre la fraude sociale son thème de campagne. Et il le met en scène cette semaine. Ce mardi, il se rend à Bordeaux avec quatre ministres (Alain Juppé, Xavier Bertrand, Roselyne Bachelot, Claude Greff) pour annoncer une série de mesures destinées à combattre la fraude aux caisses sociales.
L'annonce est millimétrée: la veille, l'UMP a lancé une nouvelle campagne d'affichage axée sur ce thème. Un tract tiré à trois millions d'exemplaires intitulé «Rejoignez le parti des droits et des devoirs». Cinq affiches tricolores tirées à 40.000 exemplaires chacune, barrées de slogan comme «Oui à la solidarité, non à la fraude»; «Oui au travail, non à l'assistanat». Mardi, une interview du ministre du travail a été programmée dans le journal (gratuit)Direct matin de Vincent Bolloré. Xavier Bertrand y explique que le gouvernement n'hésitera pas à «adapter l'arsenal législatif» pour lutter contre cette fraude. Il aligne des chiffres: les «458 millions d'euros» de fraude aux prestations sociales et les «10 à 15%»d'arrêts de travail de longue durée «considérés comme abusifs».
«Zone interdite» du 13 novembre, sur M6. |
M6 a donné un coup de pouce bienvenu en diffusant dimanche un spécial «Zone interdite», «La France qui fraude».
Le thème est pratique pour Nicolas Sarkozy. Il lui permet de tirer à boulets rouges sur un PS qualifié de «laxiste», de concurrencer le FN qui en a fait son cheval de bataille, et de partir à la reconquête des classes moyennes en faisant mine de présenter sur un plateau des solutions au déficit de l'Etat.
A paraître le 17 novembre. |
L'UMP l'a bien compris. Jeudi, Laurent Wauquiez, porte-parole autoproclamé des classes moyennes, assurera la promotion de son livre La Lutte des classes moyennes (éditions Odile Jacob), où le combat contre «l'assistanat»tient une place centrale. Le jeudi suivant, ce sera au tour de Rachida Dati d'organiser un débat dans son VIIe arrondissement: «Après les classes populaires, les classes moyennes vont-elles devoir quitter Paris?»
A paraître le 17 novembre.Au départ, il y a une idée murmurée par Patrick Buisson, conseiller de Nicolas Sarkozy: priver plus d'un million de bénéficiaires du RSA et leur famille de revenu minimum. En mars, au lendemain de la cuisante défaite de l'UMP aux cantonales, cet ancien journaliste de Minute théorisait dans Paris-Match son «plan de bataille» pour reconquérir d'ici 2012 l'électorat populaire: immigration, identité nationale, et lutte contre l'assistanat dans le cadre d'une «grande loi de réhabilitation du travail».
Quelques semaines plus tard, Laurent Wauquiez lui emboîte le pas en qualifiant «les dérives de l'assistanat» de «cancer de la société» (lire notre portrait) et en proposant une batterie de mesures: faire travailler les bénéficiaires du RSA, plafonner le cumul de tous les minima sociaux à 75 % du Smic, établir une durée minimale de travail pour que les étrangers puissent bénéficier du système social français.
«Les fraudeurs, on va mettre le paquet là-dessus»
Numéro du 4 juin 2011 |
C'est d'ailleurs l'un des députés du collectif (Dominique Tian) quioffre à l'UMP ce chiffre, recyclé dans tous les médias: 20 milliards d'euros, le montant supposé de la fraude sociale à l'Etat. «Soit 44 fois plus que la fraude actuellement détectée», explique l'élu des Bouches-du-Rhône dans son rapport sur l'ampleur des fraudes sociales en France.
Mediapart avait déjà démontré la mauvaise lecture de ces chiffresici et là. En réalité, la fraude aux prestations sociales (RSA, allocations familiales, arrêt maladie...) reste un phénomène mineur, qui représente moins de 1% des 400 milliards de prestations sociales versées chaque année par la Sécurité sociale. Un rapport de la Cour des comptes de 2010 l'évalue en effet à environ 3 milliards d'euros par an.
D'autres rapports d'organismes vont dans le même sens. La Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), par exemple, estime avoir été escroquée de 90,1 millions d'euros en 2010, ce qui ne constitue que 0,15% des 60 milliards d'euros de «prestations directes versées aux allocataires pour les prestations légales et l'action sociale familiale».
Peu importe, ce chiffre est répété en boucle par les ténors du partis (lire notre article) et il leur permet toutes les folies. Comme de demander le fichage des allocataires sociaux. Une vieille idée ressortie par Thierry Mariani en août dernier et acceptée illico par le ministre du travail. Ce week-end, Xavier Bertrand a d'ailleurs confirmé la mise en place d’ici la fin de l’année de ce fichier central qui doit permettre une «bonne utilisation de l’argent public, de l’argent de la solidarité».
En septembre, l'idée de Wauquiez qui avait tant créé la polémique en avril, a été reprise sans grincements de dents par le rapport du centriste Marc-Philippe Daubresse, secrétaire général adjoint de l'UMP. A tel point que le ministre de l'enseignement supérieur a cru bon de poursuivre dans la même veine avec d'autres propositions, comme celle de réserver une partie des logements sociaux à ceux qui travaillent.
Le 25 octobre, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), le gouvernement a écouté l'aile droite de la majorité en annonçant de nouvelles mesures pour sanctionner plus durement les fraudeurs. «Les fraudeurs, c'est un sujet qui monte. C'est normal en cas de crise, et on va mettre le paquet là-dessus», a glissé à TF1 un responsable du parti majoritaire sous le couvert de l'anonymat. Le PS dénonce une «lutte contre les pauvres». Les centristes, eux, savent à quoi s'en tenir: «la campagne se fera à droite», comme le réclame la Droite populaire.
En 2007, Nicolas Sarkozy évoquait déjà «l'assistanat» dans son clip de campagne (vidéo ci-dessus).«Je ne peux pas accepter une société où un assisté a, à la fin du mois, davantage que celui qui travaille», disait-il, proposant «qu'on ne puisse pas refuser plus de deux offres d'emplois». Mais son idée phrare restait la valorisation du travail, via son credo du «travailler plus pour gagner plus» et sa formule du «candidat du pouvoir d'achat».
A l'approche de 2012, il a changé les meubles de place: son éloge du travail est devancé par une dénonciation de «l'assistanat». Ce refrain, il le martèle désormais à chaque intervention: lors de son allocution télévisée du 27 octobre, dans ses déplacements à travers la France (lire notre décryptage et notre reportage). Le sujet a un grand mérite pour l'aile droite de l'UMP, il permet de désigner (sans le dire) les étrangers comme responsables des déficits des comptes sociaux et de justifier au passage la politique d'immigration du gouvernement.
Soucieuse de ne pas se faire voler ce thème des «profiteurs d'en bas» et du «fraudeur» «étranger», Marine Le Pen a surenchéri.Dans un communiqué, lundi, la présidente du FN estime que «l'explosion de la fraude sociale est liée à une explosion de l'immigration» et «déplore l'inaction totale du gouvernement Sarkozy face à la fraude sociale». «Parce qu'il aura été le quinquennat de l'immigration de masse, légale et illégale, le quinquennat de Nicolas Sarkozy aura aussi été celui de la fraude sociale», assène-t-elle.
Mardi, à Bordeaux, la CGT Aquitaine et les députés PS de Gironde n'assisteront pas au discours de Nicolas Sarkozy. Dans un courrierenvoyé le 10 novembre à l'Elysée, le secrétaire régional de la CGT dénonce l'«empressement» du président «à stigmatiser les bénéficiaires des prestations sociales» et l'invite à «(s')intéresser à ceux qui grèvent le plus les comptes sociaux, c'est-à-dire comme le montrent les études auprès de l'Urssaf, les employeurs». Les parlementaires socialistes expliquent quant à eux dans un communiqué que «l'hémorragie la plus lourde pour le budget de l'Etat est l'évasion fiscale», estimée, rappellent-ils... «à 20 milliards d'euros».
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