jeudi 10 novembre 2011

Austérité et solidarité


Sur qui pèsent l’austérité /solidarité ?

Tout l’effort de guerre repose, comme toujours, sur la classe travailleuse. Une guerre économique que le monde réel livre au monde fictif de la finance. Monde fictif basé sur l’intérêt, sur l’agio, sur la rente, création de valeurs abstraites, dont le poids et la charge sont à la bonne discrétion des détenteurs d’un capital, du Capital. Et même s’ils n’ont dans la réalité qu’un capital numérique, tout aussi abstrait, le pouvoir absolu des banques, tout comme une tyrannie produit ses propres lois et légitime son illégalité, leur permet de reproduire à l’infini les formes et la quantité d’un Capital inexistant ainsi que les mécanismes d’oppression et d’acceptation de cette oppression.

Rien de neuf. Les forces du Capital obligent les gouvernements à la solidarité. Les gouvernements obligent leurs forces économiques nationales à la solidarité. Les forces économiques nationales obligent les entrepreneurs, fournisseurs, commerçants, patrons grands et petits à la solidarité. Et ces derniers obligent leurs salariés à la solidarité. Dindons de la farce ceux qui ne peuvent obliger personne à la solidarité, sinon leur famille à se serrer la ceinture. À aucun des susnommés il ne viendrait à l’esprit de partager la solidarité, un bon cinquante-cinquante pour taux le plus équitable, et de diluer la solidarité dans cette cascade de rançonneurs… Le dernier de la chaine, le travailleur qui l’a autour du cou sans en tenir ni un maillon, lui qui n’a d’autre choix que de se voir sucrer la valeur de son travail, et le seul qui n’extorque rien à personne, porte sur lui toute la solidarité. Et bonne poire, solidaire avec son patron, certainement le seul élément humain, la face concrète du ressort capitaliste, il en accepte les conséquences… C’est dur, compliqué, injuste, mais on va pas tuer le patron, et donc le travail, souvent lui non plus ne roule pas sur des fortunes arrachées à la veuve et l’orphelin, lui qui a joué tout son petit capital dans l’affaire, lui qui mouille la chemise et s’il le pouvait, d’ailleurs chaque fois que la loi lui permet il le fait, il allongerait les primes, gonflerait le salaire et lâcherait son petit billet sous la table. Simplement, lui demander d’être solidaire avec ceux qui l’exploitent directement, banques d’affaires et fournisseurs, jamais il ne le fera, un pied de plus que les travailleurs dans le système capitaliste, conscient si l’en est de ses mécanismes, sa solidarité à des limites, et puisqu’il tient à la gorge des subalternes sur qui soulager sa solidarité, il le fait.

Un peu bête le travailleur ? Et bien non, solidaire, mais pas solidaire du Capital, solidaire de l’économie, de la société même. Un patriote ! Lui tuerait le travail ? Et dans quel but ? Le chaos, la révolution ? Quelle idée absurde, la fin du travail est-elle une idéologie portée par qui que ce soit dans le bouillonnement relatif des penseurs qui pensent vraiment à un autre système économique et sociétal ? Le travailleur remettrait-il son destin et celui de sa famille dans les mains de punks renégats habitants les squats, buvant de la bière et vomissant le travail en empochant, chaque mois comme les rentiers parasites de la haute, des allocations qui ne sont pas faites pour lui et pour ça ?

Question : pourquoi le travailleur n’est ni indigné, ni agité, ni révolté ?

Il n’y pas beaucoup de forces vives dans le mouvement des indignés, et certains se demandent pourquoi. Les petits jeunes, étudiants oisifs, subventionnés par leur famille, avec pas besoin de beaucoup plus qu’une couverture et un plat de nouilles dans le ventre, ardeur de la jeunesse qui vit de rien et qui rêve chaque jour un monde meilleur, plus juste et plus beau, soyez sûrs qu’une vaste frange de la population vous regarde, vous soutient, et ne soyez pas durs, n’employez surtout pas les mots horribles de connivence, de fatalisme et de lâcheté même, il n’en n’est rien. Une famille voyez-vous, et vous le savez bien en fait, malgré les efforts répétés des anarcho-bobos, des antifafas libero-libertos, des mao-reactionono-trotsko-marijeanno et que sais-je encore, malgré le schéma capitaliste bien sûr qui la détruit depuis toujours (journée de travail sans fin pour les deux parents, éducation nationale ressassant les ordures des aïeux, ancêtres et finalement de ses propres parents, promotion de la liberté par la consommation socialement pornographique contre la morale personnelle familiale, etc.), et bien une famille ne se laisse pas mourir dans la misère, et tant que l’on peut tout faire pour subvenir à ses besoins on le fait. Coups de bâton, mâchoires cassées dans la baston, nuits entières en garde à vue, et donc possibilité de ne pas pouvoir payer les factures, la bouffe, licenciement et déchéance… Il ne s’agit pas de manque de courage mais plutôt des liens extrêmement puissants de précarité qui scient les mains des travailleurs. Une insurrection ?…et qui propose un schéma de rechange, cohérent et complet ? La vérité est que le travailleur, respectant le droit et l’histoire de la démocratie, s’en remet à ses élites, fussent-elles traitresses et illégitimes. Erreur ? Certainement, les traitres illégitimes n’arrangeront rien à l’affaire, tout au contraire. Mais alors, que faire, parce que sans l’appui d’une large part des travailleurs, la mort du système économique et social et son remplacement par un autre, quel qu’il soit d’ailleurs, est impossible.

Alors que faire ?

Tout est question de légitimité et d’illégitimité.

Le peuple dans son ensemble ne peut pas exercer tout le pouvoir. Cela n’a d’ailleurs jamais été le cas, quelque soit la forme et l’époque, passées l’émeute, l’insurrection, la révolution et la guerre patriotique, qui ne laissent historiquement pas le choix de l’inaction, des mécanismes de désignation se mettent en place pour qu’une élite dirige. Une élite peut être populaire. Mais ce n’est pas le gage non plus d’une réussite automatique. Une élite doit surtout être légitime et œuvrée pour le bien et le bonheur général, c’est-à-dire ne pas trahir le peuple, ses envies et ses besoin, et parfois savoir le contredire lorsque des forces extérieures (propagande médiacrate, mensonges des élites déchues, franges extrémistes illuminées, etc.) tentent de déstabiliser la révolution en marche.

Simplement on ne peut pas nier que, défait des délires sur « la démocratie », « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », les tartes à la crème sur les démocraties populaires ou directes et toute autre grotesquerie que masquent les plus sanglantes oppressions, le peuple n’a aucune prétention au pouvoir, lubie machiavélique des princes, lui veut vivre, dans le bonheur et la créativité, et s’en remettre à des élites légitimes, justes et accessibles… Encore une fois qu’on ne se méprenne pas, une élite doit être populaire pour partie, le peuple doit participer à l’élite, la révoquer, la suspendre, la renouveler, la punir même mais tout le peuple exerçant tout le pouvoir, ça fait joli, c’est mignon tout plein comme un calembour de Libé, mais ça ne pisse pas loin. Finalement, l’élite n’est que le groupe désigné pour exercer, sous un mandat clair, révocable et limité, le pouvoir non pas au nom du peuple mais pour le peuple.

Doit-on être solidaire d’une élite révolutionnaire ?

On entend ici et là que les français ne soutiennent pas les indignés parce qu’ils font confiance à la voie démocratique, c’est-à-dire qu’ils placent tous leurs espoirs dans les prochaines élections présidentielles. Je ne vois là rien de plus faux et m’en tiens à mon explication du paragraphe précédent, à savoir qu’ils n’en ont pas les moyens matériels. Il n’effleure personne que les États-Unis, par exemple, sont un pays largement plus embourgeoisé et peuplé que la France, ce qui mathématiquement offre plus de militants aux mouvements indignés. Il n’effleure personne que la Grèce, largement plus pauvre et acculée aux bords du précipice, trouve ici la masse de ses indignés. Quoiqu’il en soit dans tous les cas les revendications sont toujours tournées vers les élites historiques, illégitimes et traitresses, pour qu’elles changent l’ordre des choses. Vaines supplications qui seront peut-être calmées par la trique et la carotte, division du mouvement et luttes épuisantes entre ses factions nouvelles.

Il faut se souvenir, exercice réellement nécessaire dans le torrent du spectacle, des mouvements sociaux et de 2008, et de 2009 et de 2010. Des millions de gens, le peuple et toutes ses classes (sauf la bourgeoisie, évidemment), s’en remettant une fois encore à ses élites historiques, syndicats et parlementaires, pour changer les choses. Ce fût vain, véritablement vain sinon la réorganisation des forces de façade, le Front de Gauche par exemple. Fera-t-il autre chose dans le cadre du parlementarisme ? Déjà cela négocie dur en sous-main pour les circonscriptions, joujoux de cette démocratie, perversité de la souveraineté nationale, un machin qui ne sert à rien… et si les meilleurs d’entre eux, et si, et si… encore faudrait-il que le pouvoir politique tel qu’il est possède réellement les moyens de ses ambitions. Et le pouvoir économique, le pouvoir médiatique ? Non vraiment personne n’est dupe, ni les français ni les autres, et j’espère que les indignés, le mouvement des indignés, n’est pas un simple leurre pour canaliser les mécontents, les canaliser et tuer dans l’œuf la possibilité révolutionnaire.

Ne faut-il donc pas s’en remettre à une élite révolutionnaire pour bousculer les trois pouvoirs, politique, économique et médiatique ? Pour toutes les raisons qui empêchent les travailleurs de lutter efficacement, et parce que la démocratie d’aujourd’hui ne permet pas la transformation, même plus le réformisme, il me semble évident que c’est la question fondamentale que nous devons poser. Et y répondre.

Une élite révolutionnaire surgie de toutes les couches de la société, de toutes ces classes, de tous ses horizons. Une élite révolutionnaire déliée de toutes les aliénations, consciente de la valeur de ses actes. Une élite révolutionnaire absente de l’imbroglio des partis politiques, du parlementarisme et du théâtre du spectacle. Une élite révolutionnaire légitime, dédiée entièrement au renversement des trois pouvoirs. Une élite révolutionnaire reconnaissable par sa morale, juste et éthique. Une élite révolutionnaire soutenue par la grande majorité, organisatrice de tous les réseaux et de toutes les forces indignées, agitées et révoltées. Enfin une élite révolutionnaire ayant fait le deuil du pacifisme absolument naïf, du pétitionnisme absolument inutile, de l’aventurisme strictement militaire, de l’altermondialiste strictement contre-sommet-iste, et finalement synthèse juste et logique des forces à mettre en œuvre pour abattre les trois pouvoirs. Illégale, clandestine ? Peut-être. Violente, radicale ? Peut-être. Victorieuse, possiblement victorieuse ? Certainement.

Selon le niveau d’analyse et de conscience de chacun, il y aura un soutient massif, discret mais ferme, lorsque cette élite là frappera les premiers coups. Fin de l’austérité/solidarité, avènement de la combativité/solidarité. Un bien meilleur couple !

Archibald EMOREJ

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